De Dijon» Carmel SOEUR ELISABETH DE LA TRINITE U d .'o+ rit-t=.,. 39003020814025 mm ELISABETH DE LA TRINITÉ SOUVENIRS DÉCLARATION Conformément au décret d'Urbain VIII, nous déclarons que si dans le cours de cet ouvrage nous avons employé des ternies de vénération, ce n'est que dans le sens autorisé par la Sainte Eglise, aux jugements de laquelle nous nous soumettons avec le plus filial amour. Digitized by the Internet Archive in 2011 witii funding from University of Toronto http://www.archive.org/details/soeurlisabethdOOIi Cy I/.eroc c cernée, ^< arc ce de njo/î i le /e l'ea.v yCUi.Kiec /}ia oie a ocii.'* ece^ci/er. Sœup Elisatietti de la Tpioité RELIGIEUSE CARMÉLITE 1880-1906 SOU VENI RS CINQUIÈME ÉDITION CARMEL DE DIJON c DIJON IMPRIMERIE JOBARD 1913 Tons droits réservés. 1913 ■ A LÀ VIERGE IMMACULÉE REINE ET BEAUTÉ DU C ARMEL NOTRE MÈRE BIEN AIMÉE DAIGNEZ AGRÉER LA DÉDICACE DE CETTE HUMBLE RELATION EN HOMMAGE DE NOTRE FILIAL AMOUR ET l'oFFRIR COMME LOUANGE DE GLOIRE A LA TRÈS SAINTE TRINITÉ APPROBATION DE SA GRANDEUR MONSEIGNEUR MONESTÈS Evêque de Dijon. ÉVECHÉ DE DIJON Dijon, le 15 Octobre 1912. Fête de sainte Thérèse. Ma Révérende Mère, Tout à rheure, dans votre chapelle, pensant à l'approbation attendue de vous pour la nouvelle édition d'un volume de plus en plus désiré, je me demandais par quelles lignes j'allais le louer. Une intime conviction m'a répondu qu'il se recommande assez lui-même. Pour en avoir la certitude, il suffit de lire avec réflexion. C'est aujourd'hui une merveilleuse action de l'Esprit-Saint dans l'Eglise. Toutes les époques ont vu ces interventions singulières adaptées à l'état social, à la mentalité religieuse du moment. Leur diversité à travers l'histoire ne fait que mieux ressortir l'unité de cet éternel mouve- ment. VIII APPROBATION C'est la Vérité et la Miséricorde divine qui se rencontrent pour continuer l'œuvre rédemptrice, éclairer, purifier, sauver les hommes. De nos jours, le positivisme a pénétré tous les milieux ; devant les masses, il a élevé un mur épais entre l'ordre visible de la création et le monde surnaturel. Il a dit à l'homme qu'il n'est aucun rapport réel d'un monde à l'autre, parce que celui où il se meut existe seul ; qu'aucun rayon ne filtre à travers la muraille, parce qu'il n'y a qu'une seule lumière, celle qui Téclaire et qu'il voit. Des multitudes d'âmes passent ainsi devant ce mur, fait de matérialisme et d'incré- dulité, sans chercher à savoir si vraiment il n'y a rien derrière lui, sans môme lever les yeux en haut, pour découvrir, par-dessus le faîte, un coin du ciel bleu. Elles justifient à la lettre la constatation attristée du Psalmiste : u Ils s'obs- tinent à ne plus regarder qu'en bas. » Or, le Maître de nos vies ne veut pas les laisser immobiles en face de ces horizons désolés. Non seulement il ouvre le ciel à nos espérances, mais il descend jusqu'à nous, reste en nous, nous associe dans le temps à sa vie éternelle : c'est là rinetïable mystère connu dans l'Eglise dès la première heure. Mais la mei'veille est de le voir s'affirmer de plus en plus dans le monde, en des âmes d'élite, quels que soient leur tem- pérament, leur condition, leur mentalité. Cous- APPROBATION IX tater, parmi les vices et les impiétés modernes, l'existence de ces vies humaines, tellement péné- trées par la vie divine qu'elles peuvent rééditer justement la formule de TApôtre : a Ce n'est plus moi qui vis, mais c'est le Christ qui vit en moi », réconforte le cœur et fait entrevoir des aurores régénératrices. Il ne se fait pas un grand bruit précurseur des transformations sociales et his- toriques : c'est une descente de Dieu en ses créa- tures pour la sanctification individuelle qui pro- curera, en multipliant les élus, le salut des peuples. Le vent impétueux se tait; l'ère de la grande Révélation est close ; la colombe mys- tique, au contraire, vole sans cesse ; elle se repose sur les âmes de bonne volonté. Mais c'est toujours la même œuvre qui s'accomplit. Ainsi que l'écrit dans ses lumineux petits traités sur la Vie intérieure, le P. Foch : u Cette venue, ce rapprochement du Saint-Esprit agissant sur notre âme constitue ce que les théologiens appel- lent une mission invisible du Saint-Esprit. Or, cette mission invisible ne difïère de la mis- sion solennelle, visible, éclatante, connue sous le nom de Pentecôte, que par des caractères accessoires, extérieurs; au fond, là et là, le mys- tère est le môme... » Comme autrefois pour notifier à toute la terre les merveilles de cette deuxième et continuelle Pentecôte, Dieu suscite encore des apôtres. Et APPROBATION c'est un des aspects de la merveilleuse action dont je parlais tout à Theure qu'il les prend prin- cipalement dans les cloîtres, au fond des soli- tudes, au moment où le discrédit les entoure, alors que la persécution est intense sur eux. La voix de ces messagers proclamant la réalité, la beauté, les extases de a notre société avec le Père et le Fils », ainsi que s'exprime saint Jean, s'élève depuis quelque temps d'un nombre con- sidérable de monastères. J'en pourrais citer plu- sieurs, mais la piété catholique les connaît. Je ne veux nommer que le Carmel et, là, désigner avec attendrissement et fierté, dans l'humble cénacle du Carmel de Dijon, Sœur Elisabeth de la Trinité. Sur elle, la colombe se reposa un jour et ne s'en alla plus qu'avec elle au moment où, par la mort, la vie d'union dans la grâce devint la vie d'union dans la gloire. Le livre dont une nouvelle édition, après plu- sieurs autres, s'impose, nous démontre sura- bondamment quel fut le rôle de votre chère fille et quelle est aujourd'hui sa mission providen- tielle. Dieu a fait de la fervente carmélite un apôtre de la Pentecôte permanente de l'Esprit- Saint dans les âmes. Celle qui disait : « J'ai trouvé mon ciel sur la terre puisque le ciel c'est Dieu et Dieu est en mon âme », conduit ceux qui méditent sa vie et recourent à elle, vers la recherche de « l'habitation du Verbe dans les APPROBATION XI âmes des justes ». De tous côtés, on nous l'af- firme, sa sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus est le témoin inlassable de l'intervention du surna- turel sur la terre et du crédit constant que les prières confiantes ont sur le cœur de Dieu. Elisabeth de la Trinité, dans une gloire moins rayonnante, comme sous un voile de tabernacle, initie les âmes aux secrets inénarrables de la vie cachée en Dieu avec Jésus-Christ. Elle en eut une sorte d'intuition prophétique : « Au ciel, je le crois, disait-elle, ma mission sera d'attirer les âmes dans le recueillement intérieur, en les aidant à sortir d'elles-mêmes pour adhérer à Dieu par un mouvement tout simple et tout amoureux ; de les garder en ce grand silence du dedans qui permet à Dieu de s'imprimer en elles et de les transformer en Lui. » Que de lettres viennent vous dire, des contrées les plus diverses^, le très vivant labeur de votre apôtre ! Combien de visiteurs discrets vont s'agenouiller sur sa tombe pour obtenir un patro- nage auprès de u ses Trois », ainsi qu'elle appe- lait les divines Personnes ! Et, pour accréditer, sans doute, la foi en la réalité de sa mission, des signes sensibles, des guérisons récompen- seraient même, nous dit-on, ce recours confiant. C'est la réalisation, de plus en plus indénia- ble, du vœu que vous formiez en publiant pour la première fois vos Souvenirs. Vous disiez : XII APPROBATION « Puissent les parfums de cette vie d'oraison attirer un grand nombre d'âmes dans les voies intérieures, école de la parfaite abnégation ! » Rendez grâces à Dieu. En France, la vie d'Elisa- beth de la Trinité révèle à beaucoup de cons- ciences (( le don de Dieu ». Les traductions étrangères du livre nous prouvent que sa voix {( s'en est allée jusqu'aux extrémités de la terre ». Dans l'austère paix de votre Garmel, à l'école de l'illustre et sainte réformatrice dont nous écou- tions, ce soir, raconter les œuvres, aidez par vos suffrages, vos sacrifices, vos vertus, l'apostolat conquérant de votre jeune Sœur. Que, chaque jour davantage, par toutes ces fortes interces- sions, le règne de Dieu arrive, surtout dans la chère Bourgogne. C'est mon plus grand souhait, mon très ardent désir. t JACQUES-LOUIS, Evêque de Dijon. APPROBATION DE SA GRANDEUR MONSEIGNEUR DADOLLE Mort Evêque de Dijon le 22 mai 1911 EVECHK Dijon, le 2^ septembre 1909. DE DIJON Je viens de faire, pendant plusieurs jours, ma lecture spirituelle dans les «bonnes feuilles» des «Souvenirs» de Sœur Elisabeth de la Trinité. Il m'a été ainsi donné d'entrer en connaissance avec une âme, telle, je pense, que le Carmel lui-même n'en cultive guère d'une pareille beauté. Qu'il me soit permis de commenter brièvement l'Impri- matur que j'accorde à l'exquis recueil. Le cadre est étroit dans lequel s'est épanouie la vie de notre petite sœur: vingt-six ans. Mais si les cinq dernières seulement de ses courtes années se sont écoulées derrière les grilles du cloître, on serait tenté de penser et d'oser dire qu'Elisabeth fut Carmélite, presque de naissance. Lorsqu'à sept ans elle a déclaré qu'elle serait « religieuse », elle l'était déjà, la douce enfant, par le don gratuit de l'attrait; elle ne devait cesser de le devenir de plus en plus, en perfectionnant ses rares aptitudes de recueillement en Dieu, sa mortification que dans le monde, elle nourrissait de mille petits furtifs sacrifices, la plus exacte vigilance sur elle-même, et le zèle enfin : toutes vertus spécifiques de la vocation carmélitaine. Si bien, semble-t-il, que c'est la grâce de son baptême qui l'a progressivement et continûment XIV AFPKOHATION portée tout droit sur les hauteurs d'où de plain-pied l'on nccède ù celles du Carmel : In Carmcli verlicem. Il est heureux que notre Sœur ait eu, sans s'en douter, l'occasion de tant aider à la peindre. Un fraj^mcnt de son Journal jiour la période d'avant le cloître, et, depuis, ses Lettres, ses Notes de retraite, ses essais poétiques : autant de sources d'où elle sort toute vivante, aux yeux de ceux-là même qui ne l'ont pas connue ou ne l'ont fait qu'entrevoir. C'est surtout pour l'intention, l'ardeur de vie, l'accent que valent les compositions poétiques d'Elisabeth. Quant à sa prose, elle est véritablement belle. Plusieurs des Lettres sont de purs chefs-d'œuvre. Elle écrit pour faire participer ceux qu'elle a laissés dans le monde aux lumières de son Carmel. ¥A alors, à pleines mains, elle tire de son trésor, qui est invariablement la plus sûre doc- trine de l'Evangile. Comme elle avait compris saint Paul!... Ses conférences épistolaires. Sœur Elisabeth les traite dans une langue dont on se demande où elle l'a prise. L'àme se verse telle quelle. Et c'est délicieux de simplicité, de fraî- cheur, de sérénité. La pensée, toujours substantielle et juste, le sentiment personnel, toujours très élevé, qui en jaillit, qui l'anime et lui donne le mouvement, revêtent à tout moment des expres- sions d'une force ou dune grâce vraiment extraordinaires. Mais il s'agit ici de tout autre chose que d'une étude littéraire. Je dirai, pour finir, à ceux qui croiraient que le cloître est le tombeau des alTeclions de famille : « Lisez les Lettres de notre Elisabeth à sa mère, à sa sœur... et montrez-nous ce que vous pensez qui ressemble à cette intensité de tendresse filiale et fraternelle... » Je bénis les « Souvenirs » et, avec eux, la main pieuse qui a si discrètement tressé cette modeste couronne de gloire terrestre au front de sa petite « Louange de gloire», comme s'appela ici-bas Sœur Elisabeth de la Trinité. t PIERRE, Evéque de Dijon. APPROBATIONS XV Lettre de Sa Grandeur M^"^ Aîtmayer ARCHEVÊQUE DE SINNADE •OP* Serre, 8 novembre 1909. Ma Révérende Mère, J'ai voulu attendre pour vous remercier du délicieux volume des Souvenirs de votre sœur et fille Elisabeth de la Trinité, d'en avoir achevé la lecture : ce qui n'a pas été long, tant ces pages sont captivantes et j'aime à le dire, bienfai- santes. On ne sait qu'admirer davantage en cette âme si jeune, de cette précoce et forte vertu, de ces ardeurs de foi et d'amour pour Notre-Seigneur, de cette doctrine aussi sûre que sublime qu'elle mettait en actes, de cette union intense à Dieu, de cette communion anticipée à la félicité et au rôle des élus du ciel. Que manque-t-il à cette sainteté d'une fille de sainte Térèse ? Ah I que l'Esprit Saint est admirable dans ses voies I Car ces merveilles sont son œuvre, et alors on cesse de s'étonner et on rend gloire à Dieu qui a fait une telle âme, qui l'a donnée à votre saint Ordre et à votre cher monastère, qui par vous nous l'a montrée dans tout le rayonnement de sa beauté. Soyez remerciée, ma Révérende Mère, d'avoir écrit ces Souuenirs si intimement vécus par vous et de me les avoir offerts ; soyez-le par toutes les âmes qui en les lisant et en ** XVI APPROBATIONS les méditant se sentiront entraînées à courir à l'odeur des vertus de votre sainte enfant. C'est la grâce que demain, en ce troisième anniversaire de sa bienheureuse mort, nous demanderons les uns pour les autres par sa douce intercession. Merci de vos prières pour l'humble jubilaire qui vous bénit en Notre-Seigneur. t F.-Henri V. Archevêque de Sinnade, 0. P. •SJP' Lettre de Sa Grandeur M^"^ Sagot du Vaurou ÉVÊQUE d'aGEX Agen, le 24 décembre 1909. En la vigile de la Nativilc de Xotre-Seigneur. Ma Révérende Mère, Il y a douze ans à peine, vos sœurs de Lisieux publiaient l'admirable et touchante histoire de l'une de leurs plus jeunes compagnes, morte en odeur de sainteté à l'âge de 24 ans. Le succès du livre fut complet. Beaucoup d'àmes tressaillirent d'une profonde émotion en lisant ces pages exquises où se reflètent avec limpidité des vertus à la fois héroïques et charmantes. Jamais, en efTct, dans les temps modernes, l'esprit du (>armel n'avait jeté de plus purs rayons, jamais il n'avait été plus facile de comprendre ce que cet esprit mêle de douceur à l'austérité des règles, de joie à la souffrance, de simplicité APPROBATIONS XVII confiante et paisible aux luttes de l'amour divin contre la nature. Or, sœur Thérèse de l'Enfant Jésus a désormais une gracieuse émule, qui, sans avoir un seul instant soupçonné cette ressemblance, l'égale en perfection et en beauté; c'est la jeune fille, je dirai presque l'enfant dont vous nous racontez la vie sous le titre modeste de Souvenirs. Sœur Elisabeth de la Trinité a vécu vingt-six années, dont cinq dans votre pieux monastère. Douée d'un caractère franc et joyeux, très intelligente et, comme sainte Térèse, votre incomparable Mère, noblement éprise des idées claires et pratiques, aflectueuse et bonne, vive et délicate dans tous ses sentiments, avide d'abnégation et de sacrifices, elle pos- sédait, au sens le plus élevé de l'expression, le secret de plaire. « Il émanait d'elle quelque chose que je ne saurais exprimer, disait une de ses amies, c'était si pur, si ardent, si doux pourtant, c'était suave et simple comme le parfum de la vertu (1). » Le monde aurait réservé à cette enfant de brillantes couronnes, si elle avait pu les désirer; je prétends même qu'il serait impossible à un homme dépourvu de croj'ances, mais tant soit peu loyal, de parcourir le volume que vous venez d'écrire sans subir involontairement la séduction toute céleste de votre petite sainte. Quelle ama- bilité, mais aussi quelle force dans l'accomplissement du devoir, si pénible qu'il soit, quel art sublime d'aimer Dieu et tout ce qui mérite l'hommage du cœur, quelle harmonie merveilleuse entre les qualités humaines et la grâce d'En- Haut! Ce qui me paraît peut-être le plus remarquable dans la vie de Sœur Elisabeth, c'est l'exacte conformité de ses vues, de ses attraits, de sa vie intérieure, de ses paroles, avec les principes les plus sûrs de la théologie mj^stique. Votre chère fille suit constamment la ligne droite; jamais on ne saisit, dans sa conduite un acte faisant ombre au tableau, que ses vertus animent de riches couleurs, ni même sur ses (1) Souvenirs, p. 33. XVIII APPROBATIONS lèvres un mot qui ajoute une note fausse au mélodieux cantique que son amour pour Jésus-C.hrist ne cesse de chanter. Elle ne sait point raffiner; l'imagination ne l'emporte pas au delà des espaces où la saine raison, la raison éclairée par la foi et vivifiée par l'amour, a coutume de se tenir. Les considérations subtiles ou nuageuses lui sont étrangères. Sa pensée étant toujours juste, l'expression qui se présente facilement à sa plume ne manque pas de l'être aussi. Comme elle connaît et pénètre bien le sens des Ecritures et particulièrement des épîtres du grand saint Paul, pour lequel son cœur ardent ressent une prédilection qui ne nous étonne pas! De quels commentaires intéressants et justes elle illumine les enseignements les plus sublimes de saint Jean de la Croix ! Qui donc disserte avec cette éléva- tion et cette fermeté d'esprit? Est-ce un prêtre habitué depuis longtemps au travail théologique et à l'oraison mentale? On aurait peine à reconnaître, à travers ces déve- loppements simples et lumineux, mais d'une logique virile, l'àme d'une jeune fille, si la chaleur et les grâces d'un style toujours délicat et pur, souvent vif et enjoué, ne répan- daient une incomparable douceur sur tous les écrits d'Elisabeth. A l'exemple de sainte Térèse, la chère petite Sœur aimait donc avant tout la vraie, la forte, la belle doctrine. De là, vous n'en doutez pas plus que moi, l'aisance et la rapidité de ses mouvements; de là le progrès régulier de ses aspirations vers le bien infini et l'admirable générosité de l'abandon qu'elle fait d'elle-même à l'action divine. Se livrer à la grâce, voilà sa méthode pour aimer; elle a si parfaitement com- pris la beauté unique du saint amour et les exigences de la vocation au Carmel que son seul désir est l'union à son Epoux par un amour sans bornes. « Je voudrais tant l'aimer, l'aimer comme ma séraphique Mère, jusqu'à en mourir », écrit-elle un jour (1) et elle ajoute cette parole qui est pour (1) Souvenirs, p. 117. APPROBATIONS XIX votre Ordre, ma Révérende Mère, un légitime et magnifique éloge : « Il me semble qu'au Carmel c'est si simple de vivre d'amour (1). » Mais l'amour implique nécessairement la soufTrance. Aussi bien Sœur Elisabeth de la Trinité voulait-elle suivre avec vaillance et sans relâche Notre-Seigneur, de Bethléem au Calvaire et jusqu'à l'autel. Souffrir dans son corps ou dans son àme, ce n'était pas. à son jugement, une nécessité à laquelle on se résigne ou même que l'on accepte par esprit de foi et par courage, c'était l'objet de ses vœux les plus intimes et comme la condition indispensable de son attache- ment au Christ. Elle assurait que « la soufltrance l'attirait de plus en plus, au point que ce désir dominait presque celui du ciel qui pourtant était bien fort (2) ». Cet irrésistible penchant, celui de tous les saints, alla toujours en augmentant dans son àme et le Maître ne cessa de le satisfaire. Durement éprouvée par les aridités spirituelles, car il fallait bien qu'elle aussi traversât la nuit obscure, elle acheva sa vie après une longue maladie, après une suite de tortures qualifiées par le médecin de véritable martj'^re. A-t-elle passé un jour au Carmel sans embrasser étroite- ment la croix qu'elle avait baisée avec une ardente tendresse au moment de sa première entrée dans votre cloître? Il est probable que non, car, pas un seul jour, Notre-Seigneur n'a omis de travailler, à la manière dont il forme ses plus chères épouses, la petite âme qui ambitionnait de devenir, et qui fut en effet pour son Bien-Aimé, une louange de gloire. Une fin touchante, que dis-je, un triomphe devait cou- ronner les courtes mais fécondes années de Sœur Elisabeth. Elle avait défini la mort : « Le sommeil de l'enfant s'endor- mant sur le cœur de sa mère (3) », et son rêve était de con- sommer bientôt son union avec Jésus. « Partons donc (4) », s'écriait-elle l'âme remplie d'enthousiasme, le jour de la (1) Souvenirs, p. 117. - (2) Id., p. 203. — (3) M., p. 324. — (4) Id., p. 252. XX APPROHATIONS Toussaint, un peu plus d'une semaine avant sa naissance au bonheur céleste. L'attente, en ellet, ne pouvait plus être longue ; le i) novembre, la chère petite martyre prenait son vol vers la demeure où elle allait contempler éternellement « ses Trois », suivant son expression habituelle pour designer l'adorable Trinité. « Je vais à la lumière, à l'amour, à la vie I (1). » Ces paroles émouvantes, les dernières qu'il vous ait été permis de recueillir sur sa bouche, ne sont-elles pas la conclusion logique du travail opéré en elle par la foi et par son inviolable fidélité au saint amour? Elles résument admirablement la vocation, les progrès, la vie tout entière d'Elisabeth. Je me reprocherais de ne pas signaler encore l'un des caractères les plus frappants de la physionomie morale que vous venez, ma Révérende Mère, de nous faire connaître. Ce trait, d'ailleurs, n'est pas spécial à Sœur Elisabeth. Au Carmel, il appartient à toutes les âmes; car sainte Térèse en faisait pour ses religieuses comme une condition essentielle de vocation. Je veux parler de l'esprit apostolique. Votre fdle, précisément parce qu'elle aimait avec ardeur le Christ et qu'elle voulait être une vraie carmélite, souhaitait d'être apôtre. Il lui semblait à juste titre qu'unie éternellement au foyer de l'amour infini, « elle pouvait rayonner Dieu et le donner aux âmes (2) ». Or le vœu de son noble cœur se réalisera de plus en plus ; grâce à votre utile publication, la sainte passion de la sainte enfant pour le Christ allumera dans beaucoup d'autres cœurs les flammes de la plus pure charité, les désirs du plus ardent apostolat, c'est-à-dire de ce dévouement à la cause de Dieu et de l'Eglise, dont notre siècle a l'immense besoin. Je suis heureux de vous exprimer les sentiments d'admi- ration que j'ai éprouvés à la lecture d une aussi belle histoire, et d'offrir aux filles de sainte Térèse un humble mais sincère hommage. Il y a longtemps que l'œuvre de la chère et grande (1) Souvenirs, p •llVl. - (2) /(/., p. 140. APPROBATIONS XXI Sainte m'est précieuse. Je dois beaucoup au Carmel et cer- tains souvenirs, parmi les plus doux et les plus anciens de ma vie, se rattachent à vos monastères. Jamais je n'évoque ce passé sans émotion ni sans profit. C'est donc une dette de reconnaissance que j'acquitte chaque fois que j'apporte à votre Ordre le modeste concours de ma parole et de mon affection. Je bénis la deuxième édition de votre livre, ma Révérende Mère, et je vous prie d'agréer l'assurance de mon religieux et cordial dévouement en notre-Seigneur. f Charles-Paul, évêque d'Agen. Lettre du Très Révérend Père Prieur de lABBAYE de la « REINE DU CIEL » au Mont-Gésar, Louvain. « Regina Cœli >>, 15 février 1910. Ma très Révérende Mère, A la gloire de Dieu et à celle de Sœur Elisabeth de la Trinité, l'humble vierge dont vous révélez au monde, si lumineusement, l'âme toute grande, permettez-moi de vous confier l'inoubliable impression que m'a laissée la lecture de vos saints Souvenirs. Je les appelle sainls, car ils sont si pleins de Dieu, qu'on ne peut guère les parcourir qu'en priant, à genoux. XXII APIMIOHATIONS A chaque fois que je les efTeuille, cette impression se fait plus vive et me nourrit toujours mieux. Je sens se graver de plus en plus en moi cette parole de Jésus : Dieu est esprit, et ceux qailadurcnt doivent l'adorer en esprit et en vérité (1) », et cette autre de saint Paul, le maître d'Elisabeth : « Le temple de Dieu est saint, et ce temple c'est vous (2). » Peu d'âmes, ce me semble, ont eu comme votre fille spirituelle, le sens de cette adoration en esprit et en vérité, dans le temple de leur cœur ; dire de Sœur Elisabeth qu'elle fut ainsi l'adoratrice parfaite de son Dieu, c'est la définir pleinement. Je m'explique. Qu'est-ce que l'adoration, l'adoration en esprit et en vérité? L'adoration est l'hommage primordial et absolu rendu par la créature à la divine Excellence, au Dieu qui nous tire du néant, imprime en nous le cachet de la Trinité sainte, désor- mais l'Hôte divin de l'âme que transforme la grâce du baptême. L'adoration est un silence solennel et profond où s'abîme celui qui adore, confessant que Dieu est tout et la créature rien. L'adoration est l'acte propre et immédiat de la première des vertus morales, la religion (3). Elle livre au Seigneur l'homme tout entier, son àme et son corps. L'adoration prend naissance et se développe dans le lieu très secret de cette âme : le corps la révèle au jour, l'extériorise par le moyen nécessaire du culte que complète et vivifie le sacrifice, cette expression au dehors de l'adoration du dedans. Oui, il y a une adoration « du dedans » exprimée sur un autel plus intime et que Dieu seul garde : c'est l'adoration en esprit, celle qui se poursuit dans les profondeurs de l'être raisonnable, dans son intelligence et dans sa volonté: adora- tion essentielle et principale sans laquelle l'extérieure reste (1) Joan., IV, 24. - (2) I Cor., m. 17. — (3) S. Thomas, Sum. theol., II, II, q. 81. APPROBATIONS XXIII sans vie. C'est en même temps l'adoration en vérité, la sin- cère, la pleine, celle où tout est lumière et amour, celle où tout est réglé, parce que vrai. Cette adoration conduit à une autre plus parfaite, une autre qui est le coiîible de la religion : c'est celle à laquelle nous initie le Verbe incarné, l'Homme-Dieu, Jésus-Christ, le suprême adorateur de Dieu. Adorer en esprit et en vérité, c'est adorer le Père céleste en union avec le Christ, sous la motion du Saint-Esprit; c'est passer, s'écouler en Jésus qui est la vérité (1) ; c'est se transformer en son image (2), se revêtir de Lui (3), et dans cet état « par Lai, avec Lui et en Lui, rendre tout honneur et toute gloire à Dieu le Père tout- puissant, dans l'unité du Saint-Esprit (4) ». Oh I que cette adoration emporte loin, bien loin du monde et de nous- mêmes! Elle atteint cette Essence infinie qui est Dieu, et où l'âme en se perdant devient une « Louange de gloire » au Dieu trois fois saint. Sœur Elisabeth fut cette « Louange de gloire », la parfaite adoratrice de la Trinité en esprit et en vérité. J'en ai pour garant l'admirable prière composée par elle-même et que tout le monde répète déjà. Votre piété, ma Révérende Mère, ne pourrait assez la répandre ; car, outre qu'elle dessine à merveille la physionomie spirituelle de votre héroïque enfant, elle est un programme complet de la perfection où conduit l'adoration prêchée par le christianisme. J'aurais pu parler des autres écrits de votre Sœur et redire leur charme incomparable, leur tendresse pénétrante, leur théologie profonde. Je préfère me borner et synthétiser mes pensées : ces lignes, que la reconnaissance m'oblige à vous adresser, ne sont que le commentaire de cette prière d'une pauvre Carmélite, prière exhalant tout le mystère de notre union à Dieu et révélant le secret de la sainteté. Elisabeth l'a littéralement vécue. (1) I .loiui., v, 6. — (2) I Cor., m, 18. — (l^) Rom., .\iii, 14. — (4) Canon de la Messe. XXIV AlM>lU)IJATIONS « 0 mon Dieu, dit-elle, Trinité que j'adore... », d'un seul élan elle atteint son idéal; elle a la dévotion des grandes unies, celle au Dieu Un et Trine ; et la forme de cette dévo- tion, c'est l'adoration. Elisabeth saisit d'emblée la relation preniiérc et directe qu'établit entre la Trinité et elle son état de créature ; elle comprend que ce Dieu, « ses Trois », comme elle disait, c'est son Toiil, la Béatitude dont elle se constitue la proie éternelle dans la foi et dans l'amour. C'est ainsi qu'elle adorera toujours. A cette Trinité adorable, elle élève une demeure aimée, un lieu de repos, je veux dire l'intime de son âme qu'envahissent les grâces de tout genre, et où, dans le recueillement et l'unité de ses puissances, elle va vivre en la compagnie de son Dieu, tout entière, tout éveillée en sa foi, tout adorante, toute livrée à l'action créatrice. Pourtant Elisabeth ne s'approche de la Trinité sainte que par Jésus-Christ. Elle sait que Lui seul a été constitué par son Incarnation l'adorateur parfait et universel de Dieu ; elle sait qu'elle ne peut bien assumer son rôle d'adoratrice qu'autant qu'elle s'identifiera à ce « Souverain Prêtre » du ciel et de la terre, qu'elle ne fera plus qu'un ayec Lui, et cela surtout par « la communion à ses souffrances, la confor- mité à sa mort (1) ». C'est en souffrant qu'elle grandira dans l'amour, et c'est l'amour « qui fait un seul esprit avec Dieu 1(2) ». Elle sera victime de lamour, et son sacrifice sera son ado- ration spéciale. Elle apparaîtra bientôt comme un crucifix vivant; elle avait tant ])rié la Trinité sainte d'être trans- formée en .Jésus et .lésus crucifié ! Aussi prie-t-elle Dieu le Père de se pencher vers elle et de ne plus voir en elle que le Bien-Aimé de ses complaisaiwes. Elle conjure le Verbe, parole de son Dieu, de lui laisser passer sa vie à l'écouter afin d'apprendre tout de Lui, dans le silence. Elle supplie l'Esprit Saint, Feu consumant, de .surveiur en elle, afin qu'en son àme se fasse comme une (1) Philipp., m, 10. - (2) I Cor., vu, 17. APPROBATIONS XXV incornalion du Verbe, et que son être soit pour Celui-ci comme une humanité de surcroit. C'est que, devenue l'épouse de son Christ aimé, elle veut le couvrir de gloire et l'aimer jusqu'à en mourir... Vous êtes morte, Elisabeth, niartj're cachée de l'Amour, et cette mort a été le témoignage solennel et dernier de votre adoration « en esprit et en vérité ». Submergée, pour ainsi dire, en Jésus, envahie par Lui et comme substituée à Lui, vous fûtes le rayonnement de sa vie. Cierge consacré, vous vous êtes consumée lentement dans la flamme d'amour qui vous dévorait si pure. Ce sacrifice adorant, vous l'avez voulu, car vous aviez dit à l'Epoux céleste : « Epuise toute ma subs- tance pour ta gloire, qu'elle se distille goutte à goutte pour ton Eglise! » Jésus vous a épuisée et l'Eglise de Dieu, déjà fière d'une telle vertu, s'enivre de votre holocauste... Excusez, ma Révérende Mère, cet élan de mon cœur, mais vous en êtes un peu cause. Du reste, en révélant comme vous avez su le faire tout l'intérieur de votre Sœur Elisabeth, vous suscitez et susciterez dans les âmes des ravissements bien autrement glorieux pour elle et plus féconds en tous. Votre humilité en souffrira peut-être, mais c'est un honneur enviable et très légitime, c'est même un devoir « que de révéler et publier les œuvres de Dieu(\) ». J'ai la conviction intime que l'œuvre d'Elisabeth de la Trinité est une de celles-là. Dieu a fait naître cette vierge illustre pour être ici-bas et rester au ciel l'expression vivante de V adoration en esprit et en vérité, de celle qui monte vers le Très-Haut dans le recueillement et le silence de l'âme C'est donc aussi le moment de redire avec plus d'à-propos que jamais cette parole tombée jadis des lèvres du Christ : « L'heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs, adoreront le Père en esprit et en vérité; ce sont là les adora- teurs que le Père demande (2). » Dom Eugène Vandeuk, de l'Ordre de Saint-Benoit. (\) Tobie, xn, 7. - (2) Joan., iv, 23. XXVI APIMIOHATIONS Lettre de M. l'abbé Ch. Sauvé (*> Arenys-dc-Mar, 26 janvier 1910. Ma Révérexdk Mère, Combien j'ai été heureux de recevoir et de dévorer tout de suite votre volume ! Le mot d' « exquis travail » de Monsei- gneur de Dijon rend bien mon impression. Et quelle àme exquise aussi vous nous racontez! Qui n'admirerait ce recueillement si profond et si vrai; cette générosité, jamais lassée, pour le sacrifice, la souffrance ; cet amour jusqu'à en mourir ; et, par exemple encore, cette force si étonnante de pensée et de volonté dont témoigne sa dernière retraite?... Mais je veux vous dire ce qui me frappe tout particulière- ment, — et pour cause, — ce qu'on ne remarquera peut- être pas assez, ce qui fait, il me semble, la caractéristique de cette vie, c'est la spiritualité doctrinale dont elle est animée. La piété d'Elisabeth vivait de la doctrine, profondément contemplée sur Notre-Seigneur, sur la Sainte Trinité (en elle-même et dans l'âme); ainsi est-elle admirablement à l'image de la spiritualité de saint Paul. Et c'est peut-être par là que ces Souvenirs feront le plus de bien. Comme je le note dans le « Culte de saint Joseph », à propos de votre chère Enfant : toutes choses étant égales d'ailleurs, une piété doctrinale est plus vraie, puisqu'elle se nourrit de la vérité (1) Ancien Directeur du grand Séminaire de Dijon, l'auteur des Elévations dogmatiques sur Jésus intime. Dieu intime, l'Ange et l'l}omme intimes, le Clirélien intime... que Sa Sainteté Pie X vient d'honoier d'un admirable Ihef. APPROBATIONS XXVII intégrale; elle est plus virile, elle s'appuie aussi peu que pos- sible sur la sensibilité, car elle est toute tournée vers la doc- trine qui saisit la partie supérieure de l'âme ; elle est plus constante parce que la vérité qui la domine ne change pas ; elle est plus recueillie sous le spectacle plus vif des gran- deurs et des bontés infinies; elle est plus humble sous la vue pleine de l'Etre divin; plus vivante au contact plus com- plet avec le Dieu qui est vie en même temps que vérité; plus consolée, plus saintement enthousiaste pour les beautés de la vérité catholique qui devraient nous ravir, nous enlever. Tout autant de traits dont seront fort édifiés ceux qui liront avec attention cette 17e ou ces Souvenirs d'une àme d'élite. Et ce ne sont pas seulement des impressions d'édifi- cation qu'ils en retireront, mais ce qui est plus précieux, des idées divinement vitales. Que le bon Dieu vous remercie à sa manière, ma Révé- rende Mère, d'avoir tant concouru au développement de cette piété, à l'éclosion de cette fleur si vive et si belle ! Soyez bénie aussi de la présenter aux âmes avec tant de charme et de simplicité à la fois. Votre bien religieusement dévoué en Notre-Seigneur, qui n'oubliera jamais le cher Carmel de Dijon et qui se recom- mande instamment, lui et ses travaux, à vos ferventes prières. • Ch, S.\uvÉ, S. S. XXVIII AlM'KOHATIOiNS Lettre du Révérend Père Foch, S. J. Ancien Maître des novices Ancien Reclenr du Scolaslicat de la Province de Toulouse (1). Toulouse, 23 avril 1910. Très Révérende Mère, La vie de Sœur Elisabeth de la Trinité défraie mes lec- tures spirituelles depuis plus de trois semaines déjà. Sans avoir l'avantage de vous connaître, je me sens pressé de vous remercier, et par vous l'auteur anonyme de ce beau livre, pour le bien considérable qu'il m'a fait. Mes relations avec le Carmel, l'étude de vos maîtres (saint Jean de la Croix et sainte Térèse), m'inspirent pour votre saint Ordre une sjMiipathie de plus en plus profonde. Grande est ma joie de découvrir en sœur Elisabeth, un idéal concret de carmélite, auquel peut être adressée toute enfant du Carmel, sûr qu'elle trouvera dans celte belle physionomie les traits et l'expression d'une vraie fille de sainte Térèse. Rares, me semble-l-il, sont les vies qui, en si peu de pages, donnent aussi vivement l'impression de ce que peut produire (1) La Petite Bibliotlù'qtie clirélienne, abbaye Tronchieniies (Bel- gique), publie (lu R. P. Foch un « Essai » sur la Vie intcrieure. (( Composé à l'usage des jeunes religieux de la Compagnie mes anciens dirigés, il pourrait, nous écrivait modestement l'auteur, être de quelque utilité à certaines âmes moins favorisées que sœur Elisabeth des intuitions de la foi. » En réalité cet opuscule est un court mais très substantiel traité de la Vie intcrieure. APPROBATIONS XXÎX dans une âme ouverte, élevée, droite, fidèle à la grâce et généreuse, l'harmonieuse fusion des plus belles ressources du surnaturel et du naturel. Elle fut courte cette vie de vingt-six ans, mais si remar- quablement remplie de tout ce qui fait le plus comprendre, admirer, aimer, désirer, vouloir enfin la sainteté! Le caractère particulièrement attachant qui me la fait sur- tout apprécier, c'est que la perfection de cette âme religieuse n'est, en dernière analyse, que l'épanouissement de la grâce, le développement progressif, normal, logique des vertus théologales, telles que le baptême nous les infuse à tous. Chez sœur Elisabeth, la raison, une raison très ferme et la volonté se sont mises tout entières au service de la foi et de la charité. La grâce aidant, sœur Elisabeth tire de ses res- sources surnaturelles infuses tout ce qu'elles peuvent don- ner : elle les cultive par la prière et la méditation comme par l'étude de saint Paul. Et quel meilleur guide pouvait-elle prendre dans les voies de la grâce ? Bien avant saint Augus- tin, il en est le docteur. Elle les exploite, les fortifie par l'exercice, un exercice de plus en plus vigoureux. Et d'abord, « elle en a pris conscience », chose que quantité d'âmes adonnées à la vie intérieure oublient totalement ou négligent de faire. Une pureté vraiment angélique semble lui avoir mérité les intuitions de la foi vivifiée par l'amour, qui croit comme qui voit. De là, sans doute, ces formules lumineuses, toujours nettes, précises, tantôt fortes, tantôt gracieuses, toujours chaudes comme l'accent d'une âme passionnée pour la vérité, dont est semée sa correspondance. C'est la promesse du divin Maître réalisée dès ce monde : Beali mnndo corde... quoniam videbunl. Et dans ce travail d'une vie spirituelle, on ne peut plus intense, où l'amour de Dieu « flambe » si prestement tous les articles de l'amour-prore, qu'à peine se sent l'efl'ort de la lutte, rien de ce qui fait un cœur aimant, un cœur intelligent, et bien au fait de toutes les exigences du qua- XXX Al'PUOlJATIONS trième commandement entendu selon loiiles les délicatesses du Cœur de Jésus, rien n'est sacrifié : la piété filiale et la tendresse des relations de famille ont gardé tous leurs droits. Oh ! comme dans cet enfant commençait à se dessiner « la femme forte » dont parlent les Proverbes, et telle qu'ils la décrivent avec sa parure toute de grâce et d'énergie ! Cette vie m'a fait beaucoup de bien et me rendra les plus grands services dans mon ministère auprès des Filles de sainte Térèse et de toute âme sérieusement éprise de vie intérieure et de perfection chrétienne. Je l'ai déjà chaude- ment recommandée et continuerai à le faire. Avec mes remerciements, ma Révérende Mère, je vous prie de bien vouloir agréer l'hommage de mon profond respect en Notre-Seigneur. Germain Foch, s. j. INTRODUCTION Le 9 novembre 1906, Dieu appelait à l'éternelle vision de paix Sœur Elisabeth de la Trinité, religieuse pro- fesse de notre Carmel, âgée de 26 ans. La lettre circu- laire adressée, selon l'usage, à nos monastères, leur fit justement pressentir que cette âme devait avoir une histoire révélant une fidélité peu ordinaire, et bon nombre d'entre eux nous exprimèrent le désir de la connaître. Nous hésitâmes longtemps ; comment péné- trer plus avant dans ce sanctuaire privilégié, en faire admirer les merveilles, alors que l'humilité, le silence les avaient couvertes de leur voile ? Outre que cette courte existence ne comptait guère plus de quatre années écoulées dans l'ombre du novi- ciat, et huit mois passés à l'infirmerie, tout y avait paru si simple et si divin, que le détail semblait devoir échapper à l'analyse. Pourtant l'accueil fait par nos monastères à la première révélation d'une à me dont le sillon paraissait à tous si lumineux, leurs vives ins- tances pour « qu'aucun rayon de cette petite étoile ne 2 SŒUR ÉLISAHKTH DE LA TRINITE lui laisse sous le boisseau », remplissaient nos cœurs d'une douce joie. Une lettre résume les sentiments qui nous furent alors exprimés avec une fraternelle et toute cordiale sponta- néité ; elle fera connaître cet accueil et l'impression de grâce produite par la circulaire de Sœur Elisabeth de la Trinité. Parce qu'elle nous vient d'un Carmel qui personnifie les grandes traditions de l'Ordre, dont il fut en France le berceau, l'appréciation suivante justifie l'estime en laquelle l'humble enfant que nous avons la mission de dépeindre, demeure dans le souvenir de sa famille religieuse. « Merci de nous avoir si bien fait connaître cette belle àme par la circulaire que nous avons déjà lue et relue. C'est bien là la vie d'une Carmélite entrant plei- nement dans sa vocation et allant droit à Dieu avec toute l'ardeur de l'amour. On éprouve, en la lisant, une réelle impression de grâce; nous en sommes édifiées, pénétrées, remuées jusqu'au fond du cœur. » Tout est bien dans cette vie. Ce que votre sainte enfant a promis de demander après sa mort répond admirablement à l'esprit de notre vocation ; c'est sérieux, religieux, en même temps qu'élevé. Dieu soit béni de donner ces trésors de grâce au Carmel ! » Il me semble que vous ne nous avez pas tout dit : c'était juste et nécessaire dans la circulaire, mais ne puis-je vous demander quelques détails sur cette vie d'oraison?... » Plus tard, revenant sur ces détails et répondant à nos hésitations devant le projet d'une publication plus étendue, la même Mère nous écrivait : u Ne vous laissez INTRODUCTION 6 pas arrêter par le peu de documents que pourrait offrir cette courte vie cachée en Dieu ; c'est le fait de bien des vies qui répandent un parfum céleste, sans présenter beaucoup de faits. La simplicité et le silence de Sœur Elisabeth de la Trinité seront de précieux modèles pour le Carmel et pour bien des âmes. Il n'y a qu'une voix ici pour dire : il faut écrire une notice. » De pieuses indiscrétions, providentiellement com- mises à l'endroit de notre lettre circulaire, portèrent hors du cloître les échos de cette vie si édifiante ; de toutes parts nous vinrent alors les mêmes instances, et si pressantes, que nous dûmes nous rendre à la voix de Dieu, songer sérieusement à publier nos Souvenirs. Tel est le titre que nous adoptons pour ces pages forcément incomplètes à tous égards, et dont nous n'avons accepté la rédaction qu'afin d'assurer à la phy- sionomie qu'il s'agissait de reproduire, toute la ressem- blance possible et de garder à cette fleur du Carmel son parfum monastique. Grâce à Dieu, qui voulait sans doute le rayonnement de sa « louange de gloire », les lettres de Sœur Elisabeth de la Trinité ont été religieusement conservées. Fidèle écho de son àme, sa correspondance n'a besoin que d'être classée dans l'ordre des faits à reconstituer pour lui permettre de se dépeindre le plus souvent elle-même. Quelques souvenirs d'amis joints aux nôtres, quelques notes spirituelles dont il sera fait mention en leur lieu, sont nos seuls documents. Nous y joignons certaines poé- sies de Sœur Elisabeth : elles achèvent de la révéler (1). (1) Aujourd'hui nous publions trois nouveaux portraits : portraits d'âme dirions-nous volontiers tant ils sont caractéristiques. (5« éd., 1912.) 4 SŒUU ELISABETH DE LA TUINITÉ Mais déjà, jetons un regard sur ce vase d'élection : l'appréciation d'un religieux (1) que nous verrons pro- videntiellement intervenir en la vie de notre chère enfant, éclairera d'une vive lumière « cette autre histoire (/'/;/?(' ànie », ainsi qu'on a nommé le recueil de nos Souvenirs. « Il est des êtres qui meurent inconscients de l'hu- main; aussi sont-ils comme un magnifique cristal au travers duquel la lumière passe sans se briser ; l'im- pression divine reçue, la frappe demeure. » Elisabeth était éminemment de ceux-Là ; elle avait de l'enfance les naïvetés et les profondeurs instinctives. Toute faite de candeur, de franchise, de simplicité, elle était tout entière en les choses de Dieu, n'ayant rien d'autre dans l'àme et dans son regard si pur. » Toujours affamée de Dieu, elle savait écouter : ses grands yeux buvaient la lumière ; elle la recevait large- ment, profondément, toute son âme en plein éveil, mais comme ensevelie dans la paix de Dieu et gardée contre ces enthousiasmes nés trop souvent de la vibra- tion excessive des nerfs et qui se dispersent si vile au dehors. Ces dons se développèrent dans le cloître ; ce qui n'était qu'éveil et pressentiment y devint chose vitale. » Son oraison fut longtemps occupée du Crucilié ; puis ce fut l'attrait de la Trinité sainte, le besoin de se sentir de la « société » du Père, du Verbe et de (1) Le très révérend Père Vallée, des Frères Prêcheurs. INTRODUCTION 5 l'Esprit. Tout s'éclaira et se précisa en elle par l'étude de saint Paul. » Le silence est la condition d'une telle vie. Sœur Elisabeth de la Trinité y revenait sans effort et comme d'instinct : aussi la sentions-nous visiblement sous l'ac- tion de l'Esprit-Saint. Sous les intuitions du don d'intel- ligence, elle semblait vivre au contact de Dieu, toute recueillie, toute vivante aussi sous la clarté reçue. Puis c'était la vue du « pourquoi » adorable de ces commu- nications de Dieu, de cette passion d'amour étrange, infinie, dont II poursuit les âmes pour les introduire en ses richesses mystérieuses et comme les immobiliser en Lui. Elle se sentait fortement attirée au fond des choses et au fond d'elle-même surtout, par une sorte de saveur débordante, qui la pénétrait tout entière : c'était le don de sagesse. » Enfin, en la dernière phase, elle reçut la frappe de la croix ; elle en connut la joie, joie voulue, portée avec un héroïsme étonnant, surhumain; c'était encore plus en « force » qu'en sourire qu'elle portait cet état. L'Es- prit-Saint lui communiquait visiblement ce don. C'est dans ce goût de la souffrance que je la trouvai trois semaines avant sa mort, lorsque je la revis pour la der- nière fois. » Cette belle clarté de Dieu qui était sur elle la ren- dait comme transparente ; sa pensée n'avait fléchi en rien, son àme s'était encore simplifiée ; elle se tenait dans un mouvement de contemplation d'amour aux pieds de son Maître, ayant reçu le sens de l'œuvre divine qu'il accomplissait en elle : cet état ne ressemble plus à ce qui est de nous. 6 SCKUR ELISABETH DE LA TRINITÉ » Sœur Elisabeth de la Trinité a sondé la charité de Dieu, elle a touché l'Etre qui donne; à cette source d'amour elle a trouvé à tlots la grâce qui l'a fait pour ainsi dire trépasser en Dieu par un mouvement plénier et continu. » Fidèle esquisse d'une vie moins humaine qu'angé- lique, dont nous voudrions rendre aussi parfaitement tous les détails ! Le recueillement peut être considéré comme la carac- téristique de cette àme ; du moins nous plaisons-nous à signaler ce trait particulier de sa physionomie, car si l'oraison, l'humilité, l'amour de la soufTrance et la force dans l'épreuve font admirer en elle l'action divine, toutefois ces dons excellents ne fructifièrent en notre petite Sœur que parce qu'elle était ce « Jardin fermé » dont l'Epoux divin se réserve la culture. « Vous ne serez héroïque, lui avait-il été dit, que le jour où vous serez tout à fait recueillie au fond de vous- même. » Cette parole, gravée dans son cœur, accrut encore sa passion du silence et développa cet esprit de solitude, tellement apprécié par elle comme un moyen assuré de sainteté, qu'avant de mourir elle nous a sou- vent répété : « An ciel, je le crois, ma mission sera d'at- tirer les âmes dans le recueillement intérieur, en les aidant à sortir d'elles-mêmes pour adhérer à Dieu par un mouve- ment tout simple et tout amoureux ; de les (farder en ce (jrand silence du dedans cjui permet à Dieu de s'imprimer en elles, de les transformer eii Lui. » Dans le Journal spirituel d'une àme privilégiée nous INTRODUCTION 7 relevions récemment ces paroles qu'elle crut entendre du divin Maître Lui-même : « Pour se revivifier, il faut d'abord que la France se recueille. Il y en a tant que j'appelle aju fond de leur cœur et qui n'entendent pas cet appel (1)!... » Plus providentielle encore nous apparut l'action dévolue à notre angélique Sœur. En effet, bien que plusieurs des grâces attribuées à son intercession appartiennent à l'ordre temporel, il semble être dans la pensée de Dieu d'accréditer avant tout la mission pressentie par l'humble enfant, aujourd'hui si puissante à recueillir les âmes, à les entraîner dans les profondeurs vivifiantes du mystère de l'habitation de la Trinité Sainte en elles. Nous nous expliquons mieux aussi l'étonnante diffu- sion d'un ouvrage qui paraissait devoir n'être accueilli qu'en certains milieux. Depuis 1909, les^ éditions fran- çaises vont se multipliant et bientôt, en sept langues étrangères, louange de gloire, sœur Elisabeth de la Trinité pourra redire son chant d'amour et apprendre à un plus grand nombre comment on peut trouver le Ciel sur la terre. Carmel de Dijon 27 octobre 1912. ilonastère de Saint-Joseph sous la iirolectioii du Cœur agonisant de Jésus et du Cœur transpercé de Marie Immaculée. (1) Lucie-Christine, publié par Auji;. Poulain ; Beauchêne, éditeur, Paris. Comme dans les éditions précédentes nous publions la lettre qu'on va lire ; elle nous initie avec autorité au « très vivant labeur de notre apôtre ». Le Saulchoir-Kain, 5 octobre 1910. Ma Révérende Mère, « Je vous remercie bien vivement d'avoir songé à m'envo^^er cette charmante photographie de Sœur Elisabetli de la Trinité. C'est vraiment elle, avec sa douceur, son recueillement si apaisé, ses traits si purs, ses yeux comme immobilisés par la vision intérieure, et cette attitude de tout son être, qui eût dû vous faire comprendre, si vous aviez pu alors songer à autre chose qu'à la joie de la posséder, que le ciel ne vous la laisserait pas longtemps. » Elle a passé dans la lumière et dans la paix. La lumière, la paix, elle les avait reçues « en dot » dès la première heure, de son céleste Epoux. Elle y demeura établie à toujours. C'est que sa Foi n'avait rien de vague ni d'abstrait. Elle était toute vivante. Comme celle de saint Paul, qu'elle a tant aimé, elle s'appuyait au Christ,, à la contemplation de son mystère et de son action divine dans les âmes. C'est à son appel qu'elle était venue ; ce fut sous les créations de sa grâce qu'elle vécut les années si courtes, mais si divinement belles. 10 SŒUR ÉLISAKETH DE LA TRINITÉ de sa vie religieuse. Quand la nuit parut se faire sur son àine après les clartés (|ui l'avaient d'abord inondée, sa Foi ne l'ut pas troublée. Elle crut à Celui qui l'avait appelée. C'était à Lui de choisir les routes. Elle y marcherait joyeuse, en plein abandon de sa volonté, sûre qu'il savait où II l'emmenait, et que tout son rôle à elle était de le suivre. Même lorsque son pauvre corps épuisé, brûlé par la fièvre, quasi détruit, tint l'àme en des impuissances inouïes, la petite lampe resta allumée tout au fond d'elle. Son Maître saint, le Christ crucifié, n'était-il pas le Dieu tout amour? Elle continua de l'aimer dans la paix divine de ses commencements. » Je me laisse aller à mes souvenirs, ma Révérende Mère, et ce que je vous dis, vous le savez bien mieux que moi. Ce que vous savez peut-être moins, bien que l'écho vous en arrive chaque jour, c'est ce que j'ai saisi tant de fois sur le vif en vos Carmels ou en nos cloîtres dominicains, et parfois jusque dans le monde, c'est l'attraction profonde que votre Sœur exerce sur les âmes intérieures, les éveils divins qu'elle y suscite, le sentiment qu'on garde, à la suite, de sa mystérieuse présence, et les grâces de lumière et de force qui en sont le fruit. A la contempler si prise par Dieu, si initiée par ses grands silences au mystère du Christ, si unie à son sacrifice, si perdue en l'adoration de la Trinité sainte, combien de ses sœurs ont reçu le choc qui « fait toutes choses nouvelles » sous le regard! Combien ont constaté cette grâce de vivre sous le rayonnement de cette âme, ((ui ouvre si pleinement sur Dieu, sur Dieu seul, et, comme elle, se sont senties devenir captives LETTRE 11 de la lumière et du Christ, foyer de cette lumière, à des profondeurs inconnues d'elles jusque-là. » Je ne sais ce que Celui qu'elle a tant aimé fera pour la glorifier plus tard; mais s'il y a un don qui révèle la sainteté, c'est bien celui qui permet de prendre ainsi les âmes à fond, de les sortir d'elles-mêmes et de tout l'humain, de les amener, toutes joyeuses de leur délivrance, au Dieu crucifié par amour, et de les fondre en un avec Lui. Or, ce don, notre « Louange de Gloire » l'exerce irrésistible sur ceux qui lisent les « Souvenirs », et c'est une action qui demeure, et ceux qui en sont l'objet ont le sentiment que tout sera autre désormais entre Jésus-Christ et eux. Ils n'ont qu'une peur, « la peur jusqu'à l'angoisse », de votre saint Jean de la Croix, de n'être pas fidèles jusqu'au bout, et de retomber par leur faute dans les inconsciences et les à peu près où ils savent maintenant qu'ils avaient vécu jusque-là. » Vous vous rappelez que Sœur Elisabeth avait le pressentiment de ce rôle qui lui serait départi au ciel : je ne sais pas de preuve plus impressionnante de la sainteté. » A Dieu, ma Mère, je vous bénis et vous renouvelle encore mon respectueux merci. » Fr. G. Vallée, des Fr. Prêch. I. LES PRÉVENANCES DIVINES « II est de la plus haute importance que l'âme s'exerce beaucoup à l'amour, afin que, se consommant rapidement, elle ne s'arrête point ici-bas, mais arrive promptement à voir son Dieu face à face. » Saint Jean de la Croix. CHAPITRE PREMIER Premières années. Famille d'Elisabeth. — Naissance et éducation de l'enfant. — Défaut naturel corrigé par le cœur. — Mort de son père. — Conversion. — Talent musical. — Première communion. — Maison de Dieu. — Séjours à Carcassonne. Dieu qui ordonne à ses Anges de veiller sur nos voies (1), préparait avec amour celles de Sœur Elisabeth de la Trinité lorsqu'il constituait le foyer auquel devait être confiée cette àme prédestinée. Son père, M. François-Joseph Catez, appartenait à l'une de ces familles du Nord' chez lesquelles les prin- cipes religieux et les sentiments élevés se transmettent comme la véritable gloire. Au cours de la carrière mili- taire qu'il avait embrassée, « il s'attira toujours l'es- time de ses chefs, l'affection de ses égaux, l'attachement de tous par sa loyauté, la justesse de son esprit, les nobles qualités de son cœur (2) ». (1) Ps. XC, 11. (2) Extrait d'un discours prononcé sur la tombe du capitaine Catez par le commandant de C..., et reproduit dans la Semaine religieuse de Dijon. 16 SŒUR ELISABETH DE LA TULMTÉ La divine Providence lui avait ménagé une alliance digne de ses mériles dans la famille Rolland, d'origine méridionale, dont le nom avantageusement connu dans l'armée, rappelait aussi le culte de la religion, de l'hon- neur et de la patrie. Lorraine par sa mère, M"^ Marie Rolland en avait la foi simple et vaillante ; une grande délicatesse d ame la disposait à la mission qui lui était réservée. Admi- ratrice enthousiaste de la grande Réformatrice du Carmel, elle se plaisait à transcrire les plus belles pages de ses Œuvres, ne se doutant guère que par ces extraits, elle mettrait un jour l'àme de son enfant en communication avec l'àme de la séraphique Mère et la nourrirait ainsi, toute jeune encore, de « sa céleste doctrine (1) ». Dès la première heure, la protection divine entoura l'existence bien chère dont ces pages doivent conserver la mémoire. Tout était joie dans l'attente du petit être qui devait compléter le bonheur de ses parents. Mais bientôt cette joie fait place aux plus grandes alarmes : on s'inquiète de la mère et l'on désespère de l'enfant. Mû par sa foi profonde, le capitaine Catez court chez l'aumônier du camp d'Avor et lui demande de célébrer la Messe pour conjurer le malheur qu'il redoute. Le prêtre monte à l'autel, et tandis que l'oblation sainte s'élève vers le trône de Dieu, la grâce en descend ; les cœurs renaissent à l'espérance, et vers la fin du dernier évangile, la petite Elisabeth fait son entrée dans la vie, 18 juillet 1880. (1) Oraison de la I'cIl' de sainte Térèse. PREMIÈRES ANNÉES 17 C'était un dimanche, coïncidence qu'elle envisagera, dans la suite, comme un premier appel à sa vocation spéciale, à ce qui, du moins, fut la caractéristique de sa vie religieuse : être à la sainte Trinité une louange de gloire. Son baptême, en la fête de sainte Marie-Madeleine (22 juillet), pourrait être également regardé comme un signe de la Providence, qui, sous des circonstances fortuites en apparence, cache parfois tout un plan divin. Régénérée sous les auspices de l'illustre Pénitente, l'enfant, de bonne heure, lui voua un culte particulier, et, dans sa pure jeunesse, eut avec elle plus d'un trait de ressemblance (1). Blessée du même amour, elle com- prenait ces recherches ardentes, ces longs silences aux pieds du Sauveur, ce besoin de le suivre jusqu'au Calvaire, jusqu'à l'union parfaite qu'il accorde à ses privilégiés. Cependant, les premières années ne firent rien pré- sager de l'avenir. D'un caractère très vif, Elisabeth se signala, jusqu'à sept ans, par des accès de colère qui contrastaient avec la douceur extrême de sa petite sœur Marguerite, plus jeune de deux ans. Il aurait fallu que (1) Elisabeth était lieureuse d'associer cliaque année à la mémoire de son baptême celle de sa chère Sainte. En 1905. elle écrivait à cette occasion : « C'est demain la fête de sainte Madeleine, dont la Vérité a dit : « Elle a beaucoup aimé ». C'est aussi fête pour mon âme, car je célèbre l'anniversaire de mon baptême, et puisque vous êtes le prêtre de l'Amour, voulez-vous bien, à la sainte Messe, me consacrer à Lui ; baptisez-moi dans le sang de l'Agneau afin que, vierge de tout ce qui n'est pas Lui, je ne vive que pour aimer d'une passion toujours croissante, jusqu'à cette heureuse unité à laquelle Dieu nous a prédestinés en son vouloir éternel et immuable. 18 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ tout cédât à sa volonté (1). Heureusement, la tendresse intelligente de sa mère n'excluait pas la lermeté, appuyée qu'elle était à un vrai sens surnaturel, trop rare même aux foyers chrétiens. M""" Catez entreprit sans découra- gemenl l'éducation de sa fille, d'autant plus qu'elle découvrait en celle petite nature indisciplinée, des res- sources peu ordinaires de cœur et d'énergie. Elle y fit appel. La grande punition de l'enfant, celle qui triom- phait de ses opiniâtretés, était la privation du baiser maternel avant le repos du soir. Elisabeth bénira un jour sa mère qui lui avait appris à se vaincre par amour. Précieuse leçon ! Devenue plus tard la loi de cette âme, elle la conduira, d'effort en effort, jusqu'aux sommets ardus de la perfection. De Bourges, la famille Catez vint en Bourgogne ; à Auxonne d'abord, puis à Dijon où l'épreuve ne tarda pas à la visiter. Dieu rappela presque aussitôt à lui le grand-père maternel d'Elisabeth. M. Rolland, homme d'une rare distinction, était avant tout un vaillant chré- tien. Habile dans « l'art d'être grand-père », il savait se mettre à la portée de ses petites-filles et captiver leur attention par de charmants récits propres à former leurs jeunes cœurs. Elisabeth pleura beaucoup son vénérable aïeul. Huit mois après, son père fut ravi presque subitement à l'alfection des siens. Il ne semble (1) Si douce était notre angélique S /iT/ai\u'/\'i, ni la ôon/france ; crue y e ôoiô aoimee en ooicô... <=Xrene^--mai, prenez-moi oien io-aé entière. ADIEUX AU MONDE 81 » mot des âmes comme la vôtre. Il acceptera ce don de » vous-même ; en entrant au Carmel, n'ayez pas d'illu- » sions, vous vous jetez dans l'abîme de la souffrance ; » laquelle Dieu vous réserve-t-il, je l'ignore, peut-être » toutes puisque vous voulez être semblable à votre » Jésus... Cet abîme est sans fond... » Elle me répon- dait avec son large et doux sourire : « Je m'y plonge à » l'avance! Oh! j'espère bien souffrir; je ne vais au » Carmel que pour cela, et si le bon Dieu m'épargnait » un seul jour, je craindrais qu'il ne m'oubliât ! » » Par moments, prise de cette nostalgie du ciel qu'ont connue tous les saints, elle regardait la mort avec envie, car la mort c'était la destruction de l'obstacle qui la séparait de la vision divine. Que de fois elle m'a dit avec un regard enflammé, comme l'enfant exilé qui parle du home qui l'attend : « Oh! pour moi la » mort, c'est ce mur qui s'écroule (elle me montrait le » mur de ma chambre), et je tombe dans les bras de » mon Bien-Aimé. » Cette phrase sortait de son cœur comme un cri d'espérance ; puis calme et sereine, elle disait : « Il faut attendre ! » Elle n'a pas attendu long- temps, la chère petite, car elle a aimé « jusqu'à en mourir ». Et Dieu ne l'a pas oubliée un jour, car elle a souffert comme elle le désirait aussi, « jusqu'à en mourir ». » Elle venait me voir souvent et toutes nos conversa- tions roulaient sur le même sujet : « Quand donc » pourrai-je entrer au Carmel? Comme il fait bon » d'aimer Dieu ! Je ne pourrai dilater mon âme dans » cet amour, qu'isolée dans le cloître... J'ai hâte d'y aller » pour prier, souffrir, aimer. » 82 SŒUR ÉLISAIJETH DK LA TRINITÉ » En dehors de ces épaiichenients, elle ne se faisait remarquer en rien. Elle était d'une gaîté tranquille, comme l'âme paisible qui reste toujours souriante, mais d'un sourire sérieux et avec ce regard profond qui sem- blait déjà voir au delà de ce monde. Ce regard extraor- dinaire m'a saisie la veille de son entrée dans le cloître, .le l'attendais à la chapelle pour lui dire un dernier adieu ; j'entends un léger bruit ; je me retourne, et mes yeux rencontrent les siens... Jamais je ne pourrai exprimer ce que j'y ai vu... Ce n'était plus un regard humain, mais quelque chose d'angélique ! Ses yeux étaient lumineux, transparents ; ils brillaient d'un éclat céleste... J'en suis restée impressionnée pour toujours. Je la voyais en dehors des grilles pour la dernière fois... » Avant d'introduire Elisabeth dans le cloître, encore un souvenir!... Il met en lumière la vertu de la géné- reuse postulante, toujours appliquée à se renoncer et si bien établie dans l'abandon. Au début de ses rapports avec la Mère Prieure de Dijon, elle avait trouvé celle-ci préparant la fondation d'un Carmel à Paray-le-Monial. Il était tout naturel que l'on pensât à joindre cette âme d'élite au petit groupe choisi par le divin Maître : ne réalisait-elle pas l'idéal de sainte Térèse pour les sujets de ses fondations ! Quel exemple et quelle bénédiction pour asseoir un novi- ciat! La Révérende Mère avait donc offert à Elisabeth de partager la grâce des élues du Sacré-Cœur. Celle-ci, croyant plus parfait de ne faire aucun choix, mais d'en- trer simplement dans la proposition, avait accepté sans ADIEUX AU MONDE 83 avouer une préférence pour le Carmel de Dijon, qui l'at- tirait depuis si longtemps et où elle se sentait déjà fixée. D'autre part, les travaux d'une fondation, grâce réelle pour certaines âmes par le vaste champ ouvert à la vertu, répugnaient à celle d'Elisabeth, qui avait besoin de trouver établie dans son fonctionnement régulier, cette vie de solitude et d'oraison qu'elle désirait ardem- ment. Plus le terme approchait, plus la chère enfant sen- tait augmenter la souffrance intime de la violence qu'elle faisait à son attrait, et plus aussi elle apportait d'énergie à dominer ses impressions. Ne s'était-elle pas « livrée tout entière à Dieu pour qu'il arrangeât toutes choses selon son bon plaisir, ne se réservant que de l'aimer d'un amour fort et généreux? » La vue du chagrin de sa mère et de sa sœur, aug- mentant sa peine, l'engageait bien davantage encore à garder le silence, par crainte de faire intervenir la nature dans une question d'ordre tout surnaturel. Elle se laissa donc faire : c'était la loi de son amour. Déjà son trousseau de postulante l'avait précédée à Paray-le-Monial ; le jour du départ n'était pas éloigné. Cependant M'""" Catez, accablée par la perspective d'une plus complète séparation, regrettait que la Mère Prieure à laquelle elle avait promis son Elisabeth, fît une fon- dation. Sa conscience délicate ne se croyait plus le droit de revenir sur sa promesse. Elle s'en ouvrit à une amie qui lui conseilla de soumettre le cas à quelqu'un d'au- torisé. L'avis fut suivi, et M'"^ Catez, encouragée à garder sa fille, en avoua le désir à la Mère Prieure de Paray. La réponse fut celle d'une âme qui ne regardait qu'à la 84 SŒUR ÉLISAHETH DE LA TRINITÉ volonté de Dieu sans se laisser arrêter par les sacrifices que, depuis plusieurs mois, cette divine volonté demandait à son cœur. « Vous savez sans doute, écrivit la Prieure à la chère postulante, que votre mère et Marguerite m'ont demandé de vous laisser à Dijon ; d'autre part, il semble que ce soit aussi votre désir. En tout cela je vois la volonté du bon Dieu que nous devons aimer et faire sans arrière- pensée. Donnez-vous à Notre-Seigneur où II vous veut ; je ne vous aurais amenée ici que si // l'avait voulu. Je vous reçois donc pour Dijon, ma chère enfant; apportez-y tout ce que vous avez de cœur et d'àme pour aimer Notre-Seigneur. Je voudrais bien être là pour vous offrir à Lui, je ne le puis, étant retenue par des affaires ; mais ma prière et mon cœur y seront pour vous bénir. » (( Alors seulement, rapporte Marguerite, Elisabeth m'avoua que la perspective de ne pas entrer au Carmel de Dijon lui avait été bien pénible, mais qu'elle avait pensé se sacrifier plus complètement en se renonçant, même dans la question du monastère. » Cependant la santé de sa fille se ressentant des émo- tions des derniers jours, M""^ Catez s'oublia courageuse- ment, et vint nous prier de devancer la date fixée pour l'entrée de son Elisabeth au Carmel : le 2 août, nos portes s'ouvrirent à l'heureuse élue. Les dernières heures d'intimité de ces êtres tendre- ment unis ont un caractère de simplicité touchante. On était à la veille du premier vendredi du mois. Fidèle à son rendez-vous de Gethsémani, Elisabeth venait de passer en prière une partie de la nuit, quand sa ADIEUX AU MONDE 85 pauvre mère, incapable de repos, vint s'agenouiller près de son lit, donnant libre cours à ses larmes, auxquelles se mêlaient celles de la tendre enfant, qui ne cherchait pas à dissimuler le brisement de son cœur. « Alors pourquoi me quitter, disait la mère? — Ah! ma chère maman, puis-je résister à la voix de Dieu qui m'appelle? Il me tend les bras et me dit qu'il est méconnu, outragé, délaissé. Puis-je l'abandonner, moi aussi? Il veut des victimes, il faut que je parte malgré mon chagrin de vous laisser, de vous plonger dans la dou- leur; il faut que je réponde à son appel. » Le moment venu d'abandonner pour toujours le foyer domestique, Elisabeth alla s'agenouiller devant le por- trait de son père, lui demandant sa bénédiction. Après cela, vaillante et sereine, elle vint assister à la Messe dans notre chapelle. Sa mère, sa sœur et quelques fidèles amies l'accompagnèrent à la Table sainte, puis à la porte, conventuelle, qui se referma sur un dernier regard à celles qu'elle chérissait si tendrement. Dès l'aube de ce grand jour, elle avait adressé les lignes suivantes à Carcassonne. Vendredi, 2 août 1901. « Avant d'entrer au Carmel, je veux vous envoyer un dernier souvenir. Nous allons communier à la Messe de huit heures, et, quand II sera dans nos cœurs, maman me conduira à la porte de clôture. J'aime ma mère comme jamais je ne l'ai aimée, et au moment de consommer le sacrifice qui va me séparer de ces deux 86 SŒUR ELISABETH I)K LA TRINITÉ ètrcs si chers, quelle paix inonde mon ànie ! Ce n'est déjà plus la terre, je sens que je suis toute à Lui, que je ne garde rien; je me jette en ses l)ras comme un petit enfant. » C'est bien ainsi, avec l'abandon et la simplicité d'un petit enfant, qu'elle tomba dans les bras de celle qui devait lui tenir la place de Dieu (1). (1) La Mère Sous-Prieure, en l'absence de la Révérende Mère Prieure retenue à Paraj'-le-Monial. Les élections allaient la placer à la tête de la communauté. II. AU CARMEL « Le bonheur de ma vie, c'est l'inti- mité au dedans avec les Hôtes de mon âme. » Sœur Elisabeth de la Trinité. CHAPITRE VI Le Postulat. Le Carmel dans ses grandes lignes. — Joj'^eux élan. — Voie de recueillement. — Premiers échos de la solitude. — Fervente préparation. — La vêture. Le 2 août 1901 qui vit les portes du Carmel s'ouvrir à l'heureuse postulante, était le premier vendredi du mois, jour consacré aux souffrances du Sauveur et à la réparation, double attrait d'Elisabeth lorsqu'elle entra dans notre monastère du Cœur agonisant de Jésus. Là jusqu'à la mort, sous la grâce du mystère qui si longtemps avait nourri son oraison, elle devait pour- suivre son office d'ange consolateur, réalisant le désir de sainte Térèse en ses fondations : « Donner à Notre - Seigneur des amis d'un dévouement à toute épreuve, à l'heure où tant d'autres l'oublient et l'offensent. » Tandis que le divin Maître, exposé sur son trône eucharistique, recevait ses premières adorations, nous nous réjouissions en nos cœurs d'offrir à son souverain 90 SŒUR ÉLISAHKTII DK LA TRINITÉ Sacerdoce cette blanche hostie ({u'était bien la virginale enfant. « C'est une âme toute céleste, comme il en passe peu même clans les cloîtres », disait le Révérend Père Dominicain venu pour consacrer sa généreuse oblation. Ce mot la résume tout entière à l'aurore de sa vie reli- gieuse. Elle avait traversé le monde dans la fraîcheur immaculée de son innocence, réalisant cette devise d'une autre àme d'élite : « Ne me touchez pas... je passe... » Au Carmcl elle passera comme une flamme et comme l'encens qui se consume dans le feu (1). Ses dons de nature et de grâce font pressentir ce qu'elle sera dans son nouveau milieu. L'esprit érémi- tique dont sainte Térèse dota ses couvents la caracté- risait déjà; fidèle au milieu des fêtes du monde à la cel- lule intérieure qu'elle s'était construite au fond du cœur, sur la sainte Montagne, elle devait « s'enrichir rapide- ment des trésors de la solitude ». Une maxime de nos anciennes Mères résumant ce caractère propre de la Réforme térésienne : Viure seule avec le Seul, la ravit dès les premiers jours et devint comme le mot d'ordre de sa vie religieuse. Quant à l'oraison dont la séraphique Mère entendait faire \e ciment de ses monastères, n'était-elle pas familière à la chère postulante? Enlin, nous connaissons l'esprit de pénitence et le zèle apostolique qui l'animaient : c'était déjà le Carmel dans ses grandes lignes. Les débuts de Sœur Elisabeth de la Trinité furent (1) Ecclés., L, 9. LE POSTULAT 91 un joyeux élan dans la sainte carrière. Tout la char- mait, et d'abord son nom qui exprimait *i bien le caractère de son alliance avec Dieu. Pour y corres- pondre, elle entra dans un profond recueillement qui devait la livrer tout entière à ses « Trois ». Ce recueillement nous frappa dès le premier exercice de communauté. C'était au réfectoire ; après avoir achevé son repas, la pieuse enfant, les paupières closes, joignit les mains sous sa pèlerine, révélant par toute son attitude un mouvement profond d'oraison, plutôt qu'un simple acte de recueillement. Pour elle, l'effort eût été de lever les yeux. Une jeune sœur chargée du service, frappée d'un maintien déjà si religieux et d'une telle désoccupation de toutes choses, se disait : « C'est trop beau pour durer ; on n'arrive pas à un pareil esprit de mort du jour au lendemain. » Cependant jusqu'à la fin, jamais on ne devait surprendre un regard inutile au cours des exercices conventuels : c'était partout la même modestie, la même absorption en Dieu. Avertie qu'elle pouvait et devait se rendre compte des lieux et des choses. Sœur Elisabeth le fit, mais avec une certaine contrainte; on sentait qu'elle ne perdait pas de vue le Maître divin. « Au jardin, dans les cloîtres, en tous lieux, disait-elle, Il est tellement là, qu'un léger voile semble seulement nous séparer et qu'il est tout près d'appa- raître. » Sur un ton plus enjoué, elle écrivait dans le même sens à sa famille : « Vous aimez les détails, voici quelque chose d'intéressant. Nous avons fait la lessive. Pour la circonstance, j'ai retroussé ma robe, mis un 92 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ grand tablier par-dessus, et pour compléter, j'ai chaussé des sabots. Je suis ainsi descendue à la buanderie où Ton frottait tant et plus, et j'ai essayé de faire comme tout le monde. Je barbottais et in'éclaboussais pas mal, mais peu importe, j'étais ravie. Oh ! voyez-vous, tout est délicieux au Carmel, on trouve le bon Dieu à la les- sive comme à l'oraison; il n'y a que Lui partout ; on le respire, on le vit. Je suis bien heureuse ! Mon horizon grandit chaque jour. » A celui qui, depuis quinze ans confident de son grand secret, avait suivi toutes les phases de son histoire intime et qui console aujourd'hui sa mère : « C'est de tout mon cœur, écrit-elle, que je viens vous remercier de vos bontés pour ma chère maman : ce qu'elle m'a dit ne m'a point étonnée. Vous savez combien je vous suis reconnaissante; je ne passe pas un jour sans prier pour vous. J'ai conscience que tous les trésors renfermés dans l'àme du Christ sont à moi, aussi je me sens infi- niment riche. Avec quelle joie je viens puiser à cette source pour ceux que j'aime et qui m'ont fait du bien. » Que le bon Dieu est bon ! Je ne trouve pas d'expres- sion pour dire mon bonheur; chaque jour je l'apprécie davantage. Ici, il n'y a plus rien que Lui. Il est tout. Il suffit à tout. J'aime, entre toutes les heures, celle du grand silence, et c'est pendant celle-ci que je vous écris. Représentez-vous Elisabeth dans sa petite cellule qui lui est si chère; c'est notre sanctuaire rien que pour Lui et moi ; vous devinez les bonnes heures passées là avec mon Bien-Aimé ! Tous les dimanches, nous avons le très Saint-Sacrement exposé dans un petit oratoire intérieur; quand j'ouvre la porte et que je contemple le LE POSTULAT 93 divin Prisonnier qui m'a faite sa captive dans ce cher Carmel, il me semble un peu ouvrir la porte du ciel ! Alors je place devant mon Jésus tous ceux qui sont dans mon cœur, et là près de Lui, je les retrouve ; vous voyez que bien souvent je pense à vous, mais je sais aussi que tous les matins, en offrant le saint Sacrifice, vous avez un souvenir pour votre petite Carmélite, qui vous confia son secret il y a fort longtemps. Je ne regrette pas ces années d'attente : mon bonheur est si grand qu'il fallait bien l'acheter. Oh ! que le bon Dieu est bon!... » J'aime vivre en ce temps de persécution. Qu'il faudrait être sainte ! Demandez pour moi cette sainteté dont j'ai soif; oui, je voudrais aimer comme les saints, comme les martyrs. » A sa mère : « Dimanche, fête de Notre-Dame des Sept Douleurs, j'ai pensé que c'était un peu ta fête, ma chère maman : aussi avec quelle ferveur j'ai prié pour toi ; j'ai mis ton âme dans celle de la Mère des douleurs et lui ai demandé de te consoler. Nous avons, dans le fond du cloître, une statue de Mater dolorosa à laquelle j'ai beaucoup de dévotion; tous les soirs je vais lui parler de toi. J'aime tant ces larmes de la Vierge, je les unis à celles que ma pauvre maman verse en pensant à son Elisabeth. Que ne peux-tu lire en mon âme, tu verrais tout le bonheur que je goûte au Carmel ; bonheur mieux ressenti chaque jour et connu de Dieu seul! Quelle belle part II a faite à sa pauvre petite ! Si un 94 SŒUll liLlSAUKTH DK LA TRINITK instant lu pouvais voir tout cela, tu serais obligée de te réjouir [)uisqu'il nie l'allait ton fiai pour entrer en ce coin du ciel. Merci encore de l'avoir prononcé si coura- geusement. » Le bon Dieu l'aime, et la fille te chérit plus que jamais. » A une petite amie inconsolable de son départ, elle essaie de faire comprendre aussi cette joie profonde. Elle la rassure du moins au sujet de sa santé quelque peu ébranlée par les dernières émotions : « Si tu savais combien je suis heureuse, tu ne pourrais plus pleurer, mais tu remercierais Dieu pour moi. Tu te demandes peut-être comment je puis goûter tant de joie, puisque pour entrer dans cette chère solitude, j'ai laissé ceux que j'aime. J'ai tout en Dieu, et ceux que j'ai quittés, je les retrouve près de Lui. Nous ne sommes pas séparées, les grilles n'existeront jamais pour nos cœurs, et le mien sera toujours le même. Au Carmel, il se dilate et sait aimer encore plus. » Le bon Dieu m'a remontée sans poudres ni quin- quina ; ma santé se fortifie chaque jour et j'ai un appétit dévorant. On me soigne bien, tu peux être rassurée sur mon compte. Je dors sur noire paillasse d'un sommeil que je ne connaissais plus. La première nuit, je ne me sentais pas bien solide, je pensais qu'avant le jour j'aurais roulé d'un côté ou de l'autre ; mais pas du tout, et maintenant que la connaissance est faite, ce lit me paraît délicieux. Tout est bon au Carmel, le temps LE POSTULAT 95 y passe vite et, d'autre part, il me semble que J'ai toujours vécu en ce cher monastère. » Douce et obéissante comme dans le monde, au cloître elle fit paraître, dès la première heure, une charité pleine d'épanouissement, qui révélait bien l'Hôte divin de cette petite maison. Sa voisine de cellule, habituellement éprouvée par de forts maux de tête, redoutait le plus léger bruit, Sœur Elisabeth régla en conséquence ses moindres mouvements pendant cinq années, sans jamais paraître contrariée d'assujettissements même exagérés par sa charité; s'oublier pour les autres lui était une seconde nature. Exercée depuis longtemps dans la pratique des vertus, elle y avait acquis une telle souplesse qu'elle semblait n'avoir aucun effort à faire pour se vaincre, et si nous n'avions connu son extrême sensibilité, elle eût passé pour indifférente au frottement inévitable des caractères (1). (1) Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt pour ceux qui font de la lecture des Souvenirs une étude d'âme, de trouver ici le ques- tionnaire rempli par notre petite Sœur sous forme récréative du noviciat huit jours après son entrée au Carmel : D. Quel csl selon vous l'idéal de la sainteté ? — R. Vivre d'amour. D. Quel est le moyen le plus rapide pour ij parvenir? — R. Se faire toute petite, se livrer sans retour. D. Quel est le saint que vous aimez le mieux? — R. Le disciple bien-aimé qui reposa sur le cœur de son Maitre. D. Quelle est la sainte que vous préférez et pourquoi? — R. Notre sai/i/e Mère Térèse, parce quelle mourut d'amour. D. Quel est le trait dominant de voire caractère? — R. La sensi- bilité. D. Votre vertu de prédilection! — R. La pureté. « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. » 96 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Son postulat fut le rayonnement d'une vie intérieure établie sur les fondements les plus solides, et cette intimité divine, Sœur Elisabeth la dépeint dans la lettre suivante : « Vivre, pour une Carmélite, c'est communier à Dieu du matin au soir et du soir au matin. S'il ne rem- plissait pas nos cellules et nos cloîtres, comme ils seraient vides ! Mais à travers tout, nous Le voyons, car nous Le portons en nous, et notre vie est un ciel anticipé... » Et encore : « La prière est un repos, un délassement ; on vient tout simplement à Celui qu'on aime, on se tient près de Lui comme un petit enfant dans les bras de sa mère, et on laisse aller son cœur. » Ses journées tout entières étaient visiblement cette communion perpétuelle à Dieu dont elle parle. Le silence du Carmel faisait ses délices, ce cher silence qui lui permettait de rester « aux écoutes » du côté du ciel! « Vous me demandez quelles sont mes occupations, écrivait-elle un jour à une amie, je pourrais vous D. Le défaut qui vous inspire le plus d'aversion ? — R. L'égoïsme en général. D. Donnez-nous une définition de l'oraison. — R. L'union de celle qui n'est pas avec Celui qui est. D. Quel livre préférez-vous 9 — R. L'âme du Christ, elle me livre tous les secrets du Père qui est aux deux. D. Avez-vous de grands désirs du ciel? — R. J'en ai parfois la nostalgie, mais, sauf la vision, je le possède au plus intime de mon âme. D. Un genre de martyre vous plairait-il davantage? — R. Je les aime tous, surtout celui de l'amour. D. Quel nom voudriez-vous avoir au ciel? — R. Volonté de Dieu. D. Quelle est votre devise r' — R. Dieu en moi, moi eu Lui. LE POSTULAT 97 répondre qu'il n'y en a qu'une pour la Carmélite : aimer et prier. Mais parce qu'elle est encore sur la terre, quoique vivant déjà dans le ciel, elle doit, tout en se livrant à l'amour, s'occuper, afin d'accomplir la volonté de Celui qui, le premier, s'est soumis au travail pour nous donner l'exemple. Nous commençons notre journée par une heure d'oraison ; ensuite nous récitons le saint Office, puis nous assistons à la Messe. A deux heures, vêpres ; à cinq heures, l'oraison jusqu'à six heures. A huit heures moins un quart, compiles; ensuite jusqu'à matines, qui se disent à neuf heures, nous prions ; ce n'est que vers onze heures que nous quittons le chœur pour aller prendre notre repos. Dans la journée, nous avons deux heures de récréation ; en dehors de cela, nous gardons le silence. Lorsque je ne suis pas employée ailleurs, je travaille dans notre cellule : une paillasse, une petite chaise, en voilà le mobilier; mais c'est plein de Dieu, et j'y passe de bonnes heures avec l'époux ! La cellule, c'est quelque chose de sacré, c'est un sanctuaire intime rien que pour Lui et sa petite épouse ; nous sommes si bien tous les deux! Je me tais, je l'écoute, je l'aime, tout en tirant l'aiguille dans cette chère bure que j'ai tant désiré porter. » Cependant les mois s'écoulaient, et la chère enfant aspirait ardemment à revêtir les saintes livrées de la Vierge Immaculée, « Reine et gloire du Carmel ». Notre manteau, symbole de pureté, la charmait particulière- ment. Quand donc s'approcherait-elle de la Table eucharistique enveloppée de sa blancheur? Elle se le 98 S(KUR ELISABETH DE LA TRINITÉ demandait chaque jour, el lit plus : interrogea sainte Térèse elle-même, et la pria de prendre sa cause en main. Nous étions dans l'octave de sa grande solennité du 15 octobre. Sœur Elisabeth passait en oraison, près de la relique exposée en l'ermitage de la Sainte, l'heure qui sépare les compliesdes matines. Un soir qu'elle réitérait plus ferventes encore ses supplications pour obtenir, avec le double esprit du Carmel, le manteau qui, pour elle aussi, devait être le signe d'une béné- diction spéciale, il lui fut dit intérieurement qu'il lui serait donné en la fête prochaine de l'Immaculée Conception. Dès le lendemain, elle confia la chose à la Mère Prieure. Celle-ci, pour l'humilier, lui dit qu'avant de songer à revêtir l'habit d'un Ordre, il fallait en acquérir l'esprit et les vertus ; Sœur Elisabeth reçut cette petite épreuve avec son calme accoutumé et se retira douce et sereine. Un mois plus tard, le Chapitre délibérait de son admission à la vêture. L'informant qu'elle aurait à en faire la demande le jour même, la Mère Prieure l'engagea à beaucoup prier : « Je ne sais ce que le bon Dieu et la communauté décideront, lui dit-elle ; quelle que puisse être la réponse qui vous sera donnée, pré- parez-vous à la recevoir dans la même paix. Vous avez encore beaucoup à acquérir, peut-être serez-vous ajournée. — Il est vrai, ma Mère, répondit-elle avec simplicité, je suis bien imparfaite, mais je crois que le bon Dieu veut me faire cette grâce ; quant à mes sœurs, pourront-elles me la refuser? Elles doivent m'aimer, je les aime tant ! » LE POSTULAT 99 L'unanimité des voix prouva l'unanimité des cœurs à l'endroit de cette jeune sœur déjà si chère à sa famille religieuse. Toute à l'action de grâce, Sœur Elisabeth de la Trinité s'en remit, pour sa préparation, à Celui-là même dont elle se savait tant aimée. Le divin Maître répondit à son attente, opérant en son âme des effets si puissants qu'elle semblait parfois défaillir. « Je ne puis plus porter ce poids de grâces », disait-elle. Ses désirs du ciel n'en devenaient que plus ardents ; comme l'Epouse des Cantiques, elle languissait dans l'attente de la vision, de l'éternelle union; saintes langueurs que tempéraient seules l'impression constante du terme prochain de son attente et l'espérance de beaucoup souffrir pour Dieu. Nous n'avons qu'à ouvrir le Cantique spirituel de notre Père saint Jean de la Croix pour lire, en ces pages admirables, l'histoire intime de Sœur Elisabeth de la Trinité : « Si l'âme cherche le Seigneur avec la même ardeur qu'elle chercherait un trésor, elle le trou- vera, dit le Saint. L'âme embrasée d'amour cherche donc son Bien-Aimé avec plus d'ardeur que tous les trésors du monde, puisque pour lui plaire elle a renoncé à tout et s'est complètement détachée d'elle-même. Il arrive parfois que l'on jette de l'eau sur le feu d'une forge pour l'attiser davantage et augmenter l'intensité de la chaleur. Le Seigneur en agit de même envers les âmes en proie à ces langueurs d'amour. Il leur fait entrevoir quelque chose de son incomparable excellence afin d'exciter leur ferveur et de les disposer ainsi plus parfaitement à recevoir les grâces qu'il se 100 S(i:UH ELISABETH DE LA TRINITÉ prépare à leur accorder. L'àme ayant vu et senti dans une certaine mesure le souverain bien et l'admirable beauté que cache l'obscurité de cette mystérieuse pré- sence, se meurt du désir de voir tomber ces voiles (1). » Ainsi Sœur Elisabeth de la Trinité était-elle préparée par Dieu même à la transformation intérieure dont sa vèture n'était pour elle que le symbole. Quand la date de la cérémonie avait été mise en question, enfant d'obéissance et d'abandon, elle n'avait exprimé aucun désir en faveur de l'espérance toujours vivante au fond de son cœur. Les dispositions de sa famille, pas plus que la liberté du prédicateur, n'avaient paru devoir concorder avec la promesse de sainte Térèse, et la prise d'habit avait été fixée au 27 décembre, fête de l'apôtre saint Jean ; mais on se trouva de part et d'autre dans l'obligation d'anticiper, si bien que Sœur Elisabeth put écrire à Carcassonnc : « C'est en la belle fête de l'Immaculée Conception que Marie me revêtira de sa chère livrée du Carinel ; je vais me préparer au grand acte de mes fiançailles par une retraite de trois jours. Oh ! quand j'y pense, je ne me sens déjà plus de la terre. Priez beaucoup pour votre petite Carmélite, afin qu'elle soit toute donnée, toute livrée, et qu'elle réjouisse le cœur de son divin Maître. » Le 8 décembre 1901, ses vœux ardents furent donc réalisés. Et c'était un dimanche!... Coïncidence qui fut une grande joie pour cette àme toujours plus appliquée (1) Cantique spirituel, str. XL lîeprodvclivn il SŒUR ELISABETH DE LA TRINITE LE JOUR DE SA VÈTURE Sœur Elisalieth de la Triuité est prise loninie elle sort du loffis des Sœurs ïourièrcs, où elle vient de s'an-acher à la tendresse maternelle. Son âme et son regard s'élèvent vers Celui qui seul est dipne du sacrifice qu'elle accomplit, et lui redisent : Stiyntur, m la simplicité île mon rimir jt viius ai toiil dcmiié. LE POSTULAT 101 au mystère de la sainte Trinité : la Vierge toute pure l'offrait comme une hostie de louange à la gloire des trois divines Personnes. L'heureuse enfant, dans ce beau jour, fut ravie à tel point qu'elle perdit conscience des choses la concernant et se passant autour d'elle. La Prieure le comprit en la recevant à la porte de clôture et se demanda comment se terminerait la cérémonie. En échange d'un cœur totalement à Lui, le divin Maître comblait la généreuse novice d'une pléni- tude d'amour dont elle ne pouvait plus soutenir les effets. Ici s'achève la première étape de sa vie religieuse. Sœur Elisabeth de la Trinité avait goûté les douceurs, les enivrements du Thabor ; mais devait-elle dresser là sa tente ? Comme les apôtres, comme les saints, elle était appelée à suivre le Sauveur dans les angoisses de l'agonie, dans les souffrances du Calvaire. Dieu, qui l'avait prévenue de ses faveurs, ne voulait pas de mesure pour celle dont l'amour ignorait les réserves. Il fallait donc augmenter la capacité de cette âme défaillante « sous le poids de sa grâce » ; il fallait creuser des profondeurs nouvelles au fleuve de vie qui déjà la débordait : la souffrance allait accomplir cette œuvre divine. CHAPITRE VII Le Noviciat. «La nuit obscure». — Les fruits de l'épi'euve. — Le secret du bonheur. — Retraite de profession. — Epouse du Christ. — Programme de sainteté. — Le ciel dans l'âme. Aux radieuses clartés du postulat succédèrent, pour Sœur Elisabeth de la Trinité, les ténèbres d'une nuit profonde, auxquelles ne tardèrent pas à s'ajouter des inquiétudes, des peines d'esprit, d'étranges fantômes de l'imagination : toutes choses dont parle saint Jean de la Croix, en la seizième strophe de son Cantique spirituel : « Le démon, témoin du bonheur de l'âme et méchamment jaloux des trésors qu'il découvre en elle, emploie toute sa perfidie et met en œuvre tous ses artifices pour la troubler et lui ravir, si peu que ce soit, du bien dont elle jouit. Il semble préférable à cet esprit maudit de priver de quelques degrés de gloire, de bonheur et de richesses spirituelles une àme parvenue à cet état, que d'en précipiter une foule d'autres dans un abîme de crimes énormes. » 104 SŒUR ÉLISAHETH DE LA TRINITÉ Nous ne saurions dire ce que soulTrit alors cette innocente enfant, naguère établie dans une paix qui paraissait inaltérable. Qu'elle était édifiante, exposant avec candeur et simplicité des états d'autant plus humiliants que le moindre coup d'aile semblait devoir suffire à l'en délivrer, d'autant plus douloureux qu'ils étaient opposés à tout ce qu'elle avait expérimenté jusque-là, comme à sa vie d'oraison. La foi, l'obéissance aveugle qui la conduisait à sa Prieure lui faisaient trouver force et paix dans ces ouvertures, en même temps qu'elles donnaient toute facilité de seconder l'action divine dans le travail poursuivi sous le feu de l'épreuve. Après six mois passés de la sorte, la pauvre novice attendait sa délivrance d'une retraite qui devait nous être donnée en octobre par le R. P. V..., alors exilé loin de Dijon ; mais elle n'y trouva qu'un surcroît de souffrances, dans l'impossibilité où elle était actuelle- ment de goûter ces choses dont elle avait tant vécu. Ce qu'elle recevait jadis avec d'ineffables jouissances, semblait alors accroître les ténèbres de sa doulou- reuse nuit, en sorte que ses huit jours furent une véritable agonie. Son âme désolée s'abreuva pleine- ment au calice amer de la souffrance et de l'humi- liation, sans toutefois l'épuiser. Trois mois encore devaient achever l'œuvre entreprise par l'amour. Très bien douée pour notre vie, on peut dire que Sœur Elisabeth y était pleinement entrée: pourtant, nous ne voulons pas prétendre qu'elle fût déjà parfaite ; elle avait non seulement à faire des progrès, mais à subir une transformation que nous vîmes s'opérer en LE NOVICIAT 105 cette longue et pénible année. Foncièrement chrétienne déjà, il fallait qu'elle devînt la Carmélite telle que notre séraphique Mère désire la rencontrer en ses filles. Humble et modeste assurément, il lui était bon cependant de prendre conscience de l'impuissance humaine. Elle avait connu certaines révoltes de la nature, en avait ignoré d'autres; ayant triomphé de toutes les difficultés par les efforts de sa volonté comme par ses grâces d'oraison, elle s'étonnait par- fois de pressentir certains états moins délivrés, et sans en avoir conscience, elle aurait pu prendre en elle-même quelque secrète complaisance ou se laisser aller à quelque sévérité de jugement. On l'avait mise en garde, il est vrai, contre ces subtilités de l'amour- propre, mais « que sait F homme qui n'a pas été tenté (1)? » A l'école de l'épreuve. Sœur Elisabeth devait acquérir plus rapidement cette connaissance de soi-même qui n'est pas moins la base que la per- fection de l'humilité. Dieu se servait de la tentation pour éclairer l'abîme de son néant et mettre sa propre gloire en assurance dans cette âme, qu'il voulait com- bler des richesses de sa grâce. Ainsi permet-il que « le démon soulève parfois, dans la partie sensible, bien des agitations; qu'il suscite à l'àme mille tracas- series spirituelles ou sensibles, dont elle n'a pas la possibilité de s'affranchir, tant que Dieu n'envoie pas autour d'elle l'ange qui protège et délivre ceux qui le craignent (2) » (1) Ecclés., xxxiv, 9. — (2) Cantique spirituel, sti'. XVI. 106 SŒUR ELISABETH Uh LA TRINITÉ Le messager céleste apportait, en effet, quelque trêve à cet état pénible, faisant régner la paix et la tranquillité « tout à la fois dans la partie sensible et dans la partie spirituelle de l'àme (1) ». Les heures de la prière amenaient généralement une détente pour la chère novice, bien qu'elles s'écoulassent sans conso- lation; mais son oraison si simple et rendue plus pro- fonde encore par des accroissements de foi, la gardait toujours dans l'attitude du petit enfant reposant entre les bras de Celui qu'elle aimait sans le sentir, en qui elle croyait sans le voir, et dont l'amour restait son assurance, encore qu'elle n'éprouvât que les rigueurs de ses divines jalousies. Ses efforts pour se maintenir tout le jour ainsi recueillie au fond d'elle-même, en dépit du tumulte de l'imagination et de la sensibilité, lui faisaient trouver secours dans ses peines et la maintenaient en vue des mêmes horizons; aussi nul autour d'elle ne put soupçonner ses souffrances intimes. Les lettres d'alors montrent le même fond, toujours éclairé par la lumière de foi, grandissant à la faveur des ténèbres qui l'enve- loppaient. Au mois d'août, elle célèbre dans l'action de grâce le premier anniversaire de son entrée au Carmel. « Comme le temps passe vite en Lui ! Il y a un an qu'il m'a introduite en l'arche bénie, et maintenant, comme dit mon bienheureux Père saint Jean de la Croix en son Cantique : « La tourterelle a trouvé, sur » les rives verdoyantes, son compagnon tant désiré. » (1) Canliqne spirituel, str. XVI. LE NOVICIAT 107 » Oui, je l'ai trouvé Celui qu'aime mon âme, cet Unique nécessaire que nul ne peut me ravir. Oh ! qu'il est bon! qu'il est beau! Je voudrais être toute silen- cieuse, tout adorante, afin de pénétrer toujours plus en Lui, et d'en être si pleine que je puisse le donner par la prière à ces pauvres âmes ignorantes du don de Dieu. » Je sais que chaque jour, à la sainte Messe, vous priez pour moi. Oh! mettez-moi dans le calice, afin que mon âme, baignée dans ce sang de mon Christ dont j'ai soif, devienne toute pure, toute transparente pour que la Trinité puisse s'y réfléchir comme en un cristal ; elle aime tant contempler sa beauté dans une âme ; cela l'attire à se donner plus, à venir plus comblante, afin d'opérer le grand mystère d'amour et d'unité. » Demandez à Dieu que je vive pleinement ma vie de Carmélite, de fiancée du Christ; cela suppose des unions si profondes ! Pourquoi m'a-t-il tant aimée ? Je me sens toute petite et pleine de misère; mais je l'aime, je ne sais faire que cela. Je l'aime avec son amour à Lui ; c'est un double courant entre « Celui » qui est et celle qui n'est pas. » Le double courant, ou plutôt le double abîme, comme parle sainte Catherine de Sienne, s'était révélé à Sœur Elisabeth de la Trinité en cette rude année de proba- tion ; aussi nous paraissait-elle établie dans l'humi- lité. Sa foi et sa volonté avaient également bénéficié de l'épreuve : perfectionnées par la souffrance, elles équilibraient toujours plus un fonds de tendresse dont la sensibilité aurait pu diminuer les richesses. Les 108 SŒUR KLISABKTH DE LA TllIMTÉ conseils qu'elle donna plus lard à une personne éprouvée par des peines intérieures, fruits d'une expé- rience personnelle, révèlent sa propre conduite dans la phase douloureuse que nous venons d'esquisser. « Je crois que le secret de la paix, du bonheur est dans l'oubli, la désoccupation de soi-même, ce qui ne consiste pas à ne plus sentir ses misères physiques et morales. » Puisque vous me permettez de vous parler comme à une sœur, je vous le dis tout simplement, il me semble que le bon Dieu vous demande un abandon et une confiance sans limites. A ces heures pénibles où vous sentez ces vides affreux, pensez qu'il creuse en votre àme des capacités plus grandes pour le recevoir, c'est- à-dire, en quelque sorte, infinies comme Lui-même; lâchez alors d'être, par la volonté, toute joyeuse sous la main qui vous crucifie ; je dirai même, regardez chaque souffrance comme une preuve d'amour qui vous vient directement du bon Dieu pour vous unira Lui. Lorsque le poids du corps se fait sentir et fatigue votre àme, ne vous découragez pas; mais allez par la foi et l'amour à Celui qui a dit : « Venez à moi et je nous soulagerai (1). » Pour ce qui regarde le moral, ne vous laissez jamais abattre par la pensée de vos misères. Le grand saint Paul dit : (( Où le péché abonde la grâce surabonde (2) » ; donc il me semble que l'àme la plus faible, même la plus coupable, est celle ({ui a le plus lieu d'espérer. Et cet acte qu'elle fait pour s'oublier et se jeter dans les (1) Math., XI, 28. — (2) I\om., v, 20. LE NOVICIAT 109 bras de Dieu, le glorifie plus que tous les retours sur elle-même et tous les examens qui la font vivre avec ses infirmités, tandis qu'elle possède au centre d'elle- même un Sauveur qui veut à toute minute la purifier. » Vous souvenez-vous de cette belle page où Jésus dit à son Père qu'il lui a donné puissance sur toute chair, afin de lui communiquer la vie éternelle (1)? Voilà ce qu'il désire faire en nous : Il veut que vous sortiez de vous, que vous quittiez toute préoccupation pour vous retirer en cette solitude qu'il se choisit au fond de votre cœur. Il est toujours là, encore que vous ne le sentiez pas ; Il vous attend et veut établir avec vous un « admi- rable commerce », comme il est dit en la liturgie ; une intimité d'époux et d'épouse. C'est Lui qui, par ce contact continuel, veut vous délivrer de vos infirmités et de vos fautes, de tout ce qui vous trouble ; rien ne nous doit être un obstacle pour aller à Lui. » Que vous soyez enflammée ou découragée, n'en tenez pas compte; c'est la loi de l'exil de passer ainsi d'un état à l'autre; croyez alors que Lui ne change pas; qu'en sa bonté. Il est toujours penché sur vous pour vous emporter et vous établir en Lui. Si malgré tout, le vide, la tristesse vous accablent, unissez cette agonie à celle du divin Maître au jardin des Oliviers, alors qu'il disait à son Père : « S'il est possible, faites que ce calice s'éloigne de moi (2). » Il vous paraît peut-être difficile de vous oublier, ne vous en préoccupez pas; si vous saviez comme c'est simple. Je vais vous donner mon secret : (1) s. Jean, xvii, 2. — (2) Mattli., xxvi, 39. 110 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ pensez à ce Dieu qui habite en vous, dont vous êtes le temple : c'est saint Paul qui parle, nous pouvons le croire. Peu à peu l'àme s'habitue à vivre en sa douce compagnie; elle comprend qu'elle porte en elle un petit ciel où le Dieu d'amour a fixé sa demeure ; alors elle respire comme en une atmosphère divine ; je dirai même que son corps seul est sur la terre ; son âme habite au delà des voiles, en Celui qui est l'Immuable. » Ne dites pas que ce n'est pas pour vous, que vous êtes trop misérable, car c'est, au contraire, une raison de plus pour aller à Celui qui sauve. Ce n'est pas en regardant cette misère que nous serons purifiés, mais en regardant Celui qui est toute pureté et sainteté. » Aux heures plus douloureuses, pensez que le divin Artiste, pour rendre son œuvre plus belle, se sert du ciseau, et demeurez en paix sous la main qui vous travaille. Saint Paul, après avoir été ravi au troisième ciel, sentit son infirmité et s'en plaignit à Dieu, qui lui répondit : « Ma grâce te suffit, car la force se perfec- tionne dans Vinfirmité (1). » Voilà, n'est-ce pas, qui est bien consolant. Courage donc ! Je vous confie tout particulièrement à une petite Carmélite de Lisieux, morte à 24 ans en odeur de sainteté ; elle se nomme sœur Thérèse de l'Enfant Jésus (2); sa grâce est de dilater les âmes, de les lancer sur les flots de l'amour, de la confiance et de l'abandon. Elle dit avoir trouvé le bonheur quand elle commença à s'oublier. Voulez- vous la prier tous les (1) II Cor., XII, 9. (2) Appelée par les vœux de ceux qui connaissent V Histoire d'une âme, et préparée par des faveurs signalées, la cause de béatification de la Servante de Dieu est soumise à la sainte Eglise. LE NOVICIAT 111 jours avec moi, afin d'obtenir cette science qui fait les saints et donne à l'àme tant de paix et de bonheur. » La virilité morale acquise par la chère novice influa heureusement sur ses forces physiques ; son tempé- rament, quelque peu éprouvé tout d'abord, se recons- titua dans la paix. Il s'adaptait mieux chaque jour à l'observance de notre Règle austère ; l'àme entraînait vraiment le corps, et l'on pouvait présumer qu'il en serait toujours ainsi : notre petite Sœur fut donc admise par le Chapitre à la grâce de la sainte profession. Quelle joie pour son cœur, qui désirait si ardemment cette consécration définitive à l'Epoux des vierges ! « L'Enfant Dieu réservait à mon âme un immense bonheur, écrit-elle au soir du 25 décembre 1902 ; en cette belle fête de la Nativité, Il m'a dit qu'il allait venir comme Epoux. Le dimanche de l'Epiphanie, Il me fera sa Reine..., me liant à Lui par la profession religieuse. » Et à M. le chanoine A... : « L'Epoux m'a fait entendre son appel, et le 11 janvier, fête toute de lumière et d'adoration, je prononcerai les vœux qui m'uniront à jamais à Notre-Seigneur. Vous qui m'avez suivie depuis mon enfance et avez reçu mes premières confidences, vous pouvez comprendre le bonheur dont mon âme est inondée. Ce soir, à la récréation, j'ai demandé les prières de ma chère communauté, et demain commen- cera ma retraite de dix jours; cela me semble un rêve, je l'ai tant désiré. Voulez-vous, chaque matin, me donner une intention toute particulière à la sainte Messe, c'est quelque chose de si grand qui se prépare ! Je me sens enveloppée dans le mystère de la charité 112 SŒUll KLISAHKTH DK LA TUINITÉ de Dion ot, lorsque je regarde en arrière, je vois comme une divine poursuite sur mon âme. Oh! que d'amour ! Je suis ccraséc sous ce poids; alors je me tais et j'adore. » En cette matinée de l'Epiphanie, la i)lus helle de ma vie, (juoique le bon Maître m'ait déjà fait passer par des jours si divins qu'ils ressemblent à ceux du paradis, en ce jour où vont se réaliser tous mes désirs, où je vais devenir enfin « Epouse du Christ », voulez- vous, cher Monsieur le chanoine, olTrir le saint Sacrifice pour votre Carmélite ; puis donnez-la, afm qu'elle soit toute prise et qu'elle puisse dire avec saint Paul : « Je ne ris pins, c'est le Christ qui oit en moi (1). » » Ai-je besoin de vous dire quelle sera ma prière pour vous? Vous connaissez mon cœur... Je vous quitte pour entrer avec l'Epoux en des silences pro- fonds. » Commencée dans la joie, cette retraite se poursuivit dans une recrudescence de tortures intimes telles que, la veille du grand jour, la pauvre novice était au comble de l'angoisse Un entretien ménagé avec un religieux prudent et éclairé la réconforta vers le soir. Le lendemain matin, elle gravissait les degrés condui- sant à la salle du Chapitre, toute saisie par l'idée d'immolation qu'exprimait en ce jour le capitule des Vêpres : « Mes frères, je vous conjure par la miséricorde de Dieu, de Lui offrir vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, capable d'un culte spirituel (2). » 0) (".al., 11, 20. - (2) Hom., xii, 1. LE NOVICIAT 113 En cet esprit, elle prononça les saints vœux de pau- vreté, chasteté, obéissance qui la consacraient enfin Epouse du Christ. Quelle solennité aurait pu mieux convenir à la célébration des noces mystiques de cette enfant sur laquelle s'était levée « la gloire du Seigneur »? La liturgie, ce jour-là, chantait en ses divers cantiques son histoire et sa vocation. Prévenue par la lumière divine, elle aussi, malgré l'éclipsé momentanée de l'étoile, avait courageusement persévéré dans la recherche du Seigneur ; elle aussi, ouvrant ses trésors, lui offrait l'or d'un cœur pur, Vencens d'une vie toute d'oraison, la myrrhe du sacrifice de toutes choses et d'elle-même. La sainte Eglise célébrait encore, en ce dimanche de l'Epiphanie, la manifestation de la Sainte Trinité dans le baptême de Jésus-Christ. Sœur Elisabeth, qui par sa profession scellait une alliance particulière avec les trois divines Personnes, n'était venue au Carmel que pour écouter Celui en qui le Père met toutes ses complaisances. Et nous lisions au Graduel : « Béni le Seigneur, le Dieu d'Israël qui seul opère de telles merveilles ! Que les montagnes de votre peuple soient visitées par la paix! Alléluia! Alléluia!... » Le ?Roi pacifique répondit, en effet, au don plénier de la géné- reuse enfant, mettant fin à sa longue épreuve, et tout s'acheva dans l'action de grâce. « Qui pourrait dire la joie de mon âme, écrivait-elle quelques jours plus tard, lorsque contemplant le christ reçu après ma profession et placé par notre Révérende Mère comme un sceau sur mon cœur, j'ai pu me 114 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ dire : enfin II est tout à moi et je suis toute à Lui, Il m'est tout ! Et maintenant, je n'ai plus qu'un désir : l'aimer, l'aimer tout le temps, « zéler son honneur » comme une véritable épouse », Lui offrir une demeure, un abri dans mon àme, et Lui faire oublier là, à force d'amour, tout ce que les mauvais font d'abomi- nations. » Et dans une autre lettre : « Ma joie est profonde, divine : elle est de celles qui ne peuvent s'exprimer. Oh ! remerciez pour moi, ma part est si belle ! Toute une vie à passer dans le silence, l'adoration, le cœur à cœur avec l'Epoux divin ! Demandez que je sois fidèle, que j'aille jusqu'au bout de ses desseins sur mon âme, que j'accomplisse pleinement tous ses vou- loirs. » Sa prise de voile eut lieu le 21 janvier, jour « tout embaumé de la virginité d'Agnès et de sa glorieuse immolation », double attrait d'une àme en qui s'unis- saient deux vertus dont l'alliance est le trait parti- culier de la beauté du christianisme : l'innocence et la pénitence. Le soir, à la récréation. Sœur Elisabeth exprimait son bonheur et sa reconnaissance en quelques strophes commençant ainsi : Dans un secret profond je vais m'ensevelir, Ensevelie en Dieu, je vais vivre et mourir, O mon Verlje adoré, ton amour est ma vie, Laisse-moi me plonger en ta paix infinie. Ces vers, ainsi que les lignes suivantes adressées à la Révérende Mère Prieure du Carmol de Paray-le- LE NOVICIAT 115 Monial, sont comme le programme de cette vie reli- gieuse si courte et si bien remplie. « Ma bonne Mère, priez un peu pour que la petite « Maison de Dieu » soit tout envahie par « les Trois ». Je suis partie dans lame de mon Christ; et c'est là que je vais passer mon carême. Demandez-Lui que je ne vive plus, mais qu'il vive en moi; que l'union se consomme chaque jour davantage, que je reste sous la grande vision ; il me semble que c'est le secret de la sainteté, et c'est si simple. Oh ! dire que nous avons notre ciel en nous, ce ciel dont parfois j'ai la nostalgie. Que ce sera bon quand le voile tombera enfin et que nous jouirons du face-à-face avec Celui que nous aimons uniquement ! En attendant, je vis dans l'amour, je m'y plonge, je m'y perds ; c'est l'infini, cet infini dont mon àme est affamée. » Fidèle à son programme. Sœur Elisabeth devait rapi- dement atteindre la perfection à laquelle l'appelait le divin Maître ; c'est qu'elle avait trouvé le secret de la sainteté. L'excès de la charité divine lui étant apparu, elle s'était fixée sous cette lumière qui ne devait plus s'éclipser. « Un mot résume ma vie, disait-elle, on pourrait l'écrire sur tous mes instants ; c'était aussi la vie de saint Paul : Propter nimiam charitatem (1). Tout ce qui vient à moi est message ou assurance du trop grand amour de Dieu; je ne puis plus vivre d'autre chose. » Pour atteindre à la vie idéale de l'âme, je crois qu'il faut vivre dans le surnaturel, prendre conscience (1) Ephés., Il, 4. 116 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ que Dieu est au plus intime de nous et aller à tout avec Lui ; alors on n'est jamais banal, même en faisant les actions les plus ordinaires, car on ne vit pas en ces choses, on les dépasse. Une àine surnaturelle ne traite pas avec les causes secondes, mais avec Dieu seulement. Oh ! comme sa vie est simplifiée ! Comme elle se rapproche de la vie des esprits bienheureux ! Comme cette âme est affranchie d'elle-même et de toutes choses ! Pour elle, tout se réduit à l'unité, à cet unique nécessaire dont parlait le divin Maître à Madeleine. Alors elle est vraiment grande, vraiment libre, parce qu'elle a « enclos sa volonté dans celle de Dieu », dit un auteur mystique. » Sœur Elisabeth se livre à son insu. « Cette vie idéale » était la sienne, et nous devions la voir s'y plonger chaque jour davantage, jusqu'à ce qu'elle passât des obscurités de la foi en ces régions toutes de paix, de lumière et d'amour, où l'on contemple Dieu dans un éternel face -à-face. Elle pouvait écrire : « Je commence déjà mon ciel, niais parfois j'aimerais me trouver de l'autre côté pour le voir. Lui, pour l'aimer et pour me perdre en son infini. Oh 1 toi dont le cœur est si ardent, ne com- prends-tu pas ce qu'est l'amour, quand il s'agit de Celui qui nous a tant aimés ? » Au confident de la première heure, elle communi- quait ainsi ses impressions au cours de l'été 1903. « Depuis ma dernière lettre, que de choses se sont passées 1 La sainte Eglise m'a fait entendre le Veni spoiisa Christi; elle m'a consacrée, et maintenant tout est consommé, ou plutôt tout commence, car la pro- LE NOVICIAT 117 fession n'est qu'une aurore, et chaque jour ma vie d'épouse m'apparaît plus belle, plus lumineuse, plus enveloppée de paix et d'amour. » En la nuit qui précéda le grand jour, tandis que j'étais au chœur dans l'attente de l'Epoux, j'ai compris que mon ciel commençait sur la terre : le ciel dans la foi, avec la souffrance et l'immolation pour Celui que j'aime... Je voudrais tant l'aimer, l'aimer comme ma séraphique Mère, jusqu'à en mourir. Voilà toute mon ambition : être la proie de l'amour... Au Carmel, c'est si simple de vivre d'amour I Du matin au soir, la Règle est là pour nous exprimer, instant par instant, la volonté du bon Dieu. Combien je l'aime cette Règle qui est la forme en laquelle II me veut sainte ! Je ne sais si j'aurai le bonheur de donner à mon Epoux le témoignage du sang ; mais si je mène pleinement ma vie de Carmélite, j'ai du moins la conso- lation de m'iiser pour Lui, pour Lui seul. Alors qu'importe l'occupation en laquelle II me veut, puis- qu'il est toujours avec moi ; l'oraison, le cœur à cœur ne doit jamais finir. Je le sens si vivant en mon âme ! Je n'ai qu'à me recueillir pour le trouver au dedans de moi, et c'est ce qui fait tout mon bonheur. Il a mis en mon cœur une soif d'infini et un besoin d'aimer que Lui seul peut rassassier ! Alors je vais à Lui comme le petit enfant à sa mère, pour qu'il comble, qu'il envahisse tout ; qu'il me prenne et m'emporte en ses bras. Il me semble qu'il faut être si simple avec le bon Dieu! » Ne viendrez-vous pas un jour bénir votre petite Carmélite et remercier tout près d'elle Celui qui l'a 118 SŒUR ELISABETH DK LA TRINITÉ «trop aimée»? Mon bonheur ne peut plus se dire. Ecoutez tout ce qui se chante en mon àme pour Dieu et pour vous ; à la sainte Messe, baignez-moi dans le sang de l'Epoux, n'est-il pas la pureté de l'épouse... et elle en a tellement soif!... » CHAPITRE VIII Louange de gloire. Vie de foi. — A l'école de saint Paul — Laiidem gloriœ. — L'esprit de louange perfectionne les vertus. — Seconde portière. — Office d'ange. — Esprit de pénitence. — Sœur Elisabeth de la Trinité dans la vie de Communauté. La chère enfant a retrouvé sa belle paix d'autrefois, mais les douceurs spirituelles ne seront pas l'état habi- tuel de son âme grandie par l'épreuve : c'est de foi qu'elle devra vivre. Si le divin Maître lui dit, comme à Madeleine : « Ne me touche pas (1) », c'est pour l'emporter « dans cette école cachée et si éloignée des sens où le Verbe se fait entendre, dans ces obscurités convain- cantes où Dieu se donne et s'unit à l'âme (2) ». Saint Paul qu'elle rencontre alors, devient son guide lumineux. Sous sa conduite, elle s'exerce à comprendre « la largeur, la hauteur, la profondeur du mystère caché (1) s. Jean, \\, 17. — (2) S. Augustin, Des Etats d'oraison de Bossuet, ch. ,\xiv. 120 SŒUR ÉLISAHETH DE LA TRINITÉ en Dieu avant les siècles ; l'amour du Christ qui surpasse tontes nos compréhensions, afin d'être remplie selon la plénitude de Dieu même (1) ». Les plus beaux textes du grand Apôtre appuient les mouvements de son àme contemplative; avec la péné- tration des cœurs purs, elle en découvre le sens profond, s'identifie cette doctrine substantielle qui la fortifie et alimente son incessante oraison (2). Lettres, parloirs, couplets de fête, propos intimes ne sont plus que l'écho de saint Paul, délicieusement commenté par Sœur Elisabeth; ainsi est-elle la joie et l'élan de ses jeunes campagnes. S'entretenant un jour du Nom nouveau dont parle l'Apocalypse comme devant être le nom définitif des élus. Sœur Elisabeth de la Trinité dit avoir rencontré le sien dans saint Paul. « L'Apôtre, poursuit-elle, écrit que » nous avons été prédestinés par un décret de Celui qui » opère toutes choses selon le conseil de sa volonté, pour » être la louange de sa gloire. » J'ai trouvé là ma voca- tion ; puisque éternellement je serai louange de gloire, je veux être dès ici-bas tandem glorix (3) ! » (1) Ephés., III, 18. (2) Jusque-là ses lectures quotidiennes dans le Soiweaii Teslo- ment lui apportaient relativement peu de lumières. Elle allait à ces sources de vie moins par attrait que par obéissance ; mais alors, le sens des saintes Ecritures lui fut vraiment donné, comme peuvent en témoigner les lumineux commentaires de saint Paul en particulier, dont sa correspondance est émaillée. (.S) « Ce nom que Sœur P^lisalieth de la Trinité aimait à se donner parce qu'elle avait été intérieurement inspirée de le mériter, a besoin de quelque explication et même de quelque excuse. C'est dans saint Paul qu'elle le trouva L'Apôtre dit deux fois (Epbés., i) que nous sommes prédestinés enfants d'adoption en Jésus-Christ LOUANGE DE GLOIRE 121 Quelques notes rédigées pour sa sœur nous font connaître la manière dont elle entend justifier ce nom. « Comment réaliser ce grand rêve du Cœur de notre Dieu, ce vouloir immuable sur nos âmes ; comment, en un mot, répondre à notre vocation et devenir par- faites louanges de gloire de la très sainte Trinité? Au ciel, chaque âme est une louange de gloire au Père, au Verbe, à l'Esprit Saint, parce que chaque âme est fixée dans le pur amour et ne vit plus de sa vie propre, mais de la vie de Dieu ; alors elle le connaît, dit saint Paul, comme elle est connue de Lui. » Une louange de gloire, c'est une âme qui demeure en Dieu, qui- l'aime d'un amour pur et désintéressé, sans se rechercher dans la douceur de son amour; qui l'aime par-dessus tous ses dons, et quand même elle pour la louange de la gloire de Dieu, in laiidcm gloiiai ipsius. Notre vie ici-bas et notre gloire au ciel peuvent être appelées louange de la gloire divine et plus brièvement lonange de gloire. Et comme il est légitime qu'un nom commun à plusieurs devienne le nom propre d'une âme qui en justilie la signification par un zèle particulier et surtout par son unique ou suprême préoccupation. Sœur Elisabeth de la Trinité s'appliqua ce beau nom de tous les élus comme sa devise propre et l'expression la plus caractéristique de ce qu'elle voulait être. Une telle ambition est absolument digne d'un cœur tout donné à Dieu. » Pourtant il y a lieu d'excuser la jeune religieuse peu soucieuse des scrupules de la langue latine. Dans la vivacité de son bon sen- timent, elle n'a point pris garde qu'il s'exprimait en un terme incorrect. Elle prit le mot de saint Paul tel qu'il est, l'accommodant à toutes les phrases à la façon d'un mot français dont la forme est toujours la même, tandis que le cas landcm est rigoureusement réservé à une fonction grammaticale déterminée. » Heureuses les âmes qui n'ont à déplorer que des fautes de grammaire. » R. P. ••, S. J. 122 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ n'aurait rien reçu de Lui, et (jui désire du bien à l'Objet ainsi aimé. Or, comment désirer et vouloir eflicace- ment du bien à Dieu, si ce n'est en accomplissant sa volonté, puisque cette volonté ordonne toutes choses pour sa plus grande gloire? Donc cette âme doit s'y livrer pleinement, éperdument, jusqu'à l'impossibilité de vouloir autre chose que ce que Dieu veut. » Une louange de gloire, c'est une àme de silence, qui se tient comme une lyre sous la touche mysté- rieuse de l'Esprit Saint afin qu'il en fasse sortir des harmonies divines. Elle sait que la souffrance est une corde qui produit des sons plus beaux encore, aussi aime-t-elle la voir à son instrument, afin de remuer plus délicieusement le cœur de son Dieu. » Une louange de gloire, c'est une àme qui contemple Dieu dans la foi et la simplicité ; c'est un rétlecteur de tout ce qu'il est; c'est comme un abîme sans fond dans lequel II peut s'écouler, s'épancher; c'est aussi comme un cristal au travers duquel II peut rayonner et contempler ses perfections et sa propre splendeur. Une àme qui permet ainsi à l'Etre divin de rassassier en elle son besoin de communiquer tout ce qu'il est et tout ce qu'il a, est en réalité la louange de gloire de tous ses dons. » Enfin une louange de gloire est un être toujours dans l'action de grâces : ses actes, ses mouvements, ses pensées, ses aspirations, en même temps qu'ils l'enracinent plus profondément en l'amour, sont comme un écho du Sancliis éternel. Au ciel de la gloire, les Bienheureux n'ont de repos ni jour ni nuit, disant : « Saint, Saint, Saint le Sei(jnenr tout-puissant..., et se LOUANGE DE GLOIRE 123 Drosternant, ils adorent Celui qui vit dans les siècles (1), » Dans le ciel de son àme, la louange de gloire commence déjà son office de l'éternité; son cantique est ininter- rompu ; elle est sous l'action de l'Esprit Saint, quoi- qu'elle n'en ait pas toujours conscience, car la faiblesse de la nature ne lui permet pas d'être fixée en Dieu sans distractions. Elle chante toujours, elle adore tou- jours, elle est pour ainsi dire toute passée dans la louange et l'amour, dans la passion de la gloire de son Dieu. » Dans le ciel de notre âme, soyons louanges de gloire de la Sainte Trinité. Un jour le voile tombera, nous serons introduites dans les parvis éternels ; là, nous chanterons au sein de l'Amour infini, et Dieu nous donnera le Nom nouveau promis au vainqueur. Quel sera-t-il? — Laudem Glorix. » Telle fut bien la vie de cette àme d'élite en qui la foi opérait par une ardente charité. A l'oraison, son extérieur révélait l'adoration intime qui l'absorbait. Au saint Office, c'était la même attitude; déjà elle sem- blait être au ciel, chantant avec les esprits béatifiés les louanges du Dieu trois fois saint. Le zèle de Sœur Elisabeth pour la psalmodie et les cérémonies de l'Eglise n'empêchait pas d'assez fré- quents oublis, que nous attribuions à sa grande appli- cation intérieure. N'est-il pas dit de plusieurs saints personnages que lorsqu'une profonde contemplation les distrayait des actes extérieurs, ils étaient avertis par leurs anges gardiens des cérémonies qu'ils devaient (1) Apoc, IV, 8, 10. 124 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ accomplir. Notre petite Sœur ne reçut pas la même laveur, mais le Seigneur dut trouver sa gloire dans son attention minutieuse à tout prévoir, comme dans l'humilité sincère de ses réparations. L'unissant au modèle divin qu'elle entendait exprimer aux yeux du Père, l'esprit de louange perfectionnait toutes ses vertus. La première parole du Verbe entrant dans le monde : « Me voici, je viens, ô Dieu, pour faire votre volonté (l)», doit être comme le battement du cœur de l'épouse, et cette volonté de Celui qui l'a envoyée sera sa nourri- ture, en même temps que le glaive qui l'immolera Ainsi raisonnait Sœur Elisabeth de la Trinité. A cette lumière, nos usages concernant les plus petites choses ne lui étaient pas moins chers que la Règle même et que les ordres des supérieurs. « J'ai pris vos ordonnances pour être à jamais mon héritage, parce quelles sont les délices de mon cœur (2). » C'est par sa fidélité conti- nuelle à ces « ordonnances » intérieures ou extérieures que l'épouse rendra témoignage à la Vérité et pourra dire : « Celui qui m'a envoijée ne nia pas laissée seule: Il est toujours avec moi, parce que je fais toujours ce qui lui plaît (3). » Nous la vîmes sans défaillance en plein exercice de ce témoignage; quelques traits donneront une idée de la perfection avec laquelle la sainte enfant pratiquait l'obéissance. Chargée d'entretenir la salle du noviciat, elle doit, à la fin de la journée, pousser les volets inté- rieurs contre la fenêtre. Un soir, ce détail est oublié. (1) Hébr., \, 9. - (2) l's. c.xvui, 111. - (:i) S. Joau.. viii. 2i) LOUANGE DE GLOIRE 125 Après l'office des Matines, au moment de s'endormir, l'involontaire omission lui revient en mémoire ; elle se relève aussitôt, descend dans l'obscurité et traverse ainsi le cloître pour aller fermer ce volet. La vie des saints nous offre des exemples analogues d'une admi- rable fidélité; tel notre bienheureux Père Jean de la Croix, se relevant une nuit parce qu'il se souvient d'avoir gardé à son scapulaire une épingle de plus que ne le permettait une simple tradition, et la déposant à la porte de sa cellule. Dispensée de s'asseoir à terre pendant l'oraison, dans une circonstance particulière, on lui permet d'user de sa stalle sans s'y appuyer; alors elle se place toujours de façon à n'avoir que le moins de soulagement possible. Deux ans plus tard, contrainte de recourir à la même dispense, mais pour un motif bien différent car elle était déjà malade, Sœur Elisabeth de la Trinité se conforme rigoureusement à l'usage; aussi, jamais une sœur qui l'observe ne la voit s'appuyer tant soit peu ; jamais elle n'en demande la permission. En tout, elle obéissait à la lettre sans aucune interpréta- tion personnelle, comme en témoigne encore le fait suivant. Une petite promenade quotidienne lui est momen- tanément prescrite ; or, il lui survient au pied un mal assez douloureux pour qu'on la dispense des emplois qui l'obligent à marcher. Un jour, la Prieure la ren- contre au jardin, boitant et paraissant bien souffrir. « Que faites-vous ici, lui demande-t-elle ? — Ma Mère, je me promène comme vous me l'avez ordonné. » Combien de traits semblables pourrions-nous citer 126 SŒUll ELISABETH DE LA TllIMTÉ de cette parfaite obéissante qui disait,, quelques jours avant sa mort : a La volonté de notre Mère a été ma vie; quand elle avait parlé, la paix inondait mon à me. » Non moins édifiante était son humilité. « Les impuis- sances dont j'ai tant souffert font aujourd'hui ma béati- tude ; il me semble qu'elles grandissent Dieu, et que sa petite Louange de gloire, mieux établie dans la vérité, est plus dépendante de Lui. » L'humble enfant « trouvait une véritable suavité dans le sentiment de son impuissance en face de Dieu », selon l'expression d'un pieux auteur auquel elle emprunte une citation qui la dépeint : « Nul ne pourra troubler l'humble, car il s'est précipité dans un tel abîme que nul n'ira le chercher là. » Rien ne semblait, en effet, Témotionner : on pouvait tout lui dire sans qu'elle s'excusât jamais, sans qu'aucune ombre parût en son regard. Pourtant sa sensibilité fut, dés l'enfance, le champ de ses luttes quotidiennes, comme de ses plus beaux triomphes. « On ne saura qu'au ciel, dira- t-elle avant de mourir, combien j'ai souffert en ma vie. » Nous nous souvenons qu'elle écrivait, à la fin d'une retraite dans le monde : « J'ai pris, cette année encore, les mêmes résolntions : riiumilité, le renoncement, tout est là. » Maintenant, nous la voyons recueillir le fruit de ses efforts sur un point dont, toute jeune, elle avait compris l'imporlance capitale. (( Si l'on me demandait le secret du bonheur, écri- vait-elle, je dirais que c'est de ne plus tenir compte de soi, de se nier tout le temps; voilà une bonne LOUANGE DE GLOIRE 127 façon de faire mourir l'orgueil ; il faut que l'amour de Dieu soit si fort qu'il éteigne tout amour de nous- mêmes. » Notre chère Sœur se conformait à ce principe; aussi l'admirions-nous s'effaçant toujours pour faire ressortir les autres, alors que ses aptitudes auraient justifié cer- taines initiatives. Fruit de l'humilité, sa patience était inaltérable; on ne pouvait la surprendre en défaut. Que de fois pourtant elle fut mise à l'épreuve, particulièrement dans l'oflice de seconde portière. Elle était toujours à la disposition de sa première officière, et avait surtout à cœur d'adoucir les sacrifices imposés par notre rigoureuse clôture à nos sœurs tourières, qui recouraient fréquemment à son inépuisable complaisance. Une d'entre elles s'excusait un jour de la déranger si souvent : « Oh ! ne me dites pas cela, répondit Sœur Elisabeth, je suis si heureuse de vous rendre service ! Je voudrais vous faire oublier que vous ne pouvez venir chercher vous-même ce qui vous est nécessaire. » Telle nous l'avons toujours connue, aimable et préve- nante, jusque dans les souffrances les plus aiguës de ses derniers jours. Aussi comme volontiers on s'adressait à elle ! Jamais le sourire ne quittait ses lèvres, bien qu'elle dût parfois interrompre un travail pressé, sacri- fier une heure d'oraison supplémentaire, ou modifier ses petits plans. Rien ne paraissait lui coûter, pourvu que ses renoncements fussent sanctionnés par l'obéis- sance. Très aimante par nature. Sœur Elisabeth de la Trinité surnaturalisait ses affections du cloître comme celle de 128 SŒUR ELISABETH Dl:: LA TRINITÉ la l'amille. La inèine charité qui la rendait empressée à secourir ses sœurs avec une grâce charmante, lui sug- gérait des attentions particulières pour qui pouvait lui être l'occasion d'une humiliation, d'un exercice de vertu, en sorte que toutes avaient part aux effusions de son cœur. Deux fois l'office d'Ange (1) lui fut confié : elle s'en acquitta avec tact et discrétion. Une jeune personne qui passa quelques mois au Carniel, écrit à son ancienne Prieure : « Je me souviens de mon entrée dans la clôture ; mon petit ange était là, je devinai que c'était l'ange de la charité. Combien Sœur Elisabeth était heureuse de donner à mes livrées du siècle quelque apparence religieuse ! Comme elle savait voler à mon secours, réparer mes maladresses, pallier mes torts avec douceur, humilité, simplement et délicatement! Elle veillait à tout : c'était vis-à-vis de son Tobie, une sollicitude continuelle. » En m'initiant à l'entretien du noviciat : « Estimez » ce balayage, me dit-elle, car c'est ici le petit sanc- » tuaire où vous commencez votre vie de Carmélite. » » Le respect pénétré d'esprit de foi avec lequel elle me mettait au courant de mon emploi, me faisait comprendre qu'elle vivait en la présence de Dieu et le voyait à travers ses moindres actes. » Je m'excusais parfois d'avoir à la faire sortir de son cher silence ; mais elle, me regardant de ce regard qui la livrait, me répondait aussitôt : « Je suis votre onge. (1) On donne le nom d'Ange à la sœur chargée d'initier une postulante aux usages de la communauté. LOUANGE DE GLOIRE 129 » venez à moi sans arrière-pensée ; veiller sur vous, )) vous servir est ma mission. » » Qu'elle était joyeuse de pouvoir me dire : « Notre » Mère vous verra aujourd'hui. » S'il arrivait que son tour fût retardé pour moi, elle disait : « Votre joie me » rend si heureuse que je sacrifie volontiers la mienne. » Vous allez voir notre Mère, profitez-en bien, c'est un » sacrement. » » Plusieurs fois, me trouvant dans les larmes, elle me pressait entre ses bras, m'entourait affectueusement, puis devait aller vous prévenir, ma Mère, car ces jours-là, vous m'appeliez pour remettre d'aplomb la pauvre petite désemparée. Elle m'édifiait sans cesse, je n'avais qu'à l'imiter pour avancer dans l'amour et l'intimité du divin Maître. » On comprend que la pénitence fut un impérieux besoin pour cette âme, ravie par l'excès de charité divine. Non seulement, comme nous nous plaisions à le dire devant quelque imprudence, elle n'avait pas Vinstinct de sa conservation, mais elle possédait un tel mépris de soi qu'il n'y avait qu'à la retenir de ce côté-là. Sœur Elisabeth ne put suivre l'attrait qui l'eût portée aux plus rudes macérations ; son esprit si éclairé lui fit d'autant plus apprécier l'immolation constante de la Règle du Carinel, et tout ce que la Providence lui envoyait pour qu'elle réalisât le mot de saint Paul cher à sa foi : « Je meurs chaque jour (1). » On ne pouvait surprendre ses goûts ni ses répu- gnances; vraiment morte à elle-même, elle supportait (1) I Cor., XV, 31. 130 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ SCS l'atigucs et particulièrement des maux de tète con- tinuels, sans rien laisser paraître au dehors. Aux repos qu'on voulait lui donner à cet égard, elle préférait une heure d'oraison, seul moment oîi elle assurait ne pas sentir la soulTrance. Ce lui était d'ailleurs une si grande joie d'honorer, non plus par son propre choix, mais par celui du divin Maître, le couronnement d'épines ! Sœur Elisabeth de la Trinité avait souvent exprimé le désir d'Hser sa vie en silence. De trompeuses apparences de santé favorisèrent ce vœu en prolongeant nos illusions jusqu'au jour où elle dut gagner l'inhrmerie pour n'en plus sortir. Certains aveux obtenus alors nous firent connaître quelque chose de l'héroïsme en lequel avait vécu la sainte enfant. Quelle courageuse fidélité au travail ! Elle avait compris qu'il fait partie de notre pénitence et s'y appli- quait dans cet esprit, plutôt que par attrait naturel, car bien que fort habile à manier l'aiguille, elle éprouvait quelque difficulté à joindre l'oraison, au degré où son àme était prise, avec l'assiduité que réclamait sa ferveur. A ce sujet, elle disait avoir expérimenté des choses éton- nantes, de vrais petits miracles, quand, veillant à ne jamais s'empresser, elle voyait l'ouvrage d'autant plus avancer que son union à Dieu était plus intime. A la roberie, secondée par son esprit d'ordre et de pauvreté, Sœur Elisabeth rendit d'inappréciables ser- vices et révéla ce don merveilleux de concilier les exigences d'un office parfois surchargé, avec l'attrait supérieur qui la gardait paisible et toute recueillie en son petit ciel intime. Une sœur lui confiait la peine ((u'elle avait à écarter LOUANGE DE GLOIRE 131 les pensées inutiles dans l'oraison. « Ah ! répondit-elle, pour qu'il en soit autrement, il faut une grande fidélité toute la journée. Voyant mon offîcière très pressée, il m'est arrivé une ou deux fois de me hâter dans le travail ; je m'enfiévrais, mais Dieu ne veut pas cela de ses épouses; aussi quand j'allais au rendez-vous divin j'avais beau faire, je ne pouvais m'élever plus haut que mes chiffons, » Cette confidence témoigne du soin jaloux qu'elle apportait à se garder tout entière à son Dieu, L'appréciation de quelques membres de la commu- nauté vient ici à propos pour compléter la physionomie de l'angélique enfant. « Notre chère petite Sœur excellait en toutes les vertus. Contemplative à ce degré qu'on l'eût soupçonnée inca- pable d'activité; d'autre part, d'un dévouement inlas- sable, elle se faisait surtout remarquer par son beau calme, fruit d'une rare énergie; il semblait qu'il n'y eût plus à lutter en cette âme si admirablement pos- sédée par le « Dieu de paix ». Aussi comme elle le rayonnait ! » Grave et sérieuse par nature, avide de silence. Sœur Elisabeth ne se prêtait pas avec moins de grâce à nos petites fêtes de famille. Celle de sainte Marthe (1), par sa présence, avait un charme particulier. Nous combinions nos plans à l'avance, mais elle avait une habileté ravissante pour laisser aux autres tout le plaisir de la réussite, et avant tout veillait à ce que le recueille- ment ne fût pas troublé : il était convenu que nous (1) Les novices remplacent en ce jour à la cuisine nos chères sœurs du voile blanc que nous fêtons avec affection. 132 SŒUU KLISAHliTH I)K LA TRIMTK étions à Bélhanie servant Notre- Seigneur. La chère enfant ne savait qu'inventer pour réjouir nos bonnes sœurs du voile blanc; quand elle avait pu leur faire une belle fête, son cœur était tout joyeux. » « Pendant les licences (1), dit une autre religieuse, les anciennes aimaient à fréquenter Sœur Elisabeth de la Trinité, charmées de trouver en elle des lumières, un sens de notre vie carmélitaine d'un autre âge que le sien. Dans ces circonstances, je me suis toujours édifiée de son humilité, car encore qu'elle vécût très haut et tilt fort avancée dans les voies spirituelles, cette elrère sœur se faisait volontiers disciple ; on aurait dit qu'elle eût tout à apprendre. Divinement instruite à l'oraison, je la voyais écouter avec intérêt, mettre tout à profit sans laisser entendre qu'elle en savait bien davan- tage. » « Nos récréations étaient délicieuses, rapporte à son tour une compagne de noviciat : que de fois ne m'a-t-elle pas émue, m'entretenant de ce feu consumant et de ce seul regard dont elle possédait si bien le secret. Je ne me rappelle pas l'avoir vue un seul jour moins aimable, moins gracieuse ou dévouée. » Pendant de simples balayages, tandis qu'elle déployait une activité parfaite, l'expression profonde de sérieux et de recueillement répandue sur son visage me frappait et m'édifiait à la fois. Elle me semblait poursuivre à travers tout sa louange incessante. » Terminons par l'appréciation d'une Sœur ancienne (1) Certains jours, auxquels les sœurs peuvent se visiter dans les cellules et s'entretenir ensemble. LOUANGE DE GLOIRE 133 que l'on ne peut suspecter d'enthousiasme, et dont la rigoureuse régularité appuie le jugement : « Ayant entendu affirmer qu'on n'avait jamais pu surprendre une imperfection en Sœur Elisabeth de la Trinité, je cherchai à m'assurer du fait, car je n'étais nullement prévenue en sa faveur. L'habitude du monde, une grande facilité d'expression mise au service de son intelligence et de son cœur, pouvaient, selon moi, lui donner l'apparence d'une vertu parfaite, mais non encore éprouvée. Bien que nos rapports fussent assez intimes, lorsqu'on me parlait de sa vertu, je faisais mes réserves, ne l'admettant ni si complète ni si sou- tenue ; tellement qu'un jour la Mère Sous-Prieure me posa la question : « N'aimeriez -vous pas Sœur Elisa- » beth? — Pardon, je l'aime beaucoup; mais j'attends » pour me prononcer. — Eh bien ! reprit-elle, je puis )) dire que l'ayant fréquemment humiliée, je l'ai tou- » jours trouvée douce et humble. » » Après cette affirmation, je l'étudiai plus attentive- ment encore et je fus obligée d'avouer n'avoir jamais constaté en elle une imperfection. Quelques personnes ont pu trouver un peu forte cette expression dans la « circulaire », pourtant elle est exacte. » Ce n'était pas une de ces perfections rectilignes et désespérantes, mais plutôt humble et voilée qui n'ex- cluait pas quelques fautes de fragilité ou d'inadver- tance, toutefois je ne l'ai jamais surprise dans un mouvement de nature ; elle m'a toujours paru non seulement fidèle, mais j'ose dire héroïque, surtout en certaines circonstances particulièrement difficiles. » Etant sa voisine de cellule, avec quelle prompti- 134 SŒUR ÉLISAIîETH DE LA TRINITÉ tilde je l'entendais se lever le matin au premier signal. Arrivée au chœur, à l'oratoire, elle se mettait à genoux, et tout de suite on la sentait perdue en Dieu, restant immobile quels que fussent la fatigue des genoux et plus tard le poids de ses souffrances. Une année nous prîmes 'ensemble un défi de silence ; elle le garda avec une rare fidélité ; les deux ou trois fautes notées chaque semaine venaient toujours de son amabilité. » Les relations extérieures de Sœur Elisabeth de la Trinité n'étaient pas moins que celles du cloître le rayonnement de sa vie intime ; elles trahissaient la même âme toute céleste, zélant avant tout la gloire du Seigneur, mais avec tant de tact, de simplicité, quelque chose de si surnaturellement affectueux, que la confiance de tous lui était acquise. Elle appréciait d'ailleurs la sévérité des règlements du parloir, et savait abréger l'entretien s'il lui devenait difficile de le maintenir dans le cadre dont elle ne sortait jamais. Un courant s'éta- blissait-il, alors elle emportait au foyer de sa vie, et l'on demeurait sous le charme de sa parole. « On ne pouvait l'approcher sans être embaumé, pénétré de la présence de Dieu, rapporte une amie ; elle avait une telle façon de parler des choses les plus élevées, qu'on ne se lassait pas de l'écouter. » « Nos rares entretiens me faisaient le plus grand bien, dit une autre personne ; ils m'excitaient toujours à aimer plus Notre-Seigneur, à me recueillir et à me sacrifier davantage ; quelque chose de sa grâce semblait passer à travers la grille qui nous séparait. » Une parente vint un jour de fort loin pour la visiter ; LOUANGE DE GLOIRE 135 saisie d'une vive impression : « O Elisabeth, lui dit-elle spontanément, je me place avec mes enfants sous votre protection. » Elle versa des larmes en la quittant et, en toute circonstance importante, sollicita son recours à Dieu, comme une faveur. « J'ai entendu cette chère enfant, le 27 février 1905, écrit une amie de M™^ Catez. Je ne l'avais pas revue depuis son entrée au Carmel, et j'ai retrouvé son cœur si parfait. L'amour de Dieu l'enveloppait tout entière ; mais elle sut me dire des choses si tendres ; elle eut pour sa mère de tels élans d'affection que j'ai pleuré et pleure encore en me rappelant ces instants trop courts passés en sa compagnie. » Telle nous est apparue Sœur Elisabeth de la Trinité au cours des années qui suivirent sa profession reli- gieuse ; tels étaient les fruits de ses longs et profonds silences qui donnaient lieu à la parole divine, parole efficace, opérant, à la louange de la gloire divine, cette bienheureuse transformation esquissée par elle dans la strophe suivante : Avec saint Paul je voudrais dire : J'ai tout perdu pour son amour Et ce que mon âme désire. C'est le mieux aimer chaque jour, Ce que je veux, c'est le connaître, Lui mon Christ et mon Rédempteur; Conformer enlin tout mon être, A l'image de mon Sauveur. CHAPITRE IX Vie intime. Assiduité à la prière. — Retraite de 1904. — Oraison. — Dévotion à l'auguste Trinité et à la Sainte Vierge. — Le 21 novembre 1904. — « Mon seul exercice est de rentrer au dedans. » Nul ne saura jamais en quelle profondeur habitait cet ange, qui disait avec une candeur d'enfant les choses les plus sublimes, comme si elles fussent toutes natu- relles. Ensevelie en la divinité, elle pourra, l'heure venue, gravir son Calvaire avec une force de martyre : l'héroïcité de sa volonté révélera bien alors à quel degré avait été vraie son oraison, qu'aucune douleur, si intense fût-elle, ne pourra plus interrompre. « Ce qu'il m'enseigne sans parole au fond de l'àme est ineffable, disait-elle. Il éclaire tout. Il répond à tous les besoins. » A d'autres heures l'Astre divin s'éclipsait ; mais Sœur Elisabeth de la Trinité restait inébranlable en sa foi comme en son espérance, toute recueillie sous la grâce d'une parole de son bienheureux Père qui la charmait : « La foi, c'est le face-à-face dans les ténèbres, la 138 S(EUR KLISAUETH DE LA TRINITÉ possession à l'élat obscur. » « Dans les nuits qui passè- rent sur son àmc, elle s'attacha à Celui qu'elle aimait et pour qui elle soudVait, le suivant à la lumière de son ol)scure clarté (1). » Ceux qui ont expérimenté ces états en lesquels la foi s'épure et se simplifie, compren- dront que nous parlions d'héroïsme en montrant l'assi- duité de cette petite Sœur à la prière. A voir son attitude calme et reposée près du trône eucharistique, qui aurait supposé qu'en certains diman- ches et jours de fêle passés à l'oratoire sans dérober un seul moment au divin Maître, elle eût pu souffrir jusqu'à (( la tentation de fuir » ? « Bien souvent, c'est la nuit profonde en toutes ces heures, disait-elle ; mais à l'oraison du soir. Il me dédommage, et plus encore le lendemain. Je recueille alors le fruit des actes et silences de la veille, aussi ne voudrais-je pas manquer ma communion du lundi. » La première retraite qu'elle fit après sa profession religieuse confirma tous ces états d'àme, cette voie de foi obscure, mais lumineuse quand même, tant elle croyait à l'amour : il était sa lumière, l'éclairant au milieu de ses nuits ; aussi bénissait-elle en tous temps le Seigneur. Durant cette retraite, Dieu seml)la vouloir récom- penser sa généreuse lidélité. Elle la fit avec son cher saint Paul, et fut comblée de grâces en cette forme profonde et substantielle que l'on ne peut exprimer. Aussi rendant compte de ses dispositions, Sœur Elisa- beth de la Trinité leva vers sa Prieure ses yeux pleins (1) Vie de la ociiérable Marguerile du Suinl-Sacrcincnt. VIE INTIME 139 de lumière, et ne put que lui dire avec un accent tout céleste : « Il me communique la vie éternelle. » (( Le royaume de Dieu apporte nécessairement avec lui une vie éternelle, dit le saint abbé Moïse, et l'on y entre par la pratique des vertus, la pureté du cœur et par une science spirituelle et divine (1). » Son oraison sembla se simplifier encore après cette retraite : « Il faut Le regarder tout le temps, disait-elle, parlant du divin Maître, il faut faire du silence, c'est si simple. » C'était son programme unique. Fût-il question d'une neuvaine, de la préparation à une fête, interrogée sur ce qu'elle ferait : « Je vais me taire pour Lui donner toute facilité de s'écouler en moi. » Cette réponse invariable fut souvent prévenue par nos jeunes Sœurs, qui lui disaient un peu malicieuse- ment : «Du silence, n'est-ce pas? il faut se taire », et elle souriait. Pourtant la clière enfant eut bien quelques doutes au sujet de sa constante passivité ; ne devait-elle pas être plus active à l'oraison ? Sa paix, momentanément troublée, lui fut toujours rendue par Celui-là même qui la voulait ainsi recueillie sous son action directe et continuelle. Un jour, c'était pendant les Quarante Heures, après avoir entendu ses compagnes s'exciter à la réparation, Sœur Elisabeth de la Trinité arrive à l'oraison un peu contristée de ne pouvoir s'y livrer dans cette forme active ; mais à peine s'est-elle pros- ternée pour adorer Notre-Seigneur, qu'il l'enveloppe d'un rayon lumineux et pacifiant. L'obstacle créé par (1) Vie des Pères du désert. 140 SŒUR KMSABETH DE LA TRINITÉ le péché à la diffusion de Dieu dans les âmes lui appa- raît soudain comme une des peines les plus sensibles au divin Cœur; en conséquence, pour le consoler, pour réparer cet outrage, elle doit se laisser envahir par Dieu et assurer en elle toute liberté d'action à sa grâce, à son amour ; son oraison habituelle était divinement approuvée, elle devint de plus en plus un état d ame. « N'avez-vous pas la passion de L'écouter ? écrivait- elle à un jeune séminariste ; parfois c'est si fort ce besoin de se taire, qu'on voudrait ne plus faire autre chose que de demeurer comme Madeleine aux pieds du Sauveur, avide de tout entendre, de pénétrer toujours plus en ce mystère de charité qu'il est venu nous révéler. Ne trouvez-vous pas que dans l'action, alors qu'en apparence on remplit l'office de Marthe, l'ànie peut toujours demeurer ensevelie comme Madeleine en sa contemplation, se tenant à cette source comme une affamée? C'est ainsi que je comprends l'apostolat pour la carmélite comme pour le prêtre ; l'un et l'autre peuvent rayonner Dieu, le donner aux âmes, s'ils se tiennent sans cesse à ces sources divines. Il me semble qu'il faudrait s'approcher bien près du Maître, communier à son àme, s'identifier à tous ses mouvements, puis s'en aller comme Lui en la volonté de son Père. » J'aime cette pensée « la vie du prêtre (et de la » carmélite) est un Avent qui prépare l'Incarnation » dans les âmes ». David chante en un psaume : le feu marche devant k Seigneur (1). Le feu, n'est-ce pas l'amour? et n'est-ce pas aussi notre mission de pré- (i> Ps. xcvi, ;$. VIE INTIME 141 parer les voies du Seigneur par notre union à Celui que TApôtre appelle un feu consumant? A son contact, notre àme deviendra comme une flamme d'amour se répandant dans tous les membres du corps du Christ, qui est l'Eglise; alors nous consolerons le cœur de notre Maître, et II pourra dire en nous montrant au Père : « Déjà je suis glorifié en eux. » Sœur Elisabeth de la Trinité comprenait l'apostolat du Carmel en vraie lille de sainte Térèse et de saint Jean de la Croix. Ecoutons notre bienheureux Père en son Cantique spirituel. « L'àme qui jouit de l'amour solitaire semble oisive, cependant le plus petit acte de pur amour a plus de prix aux yeux de Dieu, il est plus profitable à l'Eglise et à l'àme elle-même que toutes les autres œuvres réunies. Voilà pourquoi Marie-Madeleine, dont les enseignements produisaient de si grands fruits et qui aurait pu, les continuant, en produire de bien phis pré- cieux encore, se sentant consumée par un désir extrême de plaire à son divin Epoux et d'aider l'Eglise, se cacha trente ans dans le désert pour s'y livrer exclusivement à cet amour. Elle crut, en agissant de la sorte, avancer davantage l'œuvre de Dieu. Tant il est vrai que la moindre étincelle de pur amour est pour l'Eglise de la plus haute importance... En résumé, cet amour est la fin pour laquelle nous avons été créés (1). » Le plein sens de cette doctrine si sûre, que possédait Sœur Elisabeth de la Trinité, apparaît plus évident encore dans les lisnes suivantes : (1) Saint Jean de la Croix, Caiil. spir., str. xxix. 142 StKUIl ÉLISAHETII DK LA TRINITÉ « Puisque Noire-Soigneur demeure en nos âmes, sa prière est à nous, el je voudrais y communier sans cesse, me tenant comme un petit vase à la source, afin de pouvoir ensuite communiquer la vie, laissant déborder ces Ilots de charité infinie. a Je me sanctifie pour eux afin queux aussi soient » sanctifiés dans la vérité (1), » Cette parole de notre Maître adoré, faisons-la toute nôtre ; oui, sanctifions- nous pour les âmes, et puisque tous nous sommes les membres d'un même corps, dans la mesure où nous aurons la vie divine, nous pourrons la faire circuler dans le grand corps de l'Eglise. » Il y a deux mots qui, pour moi, résument toute sainteté, tout apostolat : « Union, amour », demandez que j'en vive pleinement, et pour cela que je demeure tout ensevelie en la Sainte Trinité. » « Lorsque je songe à mon nom, écrit-elle au même séminariste,, auquel des liens de grâce l'unissaient plus intimement que les liens de famille, mon àme est emportée sous la grande vision du mystère des mys- tères, en cette Trinité, qui, dès ici-bas, est notre cloître, notre demeure, l'infini en lequel nous pouvons nous mouvoir à travers tout. Je lis en ce moment les belles pages de notre Père saint Jean de la Croix sur la trans- formation de l'àme en les trois Personnes divines. Monsieur l'abbé, à quel abîme de gloire nous sommes appelés ! Oh ! je comprends les silences, les recueille- ments des saints qui ne pouvaient plus sortir de leur contemplation : aussi Dieu pouvait-Il les emmener sur (1) s Joan., XVII, li). VIE INTIME 143 les sommets divins où l'union se consomme entre Lui et l'àme devenue épouse dans le sens mystique du mot. » Dire que le bon Dieu nous appelle, de par notre vocation, à vivre sous ces clartés, quel mystère adorable de charité!... Je voudrais y répondre en passant sur la terre comme la Sainte Vierge, « gardant toutes ces choses en mon cœur », m'ensevelissant pour ainsi dire dans le fond de mon âme afin de me perdre, de me transformer en la Trinité qui y demeure ; alors ma devise, « mon idéal lumineux », comme vous me le dites, se trouverait réalisé, je serais bien : Elisabeth de la Trinité. » Son attrait exceptionnel pour cet auguste mystère la portait à faire de chaque dimanche de l'année une fête de la Sainte Trinité. Lorsque nous récitions dans l'office de ce jour le symbole de saint Athanase, son âme, en le psalmodiant, était emportée au point de « pressentir les joies béatiliques ». Elle ne manquait pas une occasion de rappeler aux siens la fête même de la Sainte Trinité, et la célébrait dans un recueillement plus profond encore, c'était toujours au centre d'elle-même que se faisait la ren- contre et qu'elle adorait le mystère. « Cette fête est bien la mienne, écrit-elle à sa sœur ; pour moi il n'en est pas une semblable. Au Carmel, elle est toute de silence et d'adoration ; je n'avais jamais si bien compris le sens de ma vocation, caché dans mon nom. C'est en ce grand mystère que je te donne rendez- vous pour qu'il soit notre centre, notre demeure. » L'appartenance de Sœur Elisabeth aux trois divines Personnes accroissait encore sa tendre dévotion envers 144 SŒUR ELISABETH DE LA TULMTÉ la très Sainte Vierge et lui donnait comme une liaison lie grâce plus intime avec Celle qui, selon son expres- sion, (ut 1(1 (/ronde louange de gloire de la Sainte Trinité. « Ses mouvements d'àme sont si proTonds, aimait-elle à dire, que l'on ne peut les surprendre ; elle paraît reproduire sur la terre cette vie qui est celle de l'Etre divin : l'Etre simple ; aussi est-elle si transparente qu'on la prendrait jiour la lumière : pourtant elle n'est que le « Miroir du soleil de Justice ». Plus qu'aucune autre sainte, elle me semble imitable, sa vie était si simple ; rien qu'à la regarder, je me sens apaisée. » Sœur Elisabeth de la Trinité revenait avec complai- sance à l'heure bénie où l'Esprit Saint survenant en Marie et la vertu du Très-Haut la couvrant de son ombre, le Verbe s'incarnait en elle. Sous l'impression de grâce produite par cette contemplation, elle laissa un jour déborder son cœur dans une prière implorant quelques effets du mystère inelTable (1). Elle fut écrite le 21 novembre 1904, en la fête de la Présentation de Notre-Dame, que lui rendait chère l'alliance mysté- rieuse de la Vierge enfant avec les trois divines Personnes. Notre petite Sœur aimait à se recueillir en une profonde adoration sur le seuil du Temple, et renouvelait ses vœux dans ce même esprit d'oblatiou. Le temps de l'Avent l'attirait particulièrement aussi ; (( Je n'ai besoin d'aucun elïort, disait-elle, pour entrer dans ce mystère de l'habitation divine en la Vierge ; il me semble y trouver mon mouvement d'âme habituel, (|ui fut le sien : adorer en moi le Dieu caché. (1) \()ir à rAppciuiicc. VIE INTIME 145 » Quand je lis en l'Evangile que Marie partit et s'en alla en toute diligence vers les montagnes de Judée pour remplir son office de charité auprès de sa cou- sine Elisabeth, je la vois passer, calme, majestueuse, recueillie au dedans avec le Verbe de Dieu. Comme Lui, sa prière fut toujours celle-ci : Ecce, me voici. Qui? la servante du Seigneur, la dernière de ses créa- tures, elle, sa mère ! » Elle fut sincère en son humilité parce qu'elle fut toujours oublieuse, ignorante, délivrée d'elle-même, aussi pouvait-elle chanter : « Le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses, désormais toutes les générations m'appelleront bienheureuse (1). » Ces réflexions de Sœur Elisabeth nous rappellent qu'un religieux nous parlant d'elle un jour disait : « C'est une âme d'une simplicité exceptionnelle et toute délivrée par cette simplicité. » Dans une retraite, elle lui avait dit : « C'est bien obscur, bien pénible, mais je pense que c'est aussi simple de souffrir que de jouir. » Ce mot la dépeint. En effet, la chère enfant allait à Dieu directement, sans s'attacher à la pratique de telle ou telle vertu spéciale ; sa vie de carmélite, que peut résumer la parole du divin Maître : « Je fais toujours ce qui plaît à mon Père (2) », les embrassait toutes, et sans qu'elle en eût conscience. « L'amour habite en nous, disait-elle; aussi mon seul exercice est-il de rentrer au dedans et de me perdre en Ceux qui sont là. » « Je suis Elisabeth de la Trinité, c'est-à-dire Elisabeth (l; Luc, 1, 48. — (2) S. Jean, viii, 29. 10 146 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ disparaissant, se laissant envahir par les « Trois ». Livrons- nous à eux, nous immolant de minute en minute, sans rechercher des choses extraordinaires, et faisons-nous bien petites, nous laissant porter comme renTanl dans les bras de sa mère par Celui qui est notre Tout. » Oui, nous sommes faibles, je dirai même nous ne sommes que misère, mais II le sait bien ; Il aime tant nous pardonner, nous relever, et nous emporter en Lui, en sa pureté, en sa sainteté infinie ; c'est comme cela qu'il nous purifiera, par son contact continuel ; Il nous veut si pures ! et Lui-même sera notre pureté. Il faut nous laisser transformer en une même image avec Lui, et cela tout simplement, en aimant tout le temps, de cet amour qui établit l'unité entre ceux qui s'aiment. Je veux être sainte pour glorifier mon divin Maître; demandez-Lui que je ne vive plus que d'amour : c'est ma vocation. Unissons-nous pour faire de nos journées une communion continuelle ; éveillons-nous dans l'amour; tout le jour, livrons-nous à l'amour en faisant la volonté du bon Dieu, sous son regard, avec Lui, en Lui, pour Lui seul; donnons-nous sans inter- ruption et sous la forme qu'il veut ; puis quand vient le soir, après un dialogue d'amour qui n'a pas cessé en notre cœur, endormons-nous encore dans l'amour ; peut-être verrons-nous des fautes, des infidélités, aban- donnons-les à l'amour : c'est un feu (pii consume, faisons ainsi notre purgatoire. » Et encore : « Puis(|ue nous aspirons à être « victimes de charili' » comme notre sainte Mère Térèse, il faut que nous nous laissions enraciner en la charilé du VIE INTIME 147 Christ, comme dit saint Paul dans la belle épître d'aujourd'hui. Et comment cela ? En vivant sans cesse à travers toutes choses avec Celui qui habite en nous et qui est Charité. Il a soif de nous associer à tout ce qu'il est, de nous transformer en Lui. Réveillons notre foi, pensons qu'il est là au dedans et qu'il nous veut bien fidèles. Que d'actes d'abnégation connus de Lui seul à Lui offrir; n'en perdons aucun. Il me semble que les saints, ce sont des âmes qui s'oublient tout le temps, qui se perdent en Celui qu'elles aiment sans retour sur soi, sans regard sur la créature, tellement qu'elles peu- vent dire avec saint Paul : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. » Pour arriver à cette transformation, sans doute il faut s'immoler, mais nous aimons le sacrifice parce que nous aimons le divin Crucifié. Oh! regardons-le bien, apportons-Lui notre âme, disons-Lui que nous voulons uniquement l'aimer, que Lui fasse tout en nous, car seules nous sommes trop petites, et c'est si bon d'être le petit enfant du bon Dieu ! CHAPITRE X Relations de famille. Premier anniversaire. — La fête des morts en 1902. — Le culte d'une mère. — Comment Dieu répond à la confiance. — « Mes deux beaux lis. » — Le mystère de l'adoption divine. A côté d'accents sérapliiques, nous en recueillons de particulièrement touchants à l'adresse de celles que Sœur Elisabeth disait n'avoir jamais tant aimées que depuis sa consécration religieuse. Sa correspondance avec sa famille n'offre pas moins de charmes que d'édi- fication, en même temps qu'elle réfute éloquemment les préjugés du monde à l'égard de ceux qui sacrifient pour Dieu les douceurs et les joies du foyer. Au mois d'août 1902, la petite novice écrivait à l'occasion du premier anniversaire de son entrée au Carmel. Chère Maman, « Il y a un an, je donnais au bon Dieu la meilleure des mères, mais le grand sacrifice n'a pu séparer nos deux âmes; aujourd'hui plus que jamais elles n'en font qu'une, tu le sens, n'est-ce pas ? Oh ! laisse-moi te dire 150 SŒUR ÉLISAHKTH DK LA TRINITÉ (jue je suis heureuse, le bon Dieu a été trop bon pour moi; c'est tout un ilôt qui tléborde en mon àme, flot de reconnaissance et d'amour envers Lui et envers toi ; merci de m'avoir donnée à Lui. En repassant ces heures déchirantes, je rends grâces à Celui qui nous a tant soutenues. » Marguerite était radieuse l'autre jour ; depuis un an je ne l'avais pas vue comme cela : son petit cœur est pris. Ne crois pas que celui qui est captivé par le Christ soit moins heureux. Il est si beau, mon Fiancé! maman, je l'aime passionnément, et en l'aimant je me transforme en Lui ; puis c'est si bon. Il est toujours avec moi. Nous nous aimons tant! Ah! sans cela je serais encore avec toi. Je sens le sacrifice, mais je suis divinement heureuse. » Dis aux fiancés que je les enveloppe de prière. » Trois mois plus tard, la fête des morts devait reporter sa mère vers un passé douloureux. Sœur Elisabeth offre à son regard les radieuses clartés de sa foi. 1'' novembre 1902 Ma chèrk Maman, « Notre Révérende Mère comprend la solitude de ton cœur et me permet de venir à toi i)our te dire que ces jours-ci, mon àme sera encore plus unie à la tienne, et que dans la même foi, le même amour, nous retrou- verons les chers disparus qui nous ont précédés là-haut: jamais je ne les ai sentis aussi présents. Ils sont heureux (jue je sois au Carmel : le Carmel, c'est si près du ciel, c'est le ciel dans la foi ! RELATIONS DE FAMILLE 151 » Quand tu entendras sonner l'office des morts, joins ta prière à la mienne ; tout ce que je fais, tu le fais avec moi, c'est convenu avec le bon Dieu. » C'est aujourd'hui que le divin Maître a dit : « Bien- » heureux ceux qui pleurent parce quils seront con- » soles (1). » Au ciel // essuiera toute larme de leurs yeux (2). Chère maman, je t'ai vue pleurer bien sou- vent ; ta vie a été semée de douleurs et de sacrifices ; mais tu le sais, plus Dieu demande, plus II donne. » Cet Agneau que les Bienheureux adorent dans la vision, c'est Celui-là auquel ton Elisabeth est fiancée, et dont il lui tarde tant de devenir l'Epouse. Oh ! que ma part est belle : tout ce monde divin est à moi ; c'est le centre où je dois vivre, et dès ici-bas, suivre partout mon Agneau. » Si tu savais mon bonheur, tu dirais merci à Celui qui m'a choisie ; écoute ce qu'il te dit : « Celui qui fait » la volonté de mon Père, est ma mère, mon frère, ma » sœur (3). » Pense que tu n'es pas seule, l'Ami divin » est avec toi, et ton Elisabeth avec Lui ! » Nous retrouvons dans toutes ses lettres les mêmes échos de surnaturelles tendresses : Février 1902. Ma chère Marguerite, « ...Je t'envoie ma lettre à Lunéville, pensant que vous y êtes en ce moment. Je te charge de mille choses affec- (1) Matth., V, 5.— (2) Apoc, vu, 17. — (3) Matth., xii, 50. 152 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ tueuses pour M"" A... Dis-lui que les grilles du Carmel qui l'ont glacée et lui ont paru si sombres, me paraissent toutes dorées. Àh ! si l'on pouvait soulever le rideau, de l'autre côté quel bel liorizon, c'est l'infini ! C'est pour cela qu'il grandit chaque jour. Le Carmel, ce seul-à-seul avec Celui qu'on aime, oui c'est un ciel anticipé. Ne soyez pas jalouses, Lui seul sait ce que j'ai sacrifié en vous quittant ; si son amour ne m'avait soutenue, je sens bien que je n'aurais pu le faire tant je vous aime, et il me semble que cet amour grandit chaque jour, car II le divinise. » Je passe des jours de carnaval délicieux, divins ; le Saint-Sacrement est exposé ; je suis à peu près toute la journée près de Lui, et Marguerite est là avec moi ; il me semble que je la garde en mon àme. Nous sommes dans l'obscurité, car la grille est ouverte, et toute la lumière vient de Lui, j'aime voir cette grande grille entre nous ; Il est prisonnier pour moi, et je suis prisonnière pour Lui. » Puisque le bulletin de santé intéresse maman, dis- lui que je vais tout à fait bien; je ne me douterais pas que je suis en hiver si je ne voyais les jolis rideaux que le bon Dieu met à nos petites fenêtres ; comme le cloître est joli avec ses guirlandes dégivre... ! » Vis dans l'intimité avec Dieu, c'est en Lui que nous ne faisons qu'un. » « Te rappelles-tu, écrit-elle à sa mère aux environs du 15 août 1903, avec quel soin ton Elisabeth se cachait pour te préparer une jolie surprise ? Cette année, je fais aussi mes préparatifs, mes complots avec mon divin RELATIONS DE FAMILLE 153 Epoux. Il m'ouvre tous ses trésors, et c'est là que je puise pour l'offrir un céleste bouquet, une couronne qui bril- lera sur ton front pour l'éternité, et ta petite, un jour dans le ciel, se réjouira en pensant qu'elle a aidé le divin Maître à la préparer, qu'elle l'a enrichie de beaux rubis, sang de ton cœur et du sien !... » Je t'écris en notre petite cellule pleine de silence, pleine surtout de la présence de Dieu. Ce soir j'éprouve encore le besoin de te dire merci, car sans ton fmt tu sais bien que je ne t'aurais pas quittée, et Lui voulait que je te sacrifie pour son amour. Le Carmel, c'est comme le ciel, il faut se séparer de tout pour posséder Celui qui est Tout; mais je t'aime comme on aimera dans la patrie, il ne peut plus y avoir de séparation entre nous puisque celui que je possède en moi demeure en toi ; nous sommes ainsi tout unies. » Et maintenant, ma chère maman, il ne me reste que le temps de l'exprimer un souhait : que Dieu, qui m'a prise à Lui, soit toujours plus l'Ami en lequel tu te reposes de tout ; vis en son intimité comme on vit avec Celui qu'on aime, en un doux cœur à cœur ; c'est le secret du bonheur de ta fille, qui t'embrasse avec tout l'amour de son cœur de Carmélite, ce cœur qui est tout à toi, car il est tout à Lui, tout à la Trinité. » Le recueillement intérieur, l'intimité avec Dieu, les joies du divin amour étaient le thème habituel des pieux entretiens de Sœur Elisabeth avec sa famille aux grilles du parloir. C'était un bonheur pour l'ardente enfant de pouvoir emporter toujours plus haut ces âmes tant aimées. 154 SŒUR ÉLISAHETH DE LA TUINITK « Je suis ravie voyant ce que le bon Dieu fait pour maman et Marguerite, écrit-elle au vénéré Chanoine. Il m'a prise })Our se donner davantage. » Et une autre fois : « Il me tarde de vous envoyer ma chère maman, vous verrez comme Dieu poursuit son œuvre en elle ; quelquefois je pleure de bonheur et de reconnaissance; c'est si doux d'avoir le culte de sa mère, de la sentir ainsi toute à Lui, de pouvoir lui dire toute son âme et d'en être comprise ! Qu'il fait bon se confier à Dieu, vivre d'abandon pour soi et pour ceux que l'on aime ! » Le ciel répondit à ce total abandon en multipliant les bénédictions au foyer toujours cher à son cœur. C'est ainsi qu'elle vit sa jeune sœur contracter une alliance conforme aux désirs de sa foi. Elle prend occasion de cet événement pour exprimer à sa mère les sentiments les plus délicats à l'endroit de son propre bonheur. « Marguerite est venue me voir avec son mari, ils ont l'air si heureux! J'ai remercié Dieu pour eux... et pour moi; du côté de la terre je semble n'avoir que le sacri- fice, mais c'est tout de même moi qui ai la meilleure part, crois-le bien, et malgré les larmes et la douleur que cela impose au cœur d'une mère, elle doit se réjouir d'avoir donné une carmélite à Dieu, car après le prêtre, je ne vois rien de plus saint sur la terre; une Carmélite, cela sui)pose un être tellement divinisé ! Oh ! demande à notre sainte Mère Térèse, (pie toute i)etite lu m'ai)pris à aimer, demande-lui que je sois sainte Carmélite, et réjouis-toi d'être aimée par ce petit cœur qui est tout au bon Dieu. Si je L'aime, c'est toi (pii m'as orientée vers Lui; lu m'as si bien préparée à la première rencontre, RELATIONS DE FAMILLE 155 ce grand jour où nous nous sommes donnés l'un à l'autre !... Merci pour tout ce que tu as fait; je voudrais le faire aimer, et comme toi, Lui donner des âmes. » Je confie un baiser à mon Christ pour qu'il aille te le porter de la part de son épouse, ta petite aimée. » Novembre 1903. « Le royaume de Dieu est au dedans de vous (1). » Chère Marguerite, « Quelle joie tu as fait à mon cœur en me fêtant ainsi ! Ton gentil mot m'a fait plaisir, et ta belle photo- graphie m'a fait du bien ; sainte Elisabeth t'a tout à fait inspirée car je la désirais justement ; elle me recueille; je pense que c'est nous deux qui sommes ainsi près de Notre-Seigneur. C'est si vrai qu'il est en nos âmes et que tout le temps nous sommes avec Lui, comme Marthe et Marie. Tandis que tu vas à l'action, je te garde à ses pieds ; tu le sais, quand on L'aime, les choses exté- rieures ne peuvent distraire, et Marguerite est à la fois Marthe et Marie ! » Comme je t'enveloppe de prière, toi et le cher petit être qui est déjà dans la pensée de Dieu! Laisse-toi toute prendre et envahir par sa vie divine, afin de la donner au cher petit qui arrivera au monde tout comblé de bénédictions. » Je vous le souhaite bien gentil, et je me réjouis du (1) Luc, xvii, 21. 156 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ bonheur qu'il ^apportera avec lui ; j'en remercie Dieu et m'associe à votre joie du fond de ma solitude aimée. » Bientôt c'est l'arrivée d'une petite Elisabeth qu'elle accueille par ces lignes charmantes : « Je me sens toute pénétrée de respect en face de ce petit temple de la Sainte Trinité ; son àme m'apparait comme un cristal qui rayonne Dieu, et si j'étais près d'elle, je me mettrais à genoux pour adorer Celui qui y fait sa demeure... Comme j'aimerais la bercer! mais le bon Dieu m'a appelée sur la sainte montagne afin que je sois son ange, que je l'enveloppe de prière, et tout le reste, je Lui en fais bien joyeusement le sacrifice pour elle. Combien je suis heureuse en pensant que tu es mère ! Je te confie, toi et ton ange, à celui qui est tout amour; avec vous je L'adore, et sur son cœur je vous étreins. » Mars 1904. Que Dieu est bon ! Chère Grand'mère, « Je suis émue en te donnant ce nom si doux, et tout heureuse que la chère petite s'appelle Elisabeth. 11 me semble que le bon Dieu me la donne pour que je sois son ange, et je l'adopte tout à fait. J'ai tant prié pour elle avant sa naissance ! et désormais ma prière et mes sacrifices seront les deux ailes à l'ombre desquelles je l'abriterai. » J'avais ofiert une neuvaine de Messes afin de la mettre sous le précieux Sang; la neuvaine se terminait ce matin, fête des cinq plaies du Sauveur; et le [letit RELATIONS DE FAMILLE 157 ange nous vient de la blessure de son cœur, n'est-ce pas touchant? » Fais-moi savoir le jour du baptême pour que j'accompagne ma petite aimée aux fonts baptismaux, tandis que le Saint-Esprit descendra dans son àme. Ta Carmélite eût aimé te voir, mais le sacrifice est si bon, surtout celui du cœur ! Tu as donné ton Elisabeth à Dieu, Il t'en envoie une autre, et toutes deux, nous rivaliserons à qui t'aimera le plus... » 20 juillet 1904. Le regard de Dieu est sur elle, son amour l'environne comme d'un rempart. « Chère petite sœur, « écho de mon âme », c'est ainsi que Thérèse de l'Enfant Jésus nommait une de ses sœurs ; ce soir à la veille de ta fête, j'ai plaisir à te donner ce doux nom. » Ma fleur chérie, Marguerite, je demande à Dieu, qu'il comble tous les désirs de ton large « cœur d'or » ; qu'il darde sur toi les feux de son amour, afin que, sous l'action de ses divins rayons, tu croisses, t'épa- nouisses et qu'à ^l'ombre de tes « grands pétales blancs » une autre petite fleur, bien chère à mon cœur, puisse entr'ouvrir sa tendre corolle. » Qu'elle est jolie ta petite Sabeth ! hier, dans les bras de sa radieuse grand'mère, elle m'a fait toutes sortes de grâces. Elle était si gentille avec ses yeux fermés et ses mains croisées sur son cœur. J'ai fait sourire notre Révérende Mère en lui disant que ma nièce était une « adorante » ; c'est son office : « Maison de Dieu... » 158 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Août 1904. Dieu est amour. « Ma petite sœur chérie, oui je te trouve aux pieds de Jésus ; plus que cela, je ne te quitte pas, je m'unis à la joie de son Cœur de trouver une Marguerite en laquelle II puisse reposer. Sois son paradis en ce paj's où II est si peu connu, si peu aimé ; ouvre ton cœur tout au large pour l'hospitaliser, et là, dans ta petite cellule intérieure, aime, Marguerite. Il a soif d'amour, tenons-Lui compagnie... Je suis contente de toi, et le Maître aime sa fleur. » Il me semble bien loin le temps où nous grimpions sur ces montagnes; je me rappelle la jolie vue de notre chambre. Ne trouves-tu pas que cette nature parle de Dieu ; l'àme a besoin de silence pour adorer. Jouis de cette belle Suisse et de la douce intimité avec notre chère maman. Je comprends ton sacrifice de sentir Georges loin de vous ; c'est la loi ici-bas, le sacrifice à côté de la joie ; le bon Dieu veut nous rappeler que nous ne sommes pas arrivés au terme du bonheur ; mais nous y sommes orientés, et Lui-même veut nous conduire, nous porter en ses bras. Là-haut, petite sœur. Il comblera tous les vides ; en attendant vivons dans le ciel de notre àme, il y fait déjà si bon!... » Pâques 1904. Alh'hiia. Chère Marguerite, « Nous avons chanté VAlleliiia, et je viens te dire combien je partage tes joies maternelles, je suis si con- RELATIONS DE FAMILLE 159 tente d'être encore une fois tante, et surtout d'une petite fille, car il me semble que l'union qui existait entre nous va se perpétuer à ton doux foyer, et je me réjouis que Sabeth ait une Odette, comme tante Elisabeth avait une Marguerite. Sabeth est née le jour de la fête des cinq plaies de Jésus, et voici qu'Odette arrive le jour où le Maître a été vendu pour racheter sa petite àme, n'est-ce pas touchant ? » Pendant cette grande semaine, j'ai emporté ton àme partout avec la mienne, surtout pendant la nuit du Jeudi Saint ; et puisque tu ne pouvais aller à Lui, je Lui ai dit de venir à toi. Dans le silence de l'oraison, je disais tout bas à ma Giiite ces paroles que le Père Lacordaire adressait à Madeleine, alors qu'elle cherchait son Maître au matin de la Résurrection : « Ne le demandez plus à » personne sur la terre, à personne dans le ciel, car Lui, » c'est votre àme, et votre àme, c'est Lui ! » » Oh ! comme II bénit ton petit nid, comme II t'aime en te confiant ces deux petites âmes « qu'il a élues en » Lui avant la création, afin qu'elles soient saintes et » sans tache en sa présence dans la charité ! (1). » C'est toi qui dois les orienter vers Lui et les garder toutes siennes. » Je te charge de dire à Georges le retentissement qui se fait en mon cœur de toutes vos joies, pour lesquelles je rends grâces au « Père de qui vient tout don parfait (2) ». » A Dieu, je me recueille avec toi près des petites ; chacune, à son côté, a un bel ange qui voit la Face de (1> Eph., I, 4.- (2) .lac, i, 17. 160 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Dieu ; (lemandons-leur de nous emporter et fixer en l'immualjle amour. » J'envoie à Odette une médaille qui a touché l'enfant Jésus miraculeux de Beaune ; elle est en cuivre, car je suis une pauvre Carmélite; tu pourras la mettre à son berceau, afin que celui qui aime tant les petits la bénisse et la protège. ». Plus tard, c'est à Elisabeth et à Odette elles-mêmes qu'elle s'adresse : ravissante façon de réjouir et de faire vibrer l'âme de leur mère, fidèle écho de la sienne. « Mes chères petites nièces, mes deux beaux lis tout blancs, tout purs dont le calice renferme Jésus; si vous saviez comme je prie pour vous, afin que son ombre vous couvre et vous garde de tout mal ! A qui vous con- temple dans les bras de votre maman, vous semblez bien petites ; mais votre tante qui vous regarde aux clartés de la foi, voit en vous un caractère de grandeur infinie; car Dieu de toute éternité vous portait en sa pensée. Il vous prédestinait à être conformes à l'image de son Fils Jésus (1), et par le baptême. Il vous a revêtues de Lui, vous faisant ainsi ses enfants en même temps que son temple vivant. » O chers petits sanctuaires de l'amour, en voyant la splendeur qui rayonne en vous et qui n'est cependant qu'une aurore, je me tais et j'adore Celui qui crée de telles merveilles ! » (1) Rom., viii, 29. RELATIONS DE FAMILLE 161 Août 1905. « Celui qui s'unit au Seigneur devient un même esprit avec Lui (1). » « Ma chère petite sœur, c'est aujourd'hui dimanche, jour béni entre tous puisqu'il s'écoule auprès du Saint- Sacrement exposé à l'oratoire, sauf cependant le temps où je suis au Tour. J'en profite pour venir causer avec toi, sous le regard de Celui que nous aimons. Je prends une grande feuille, car lorsque je suis avec ma Giiite, il vient tant de choses sous ma plume ! » Je viens de lire dans saint Paul des choses splen- dides sur le mystère de l'adoption divine; naturellement j'ai pensé à toi. Tu es mère, tu sais quelles profondeurs d'amour Dieu a mises en ton cœur pour tes enfants ; tu peux saisir la grandeur de ce mystère : enfant de Dieu, Marguerite, est-ce que cela ne te fait pas tressaillir? Ecoute parler mon cher saint Paul : « Dieu nous a éhis » en Lui avant la création, Il nous a prédestinés à l'adop- » tion des enfants pour faire éclater la gloire de sa » grâce (2). » C'est-à-dire qu'en sa toute-puissance, Il semble ne pouvoir rien faire de plus grand. Ecoute encore : « Si nous sommes enfants, nous sommes aussi » héritiers (3). » Et quel est cet héritage ? « Dieu nous a » rendus dignes d'avoir part à l'héritage des saints dans la » lumière (4). » Et puis, comme pour nous dire que cela n'est pas un avenir lointain, l'Apôtre ajoute : « Vous n'êtes » donc plus des hôtes ou des étrangers, mais vous êtes de (1) I Cor., VI, 17. — (2) Ephés., i, 4, 5, 6. — (3) Gai., iv, 7. — (4) Colos., I, 12. 11 102 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ » la cité des saints et de la maison de Dieu (1). » O Marguerite, ce ciel, il est au centre de notre àme; comme tu le verras en saint Jean de la Croix, lorsque nous sommes au centre le plus profond, nous sommes en Dieu. N'est-ce pas que c'est simple, que c'est conso- lant ! A travers tout, parmi tes sollicitudes maternelles, tu peux te retirer dans cette solitude pour te livrer à l'Esprit-Saint afin qu'il te transforme en Dieu, qu'il imprime en ton àme l'image de sa beauté divine, afin que le Père se penchant sur toi, ne voie plus que son Christ, et qu'il puisse dire : « Celle-ci est ma fille bien- » aimée en qui j'ai mis mes complaisances. » Petite sœur, au ciel, je me réjouirai voyant mon Christ si beau dans ton àme, je ne serai pas jalouse; mais avec une fierté de mère, je Lui dirai : « C'est moi, pauvre » misérable, qui l'ai enfantée à votre vie. » Saint Paul parlait ainsi aux siens, j'ai bien de la prétention de vou- loir l'imiter, qu'en dis-tu? » En attendant : « croyons à l'amour » avec saint Jean, et puisque nous le possédons en nous, qu'im- portent les nuits qui peuvent obscurcir notre ciel? Si Jésus semble dormir, reposons-nous près de Lui; soyons bien calmes et silencieuses, ne le réveillons pas, mais attendons dans la foi. Lorsque Sabeth et Odette sont dans les bras de leur chère maman, je crois qu'elles s'inquiètent peu s'il fait du soleil ou s'il pleut ; imitons ces chères petites, vivons dans les bras du bon Dieu avec la même simplicité. » Ton grand parc m'attire, c'est si bon la solitude, (1) Ephés., II, 19. RELATIONS DE FAMILLE 163 je crois que tu sais l'apprécier. Veux-tu faire avec moi une retraite d'un mois jusqu'au 14 septembre? Notre Mère me donne ce petit congé du Tour, je n'aurai plus à parler ni à penser ; je vais m'ensevelir au fond de mon âme, c'est-à-dire en Dieu. Veux-tu me suivre en ce mouvement tout simple ? » Quand tu seras distraite par tes nombreux devoirs, je tâcherai de compenser, et, si tu veux, pour te res- saisir, à chaque heure tu entreras au centre de ton âme, là où demeure l'Hôte divin ; lu pourras penser à la belle parole que je t'ai dite : « Vos membres sont le temple de l'Esprit-Saint qui habite en vous (1). » Et à celle-ci qui est du Maître : « Demeurez en moi et moi en vous (2), » Il est dit de sainte Catherine de Sienne qu'elle vivait toujours en cellule, quoique au milieu du monde, car elle vivait en cette habitation intérieure où Margue- rite sait vivre aussi... » (1) I Cor., m, 16. — (2) Joan., xv, 4, CHAPITRE XI (( Seule avec le Seul. » Lettres consolantes. — Qu'il est simple de mourir. — Soif d'immo- lation. — Retraite de 1905. — Impressions de la dernière heure. — Pressentiment. La même fraîcheur et élévation de sentiment se retrouvent dans toute la correspondance de Sœur Elisa- beth de la Trinité. Quelque sujet qu'elle traite, sa plume toujours délicate et surnaturellement inspirée, donne à ses écrits un charme personnel qu'on ne peut rendre ; ce qui a fait dire de la fille de sainte Térèse, comme de la séraphique Mère, qu'elle ne sera bien connue que par ses lettres. Aussi volontiers les citerions-nous toutes à la suite de celles que l'on vient de lire sans la crainte d'allonger notre récit ; du moins qu'il nous soit permis d'en livrer encore quelques-unes : elles font pressentir la phase dernière, celle d'une âme qui s'éloigne de la terre et déjà remonte vers Dieu. « J'apprends le douloureux sacrifice que Dieu demande à votre cœur, écrit-elle à M. l'abbé X..., à l'occa- 166 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ sion de la mort de son père. Il me semble qu'à de telles heures le Maître seul peut parler. Lui dont le cœur si divinement aimant « se troubla » au tombeau de Lazare- Nous pouvons donc mêler nos larmes aux siennes, et appuyés à Lui, retrouver force et paix. Je prie beaucoup j)our l'àme de Monsieur votre père ; il était bien le juste dont parle l'Ecriture, et quelle consolation de voir, au soir de sa course, cette belle vie si pleine ! Pour lui, le voile est tombé, l'ombre du mystère a dis- paru, il a vu..., suivons-le par la foi en ces régions de paix et d'amour, c'est en Dieu que tout doit finir. Un jour. Il nous dira son Veni à nous aussi ; alors, comme le petit enfant sur le cœur de sa mère, nous nous endor- mirons en Lui, et dans « sa lumière, nous verrons la lumière (1) ». » A Dieu, Monsieur l'abbé, vivons bien haut, bien loin..., en Lui..., dans nos cœurs; et puisque par la communion des saints, nous sommes en rapport avec ceux qui nous ont quittés, enveloppons d'une même prière l'àme de votre cher père afin que, si elle ne l'a déjà, elle puisse aller bientôt jouir de l'éternel face- à-face. C'est sous ce rayonnement de la Face de Dieu, que je vous demeure unie. » A une amie qu'elle veut emporter au delà de sa douleur : « Je comprends ton chagrin. Quel mystère insai- sissable que la mort; et en môme temps quel acte simple pour l'àme (jui a vécu de la foi, pour ceux qui, selon le (1) Ps. XXXV, 10. « SEULE AVEC LE SEUL )) 167 langage de saint Paul, « n ont pas cherché les choses visi- )) blés, car elles sont passagères, mais les invisibles qui sont » éternelles (1) ». Saint Jean dont l'âme si pure avait été tout irradiée des clartés divines, dit un petit mot bien court qui me semble une ravissante définition de la mort : « Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce monde ci son Père... (2). » Ne trouves-tu pas cela d'une touchante simplicité?... Lorsque pour nous aussi sonnera l'heure décisive, il ne faut pas croire que pour nous juger, Dieu viendra au devant de nous, mais puisque nous serons fixés pour l'éternité dans l'état où Dieu nous trouvera et que notre degré de grâce sera notre degré de gloire, par le fait de la délivrance de notre corps, notre âme pourra le voir sans voile, en elle-même, tel qu'elle le possédait durant toute sa vie, mais sans pouvoir le contempler face-à-face. Ceci est tout à fait vrai, c'est de la théologie. Il est bien consolant, n'est-ce pas, de penser que Celui qui doit nous juger habite en nous pour nous sauver tout le temps de nos misères et nous les pardonner. Saint Paul dit positi- vement : « // nous a justifiés gratuitement par la foi en son sang (8). » Que nous sommes riches des dons de Dieu, nous, les prédestinés à l'adoption divine, et par consé- quent héritiers de son héritage de gloire ! » Cette âme pour laquelle le ciel est si proche et la mort si simple, est presque au terme de l'exil ; sa soif d'im- molation, grâce des premières années, était bien un divin appel au Calvaire qui se dessine maintenant à l'horizon. (1) IICorinth.,iv, 18.— (2) S. .loan., xiii, 1.— (3) Rom., m. 24, 25. 1()S SŒUR KLISAHKTII DE LA TlUNITÉ Avec quelques ménagements, la santé de Sœur Elisa- l)elh avait pu se maintenir jusqu'au printemps de 1905; mais alors nos saintes observances durent lui être adou- cies : suprême renoncement pour cette vraie Carmélite qui désirait garder sa règle jusqu'à la mort, a jusqu'à en mourir ». « Qu'il me fut pénil)le d'être ménagée, j'avais un tel besoin de suivre mon Maître dans l'immolation, con- fiait-elle à la Mère Prieure vers la fin de sa vie. Je me souviens encore du grand sacrifice que vous me fîtes faire un certain jour. C'était au début du Carême ; je vous demandai la faveur d'une simple collation. « Vous » prendrez tout ce que l'on vous servira », me dites-vous sans me laisser aucune espérance. Cette réponse équi- valait pour moi à un refus, je me soumis non sans qu'il m'en coûtât ! Le soir venu, entrant au réfectoire, j'eus bien envie de regarder à ma place, mais je donnai cet empressement et ce regard à Notre-Seigneur, renouve- lant le sacrifice du matin ; et voilà que me glissant sur le banc de notre table, j'aperçus la pauvre petite colla- tion tant désirée. Je ne puis vous dire quelle joie inonda mon âme. Non, jamais sensuel n'éprouva devant un somptueux banquet l'impression que je ressentis ce soir- là en présence de ce frugal repas. Combien j'étais heu- reuse ! Quelle action de grâce montait de mon cœur à Dieu et à vous, ma Mère ! » Hélas! ce bonheur ne devait i)as lui être renouvelé. Le jeûne était alors au-dessus de ses forces ; mais le médecin nous donnait pourtant l'espoir que cette crise passerait avec du repos el le grand air. IClle fui retirée de ronice de portière, et désormais « SEULE AVEC LE SEUL )) 169 « seule avec le Seul », nous la vîmes pleinement cor- respondre à la grâce d'une profonde solitude. « Notre bonne Mère, qui soigne ton Elisabeth avec un cœur tout maternel, écrit-elle à sa mère, tient à ce que j'aille au grand air ; aussi au lieu de travailler dans notre petite cellule, je m'installe comme un ermite dans l'endroit le plus désert de notre vaste jardin, et là, je passe des heures délicieuses. La nature me semble pleine de Dieu ; le vent qui souffle dans les grands arbres, les petits oiseaux qui chantent, le beau ciel bleu, tout me parle de Lui. O maman, j'ai besoin de te dire que mon bonheur grandit toujours ; il prend des proportions infinies comme Dieu Lui-même, et c'est un bonheur si calme, si doux ! Je voudrais te donner mon secret. » Saint Pierre dans sa première épître dit : « Parce » que vous croyez, vous serez remplis d'une joie inêbran- » lable (1). » La Carmélite puise en effet tout son bon- heur à cette source divine : la foi. Elle croit, comme dit saint Jean, « à l'amour que Dieu a eu pour elle » ; elle croit que ce même amour l'a attiré sur la terre et dans son âme, car Celui qui s'est nommé la Vérité a dit en l'Evangile : « Demeurez en moi et moi en vous (2). » Alors tout simplement, elle obéit au commandement si doux ; elle vit dans l'intimité avec le Dieu qui demeure en elle, qui lui est plus présent qu'elle ne l'est à elle-même... Tout cela, chère maman, ce n'est pas de l'imagination ou du sentiment, c'est de la foi pure, et la tienne est si forte que le bon Dieu pourrait te répéter cette parole (1) I l^etr., I, 8, — (2) S. Joan., xv, 4. 170 SŒUU ELISABETH DE LA TRLMTÉ qu'il a dite jadis : O femme, votre foi est grande ! Oui elle fut grande lorsque tu conduisis ton Isaac pour l'im- moler sur la montagne. Le bon Dieu a enregistré au grand livre de vie cet acte héroïque fait par ton cœur de mère ; je crois que ta page sera bien remplie, et que, dans une douce confiance, tu peux attendre l'heure des manifestations divines. » Chère maman, c'est mardi ta fête, et quoique au Carmel ce ne soit pas l'usage d'écrire pour cette occa- sion, car nous devons être des sacrifiées, surtout en ce qui nous touche au cœur, notre Révérende Mère m'a permis de faire coïncider ma lettre avec cette date qui m'est si chère. Tu devines si je t'envoie ce que j'ai de plus tendre. Avec quelle joie je préparais jadis mes sur- prises pour ce jour, t'en souviens-tu? Tout cela, je l'ai immolé sur l'autel de mon cœur à Celui qui est un Epoux de sang. Dire qu'il ne m'en a rien coûté serait bien loin de la vérité ; parfois je me demande com- ment j'ai pu quitter une mère si bonne, mais plus on donne à Dieu, plus II se donne aussi, je le comprends mieux chaque jour. Donc bonne fête ! Je serais bien heureuse si la Sainte Vierge emportait en son Assomption tous tes soucis passés, présents, à venir, car tu ne t'en fais que trop, et ton Elisabeth ne peut voir passer une ombre sur ton visage aimé. » Le « commandement si doux » que Sœur Elisabeth de la Trinité rappelle à sa mère « demeurez en moi » était pour elle-même, malgré les impuissances occasion- nées par son état physique, le principe d'une paix inal- térable. Elle savait s'élever au-dessus de sa sensi- bilité : « SEULE AVEC LE SEUL )) 171 « Je m élance vers mon but qui est le Christ (1) », disait- elle, et comme c'était vrai ! Plus tard elle avouera à sa Prieure avoir regardé quelquefois de son côté, en quit- tant la récréation du matin, avec l'espérance d'un petit signe d'appel attendu comme un rayon bienfaisant dans sa nuit. « Comme vous ne le remarquiez pas, ma Mère, je regagnais notre cellule avec ma souffrance. — Qu'y faisiez-vous ? — Je cherchais à m'élever au-dessus ou à me glisser dessous ; je prenais saint Paul qui avait tou- jours grâce pour moi, quoique bien dans la foi, je vous assure, à ces heures-là. Je relisais certains passages plus goûtés, ou bien je demandais à mon Maître de me conduire aux meilleurs pâturages, et ruminant ce que j'avais ainsi trouvé, je finissais par tout dominer. Mais si vous saviez ce que le bon Dieu veut de moi ! Il ne me permet pas un seul regard en dehors de Lui, pourtant si caché ; c'est tout bonnement de l'héroïsme qu'il me demande. » « Je pars ce soir pour un grand voyage qui n'est rien moins que ma retraite particulière, écrit-elle le 8 octo- bre 1905, à M. l'abbé X..., récemment ordonné prêtre. Pendant dix jours je vais être en solitude absolue, ayant plusieurs heures d'oraison supplémentaires, et ne circulant dans le monastère que le voile baissé : ma vie sera plus encore celle d'un ermite au désert. Avant de m'enfoncer en ma Thébaïde, je sens un vrai besoin de venir vous demander le secours de vos bonnes prières, surtout une grande intention au saint Sacrifice de la Messe. Lorsque vous consacrerez cette hostie où (1) Philip., III, 12. 172 SŒUR ELISABETH DE LA TRFNITÉ .Icsiis, le seul Saint, va s'incarner, voulez-vous me con- sacrer avec Lui comme hostie de louange à sa gloire, alin que toutes mes aspirations, tous mes mouvements, tous mes actes soient un hommage rendu à sa sain- teté. « Soyez saints parce que je suis saint (1). C'est sous cette parole que je me recueille ; elle est la lumière aux rayons de laquelle je vais marcher durant mon divin voyage. Saint Paul me la commente lorsqu'il dit : « Dieu nous a élus avant la création, afin que nous fus- » sions immaculés et saints en sa présence dans » ïamour (2). » C'est donc là le secret de cette pureté virginale : demeurer en l'amour, c'est-à-dire en Dieu : « Dieu est charité (3). » » Durant ces dix jours, priez donc beaucoup pour moi, j'y compte tout à fait; je dirai même que cela me paraît tout simple : c'est pour que nous nous aidions que le bon Dieu a uni nos âmes, n'a-t-Il pas dit : « Le » frère aidé par son frère est comme une ville forti- » fiée (4). » Voilà la mission que je vous confie. » Voulez-vous, Monsieur l'abbé, faire pour moi cette prière qui, du grand cœur de saint Paul, montait vers Dieu i)our ses chers Epliésiens. « Que le Père, selon les » richesses de sa gloire, vous fortifie en puissance par son » Esprit, en sorte que Jésus-Christ habite par la foi en » votre cœur, et que vous soyez enracinés et fondés en » l'amour. Puissiez-vous comprendre la hauteur, la pro- » fondeur de ce mystère : connaître l'amour du Christ qui (1) Lévit., XIX, '2. - (2) Hphés., i,4. — (.3) I Joan.. iv. 1(1. - (4) Prov., XVIII, li). « SEULE AVEC LE SEUL )) 173 » dépasse toute antre connaissance, afin d'être remplis » selon la plénitude de Dieu (1). » Sanctifions le Christ en nos cœurs (2) », afin de réaliser ce que David chantait sous la touche de l'Esprit Saint : « Sur lui s'épanouira avec éclat ma sanctifl- » cation (3). » Cette retraite lut comme le couronnement de toutes les autres. « Dieu me donne de telles lumières sur notre sainte vocation, disait-elle en rendant compte de ces jours pleins ; Il me la montre si haute et si sublime, que je le ptrie de ne pas me laisser vivre longtemps. Cela me paraît si difficile, lâche comme je le suis, d'atteindre à cette élé- vation et de m'y maintenir. Il a bien des moyens de sup- pléer à la gloire qu'il pourrait attendre de sa petite louange ici-bas, et peut en quelques jours me faire par- courir une longue carrière. Il sait combien je L'aime et désire souffrir pour Lui. » A la suite de cette retraite, nous pûmes constater son essor plus rapide encore vers ces régions supérieures où l'on ne vit que de Dieu. Parfois même nos jeunes Sœurs, ses voisines en récréation, disaient ne pouvoir plus la suivre en son sillon lumineux. C'était vraiment l'être de l'au-delà : tout contact avec elle le révélait. Ses dispositions intérieures imprimaient aux mouve- ments de son corps une modestie, une dignité qui frap- paient. Une novice l'ayant rencontrée dans les cloîtres, n'osa pas l'arrêter pour lui demander un service, tant elle l'avait sentie enveloppée de Dieu. (1) Ephés.,iii, 16, 17,18,19.— (2) I Petr., m, 15.— (3) Ps.cxxxi, 19. 174 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Ces impressions de la dernière heure rappellent bien celles du postulat ; mais des accroissements continuels de recueillement et d'oraison donnaient à cette àme pri- vilégiée une maturité, une grâce communicative qui faisaient concevoir les plus hautes espérances. Sœur Elisabeth de la Trinité allait quitter le noviciat, se dévouer davantage à sa famille religieuse, son influence devait tout naturellement s'étendre. Dieu veut en faire une grande sainte ou la consommer rapidement, pensions-nous en voyant ces trésors de grâces. Cette dernière conjecture prévalut bientôt; nos espérances durent céder à ses ardents désirs. Le divin Maître lui en donnait-il le secret pressentiment?... A Noël, préparant la crèche, on l'avait entendue dire au Saint Enfant Jésus : « Eh bien ! mon petit Roi d'amour, l'an prochain nous nous verrons de plus près. — Com- ment le savez-vous, lui demandai-je, raconte sa com- pagne? Elle me regarda, sourit avec son air de séra- phin et ne m'en parla plus. » m. AU SEUIL DE L'ÉTERNITÉ « L'amour a été ton principe et ton milieu ; il doit être aussi ta fin, et tu ne peux vivre sans amour, vu qu'il est ta vie en ce monde et en l'autre ; car c'est moi. Dieu, qui suis I'Amour. » (Dialog. de S'« Cat. de Gênes.) CHAPITRE XII Dieu rappelle à Lui sa Louange de gloire. Saint Joseph patron de la bonne mort. — Retraite fortifiante. — Le Carême et saint Paul. — La vénérable Marguerite du Saint- Sacrement. — Le dimanche des Rameaux. — Saint abandon. — Soudaine amélioration. — Lettres à sa famille. Le l^"" janvier 1906, dans le tirage des saints protec- teurs de l'année que nous faisons en récréation, saint Joseph écliut en partage à Sœur Elisabeth de la Trinité ; elle en fut très consolée. « Saint Joseph est le "patron de la bonne mort, dit-elle, il vient me chercher pour me conduire au Père. » Personne n'y crut, on sourit même de cette espérance qui la rendait toute joyeuse. Une sœur ancienne l'ayant aimablement reprise de songer déjà au repos de l'éternité, elle fit un petit signe qui confirmait son idée, ou plutôt son intuition. A cours de ce même mois, elle suivit avec la com- munauté une retraite prêchée par un religeux de la Compagnie de Jésus, dont la grâce fut d'accroître encore la vigueur de sa volonté pour pleinement adhérer 12 178 SŒUR ÉLISARKTII DK LA TRINITK à colle (le Dieu ; elle était donc vraiment prête à entrer dans la voie douloureuse, ou mieux, ce viatique devait soutenir sa marche vaillante dans une voie déjà ouverte à la chère petite victime. Sœur Elisabeth de la Trinité avouera plus tard qu'a-" lors elle ressentait depuis plusieurs mois une fatigue telle que, sans le secours de Dieu, elle eût succombé. Ainsi, avant d'être retirée de l'office de portière, il lui avait été parfois difficile de presser le pas quand, un peu éloignée, elle s'entendait appeler. Un jour, entre autres, se trouvant au bas d'un escalier lorsque la clochette retentit, il lui fallut un réel effort pour en monter le premier degré ; elle n'en pouvait littéralement plus ; mais comme il est rapporté de nos anciennes Mères, la généreuse enfant tirait force de ses infirmités : « Je puis tout en Celui qui me fortifie (1) », disait-elle, et son extérieur répondant à ce grand courage, nul ne se serait douté qu'elle fût aussi foncièrement ébranlée. Celles-là même qui lui prodiguaient leurs soins, justement préoccupées de son état de santé, en ignoraient cepen- dant encore la gravité. Sœur Elisabeth de la Trinité, dans la crainte d'exagérer ses souflrances, atténuait toujours ses expressions dans l'exposé qu'elle devait en faire. D'ailleurs, tout fut mis en œuvre pour son réta- blissement, mais hélas ! on ne put triompher du mal. « Le matin, après la récitation des petites Heures, disait-elle, poursuivant ses aveux, je me sentais déjà à bout de forces et me demandais comment je pourrais arriver au soir. Après Complies, ma Idtcheté était à son (1) Philip., IV, 13 DIEU RAPPELLE A LUI SA LOUANGE DE GLOIRE 179 comble, aussi ai-je eu parfois la tentation d'envier une sœur dispensée de l'Office des Matines. — Ne croyiez- vous pas manquer de simplicité en ne disant pas tout ce que vous éprouviez ? interrompit la Prieure émue de ces confidences. — Ma Mère, la pensée que je devais vous en parler ne m'est jamais venue; vos soins, comme les exceptions auxquelles j'étais soumise, restant sans effet, je voyais clairement la volonté de Dieu ; d'ailleurs, je craignais toujours d'écouter la nature et de me plain- dre ; puis qu'auriez-vous pu faire de plus pour moi? Quand vous me donniez un repos, je n'en étais pas sou- lagée : brisée dans tout mon être, je ne trouvais ni posi- tion, ni sommeil profond, en sorte que je n'aurais pu dire qui l'emportait du jour ou de la nuit, en fait d'ac- cablement. » La prière était encore le meilleur remède à mes maux. Je passais le temps du grand silence dans une véritable agonie que j'unissais à celle du divin Maître, me tenant à côté de Lui, près de la grille du chœur. C'était une heure de pure souffrance, mais qui m'obte- nait des forces pour Matines; j'avais alors une certaine facilité à m'appliquer à Dieu : ensuite, je retrouvais mes impuissances, et sans être aperçue, grâce à l'obscurité, je regagnais tant bien que mal notre cellule, m'appuyant souvent au mur. » Sœur Elisabeth de la Trinité, ajoute sa Mère prieure, fut encore inspirée de me confier certaines particula- rités touchantes de sa vie ; je l'écoutais non sans émo- tion, et me rappelant le mot de l'Apôtre : « 0 profon- deur des conseils divins!-» j'admirais les voies de Dieu sur cette enfant si jeune et déjà consommée dans la 180 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ vertu. Ainsi qu'elle le disait après Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus, bien des pages de son histoire ne se liront qu'au ciel ; il en est même qui ne sauraient être comprises ici-bas, tandis qu'éternellement nous chante- rons les miséricordes du Seigneur (l) sur ses élus, voyant dans la lumière de Dieu que ses volontés à notre égard étaient toujours volontés d'amour. Seule avec le Seul, notre petite sœur s'était acheminée vers son Calvaire, où il lui tardait de consommer l'im- molation suprême. N'était-elle pas depuis longtemps conviée à l'union plus intime que la souffrance pré- pare ! Elle savait « qu'il y a des échanges d'amour qui ne se font que sur la croix » : tout la pressait donc de s'y fixer. En janvier 1906, elle écrit à son saint ami : « Combien on sent le besoin de se sanctifier, de s'oublier pour être tout aux intérêts de l'Eglise. Pauvre France ! j'aime la couvrir du sang du Juste, de Celui qui est toujours vivant afin d'intercéder pour nous (2) et de demander miséri- corde. Quelle est sublime la mission de la Carmélite ! Elle doit être médiatrice avec Jésus-Christ, lui être comme une humanité de surcroît en laquelle II puisse perpétuer sa vie de réparation, de sacrifice, de louange et d'adoration. Oh! demandez que je sois à la hauteur de ma vocation et que je n'abuse pas des grâces qu'il me prodigue. Comme parfois cela me fait peur ! Alors je me jette en Celui que saint Jean appelle le Fidèle, le Véritable (3), et je Le supplie d'être Lui-même ma fidélité. » (1) Ps. Lxxxviii, 1.— (2) Hébr., vu, 25. — (3) Apoc, xix, 11. DIEU RAPPELLE A LUI SA LOUANGE DE GLOIRE 181 Voilà les pensées qui fortifiaient son âme pendant que ses forces physiques s'affaiblissaient sensiblement. Après avoir parlé de sa famille, Sœur Elisabeth de la Trinité termine ainsi sa lettre : « Regagnant notre cel- lule la nuit de Noël après la Messe, quelle joie paisible inondait mon âme, lorsque, pensant aux souvenirs si doux du passé, je me disais comme l'Apôtre : « Pour » son amour fai tout perdu (1). » Demandez-lui que je me perde moi-même pour m'ensevelir en Dieu. Le dimanche de l'Epiphanie sera le troisième anniver- saire de mes noces avec l'Agneau, voulez-vous au saint Sacrifice, en consacrant l'hostie où Jésus s'in- carne, consacrer aussi votre petit enfant à l'Amour tout-puissant, pour qu'il la transforme en Louange de gloire... » Au début du Carême, Sœur Elisabeth de la Trinité écoute les projets de ses jeunes compagnes pour la sainte Quarantaine, sans être attirée à contempler la Passion du Sauveur. Mais peut-elle conserver sa forme habituelle d'oraison? En sa cellule, après la récréation, elle interroge saint Paul, et voici qu'ouvrant au hasard ses chères épîtres, le premier texte rencontré est préci- sément le cri passionné du grand Apôtre : « Ce que je veux, c'est le connaître Lui, la communion à ses souffrances et la conformité à sa mort (2). » Elle est saisie par cette finale; celui que naïvement elle nomme : « le père de son âme », ne lui annonce- rait-il pas sa prochaine délivrance? Elle le croit, et acquiert bientôt la certitude d'être appelée à honorer (1) Philip., m, 8. — (2) Philip., m, 10. 182 SŒUU ÉLISAHETH DK LA TKIMTÉ par état, plus encore que i)ar de pieuses considérations, les soutTrances et la mort de son divin Maître. Vers le milieu du Carême, les symptômes d'une grave maladie d'estomac se manifestèrent, et dans les pre- miers jours qui suivirent la fête de son saint protecteur, Sœur Elisabeth de la Trinité fut définitivement installée à rinPirmerie. « Je savais bien que saint Joseph vien- drait me chercher cette année, dit-elle toute joyeuse, et le voici déjà. » Nous-mêmes pressentions que, sans une intervention surnaturelle, nous allions perdre cette jeune religieuse sur laquelle reposaient tant d'espérances. Aussi entre- prîmes-nous une vraie croisade de prières. Le procès de béatification de la vénérable Marguerite du Saint- Sacrement (1) s'instruisait à Rome : on désirait un miracle éclatant pour son heureuse issue, et nous espé- rions fixer le choix de la Servante de Dieu, nous sou- venant des faveurs divines obtenues par elle à l'ancien Carmel de Dijon, au temps de ses communications avec le saint Enfant Jésus. Une relique appliquée à la chère malade ne devait plus la quitter, tandis que nous multipliions les neuvaines. Mais Dieu avait d'autres vues, et VEpoiise du saint Enfant Jésus se pencha sur sa petite sœur pour l'en- traîner dans les voies de la souffrance, qui devait imprimer en Elisabeth, comme en Marguerite, la res- semblance du divin Crucifié. (1) Religieuse carmélite de Bcauiic, l()li)-l()48. KUe lut particuliè- rement appliquée à iiouorer les mystères de la sainte Knfance et de la douloureuse Passion du Fils de Dieu qui la nommait sa « petite épouse ». DIEU RAPPELLE A LUI SA LOUANGE DE GLOIRE 183 Nous le comprîmes en constatant les progrès du mal ; quant à la chère enfant, consciente d'être l'objet d'un inexprimable amour, elle était toute à l'action de grâces. « Cette maladie me semble un peu mystérieuse, disait- elle ; je l'appelle la maladie de l'amour, car c'est lui qui me travaille et me consume. Je m'y livre, je m'y aban- donne, jo3'euse à l'avance de tout ce qu'il fera. » Le dimanche des Rameaux lui réservait un puissant réconfort et une douce consolation : dans la soirée, une syncope aggrava subitement son état de faiblesse, nous songeâmes à lui faire recevoir le sacrement de l'Extrème- Onction. La crise était passée lorsque le prêtre pénétra dans l'infirmerie. « Vous acceptez bien vos souffrances, lui demanda-t-il? — Oh ! oui, je suis heureuse de souf- frir. » Avec quelle piété touchante elle reçut ce sacre- ment, comme une nouvelle consécration pour la dou- leur, dont la « dispensation divine » allait lui être si largement départie. Qu'elle était belle à cette heure, le regard enflammé, les mains jointes, serrant le Christ de sa profession, et répétant sans se lasser, en de pieux transports : O Amour! Amour! Amour! (1). Elle eut le bonheur de recevoir le saint Viatique, fait rendu plus touchant par la coïncidence suivante : il est rapporté dans la vie de sainte Térése « qu'elle se dispo- sait d'une manière particulière à sa communion du dimanche des Rameaux. Et cela par une charmante (1) « Que la mort est douce au Carmel, disait, en quittant la clôture, le ministre des miséricordes divines! Si j'étais plus jeune, je me ferais religieux » Une lettre dans laquelle il confia plus tard à M"" Catez ses impressions complète notre récit. (Voir à l'Appen- dice.) 184 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ délicatesse à l'égard de son bon Maître. Elle souffrait de voir les Juifs de Jérusalem jeter sur ses pas les branches de palmier, sans qu'une seule demeure s'ou- vrît pour lui offrir un repas et l'hospitalité de la nuit. Elle le suivait du regard sur la route de Béthanie et, inquiète de la fatigue du chemin, elle le conjurait de s'arrêter dans son cœur et d'y prendre son repos (1). » Sœur Elisabeth de la Trinité partageait cette dévo- tion : aussi, bien sensible lui avait été, au matin de ce jour, la privation de la sainte communion ; mais comme elle fut dédommagée ! C'était à l'heure tardive où Notre- Seigneur était venu demander à ses amis de Béthanie compensation à l'oubli de son peuple, qu'il venait reposer son cœur et son amour souffrant, en sa petite maison. Le lendemain, l'heureuse enfant ne pouvait assez dire son bonheur. « Depuis la fin de mars, je suis à l'infirmerie, n'ayant plus d'autre office que d'aimer, écrira -t-clle. Au soir des Rameaux, j'ai eu une très forte crise et j'ai cru que l'heure était enfin arrivée où j'allais m'envoler dans les régions infinies, pour contempler sans voile la Trinité sainte. Dans le calme et le silence de cette nuit, j'ai reçu l'Extréme-Onction et la visite de mon divin Maître ; il me semblait qu'il attendait cet instant pour rompre mes liens. Quels jours ineffables j'ai passés dans l'attente de la grande vision ! Notre révérende Mère était sans cesse à mon chevet, me préparant à la rencontre de l'Epoux, et dans mon désir d'aller à Lui, je trouvais qu'il tardait bien à venir. Qu'elle est suave et douce la mort, pour (1) Histoire de sainte Ti'rèse d'après les BoUandistes, chap. xx. DIEU RAPPELLE A LUI SA LOUANGE DE GLOIRE 185 les âmes qui n'ont aimé que Lui et qui, selon le langage de l'Apôtre, « nont pas cherché les choses visibles parce » quelles sont passagères, mais les invisibles parce » qu'elles sont éternelles ! (1). » Ces jours ineffables furent pour Sœur Elisabeth de la Trinité une vraie montée du Calvaire; de vives dou- leurs, jointes à son état général déjà fort pénible, lui procurèrent une participation plus intime au grand mystère que nous célébrions. Absorbée par la contem- plation du (( Christ douloureux », elle se tenait unie à Lui comme une douce victime, heureuse d'avoir été choisie pour l'immolation. Sa patience ne se démentit pas un instant, son abandon fut parfait. Quand on lui apprit qu'une opération avait été décidée : « C'est celai dit-elle, avec un fin sourire : une opération... les médecins ne parlent plus d'autre chose ; mais ils peuvent faire de moi ce qu'ils voudront, je m'aban- donne entre leurs mains comme entre les mains de Dieu. » Elle accueillit avec la même simplicité, quel- ques jours après, la décision contraire. Toute passée en Dieu, pour ainsi dire, elle se maintenait dans une paix vraiment céleste. Au cours de la maladie, deux consultations furent demandées par sa famille. « Pendant la délibération des médecins, disait-elle ensuite, j'étais toute unie au divin Maître devant les tribunaux, alors que les juges délibé- raient de sa vie ou de sa mort. » Cependant si violentes étaient ses douleurs et si pro- fond son épuisement que le Vendredi Saint nous (1) II Epit. Corinth., iv, 18. 186 SŒUU ÉLISABKTII I)K LA TlUNITÉ crûmes qu'elle allait expirer; grâce à Dieu, nos craintes ne se réalisèrent pas. La nuit suivante, elle ressentit comme un travail qui s'opérait en elle; à l'aurore, une amélioration sensible se produisit. Les infirmières retrouvèrent agenouillée sur son lit, celle qui, depuis huit jours, était incapable d'aucun mouvement. Sœur Elisabeth de la Trinité prit un peu de nourriture, alors que toute alimentation lui était devenue impossible, et, se disant guérie, exprima le désir de descendre au chœur pour le grand office du Samedi Saint. Elle en eût été incapable, mais nous espérions la revoir bientôt au milieu de nous; aussi quelle joyeuse action de grâces exprimèrent nos Alléluia ! Jamais nos fêtes pascales ne furent marquées d'une plus vive allégresse. Cette joie, nulle ne la ressentit mieux que la pauvre mère, agenouillée dans notre chapelle et remerciant Dieu de lui avoir conservé sa fille, qu'elle croyait ne plus revoir ici-bas. Son dernier parloir avant le Carême ne lui avait pas fait pressentir la grande épreuve si prête à fondre sur elle. Sa chère enfant avait tenu à lui laisser ignorer son réel état de santé, car, très souffrante elle-même, M'"^ Catez avait eu besoin d'être ménagée. La sainte Quarantaine s'était donc écoulée sans qu'on eût osé l'informer du progrès d'un mal qu'elle ignorait. Ins- truite le Lundi Saint du véritable état des choses, elle avait puisé dans sa foi le courage réclamé par la Croix ({ui lui était présentée : croix rendue plus douloureuse encore par l'impossibilité de revoir sa fille bien- aimée. Ses sonlimcnts pi-ofondéinent chrétiens lui dictèrent une lettre admirable, (pio Sœur Elisabeth DIEU RAPPELLE A LUI SA LOUANGE DE GLOIRE 187 relut souvent et à laquelle elle répondit par les lignes suivantes : « Ma chère maman, jamais je n'ai été si près de toi ; ta lettre a été un repos pour mon cœur, une joie pour mon àme; je l'ai baisée comme une relique, remerciant le bon Dieu de m'avoir donné une si incomparable mère. Si j'étais partie pour le ciel, comme j'aurais vécu avec toi ! Jamais je ne t'aurais quittée, et je t'aurais fait sentir la présence de ton Elisabeth. » Sûre d'être comprise je t'avouerai tout bas ma grosse déception de n'être pas montée vers Celui que j'aime tant : pense ce qu'aurait été pour ta fille ce jour de Pâques au ciel!... Mais c'était encore personnel cela, et maintenant je suis toute à l'obéissance qui me fait demander ma guérison ; je le fais en union de prières avec toi, Marguerite et mes chers petits anges, que j'aurais aimé protéger si je m'étais envolée. » Si tu savais comme elle est bonne notre Mère : une vraie maman pour ta fille, et je t'assure que le soir de ma crise, malgré ma joie d'aller à Dieu, j'avais besoin d'entendre sa voix et de sentir ma main dans la sienne, car tout de même ce moment est bien solennel : on se sent si petit, et les mains si vides ! » M. le chanoine A... luttait avec nous contre le ciel pour prolonger les jours de la sainte enfant qui, répon- dant à sa lettre paternelle, lui ouvre tout son cœur : « A vous qui avez toujours été mon confident, je sais que je puis tout dire ; la perspective d'aller voir bientôt en son ineffable beauté. Celui que j'aime, et de m'abîmer en la Trinité sainte, me met une jouissance immense dans l'àme. Oh ! qu'il m'en coûterait de revenir sur la 188 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ terre, elle me paraît si vilaine en sortant de mon beau rêve; il n'y a qu'en Dieu que tout soit pur et saint; heureusement, dès l'exil, nous pouvons déjà demeurer en Lui ! Pourtant le bonheur de mon Maître suffit pour faire le mien, et je me livre à Lui pour qu'il fasse en moi tout ce qu'il désire. » Puisque vous êtes son prêtre, consacrez-moi à Lui comme une petite hostie de louange qui veut le glori- fier au ciel, ou sur la terre dans la souffrance tant qu'il voudra... Si je m'en vais, vous m'aiderez à sortir du purgatoire. Oh ! combien je sens qu'en moi tout est souillé, tout est misère ; j'ai bien besoin de ma bonne Mère pour en sortir. Chaque matin, elle vient faire son action de grâces près de mon petit lit ; je communie ainsi dans son àme, et le même amour s'écoule dans l'àme de la mère et dans celle de son enfant (1). » Je lui dis, car elle prie tant pour ma guérison, de me laisser partir, et je serai son ange au ciel; pour vous aussi, combien je prierai; il me sera si doux de faire quelque chose pour mon cher Monsieur le chanoine ! » A Dieu ; qu'il fait bon vivre dans l'attente de l'Epoux ! Prier pour que je lui donne tout dans la souffrance où Il me met, et que déjà je ne vive plus que d'amour. » (1) Four dédommager Sœur Elisabeth de la Trinité d'une priva- tion fréquente de la sainte Communion, au début de sa maladie, la Mère Prieure venait faire son action do grâce auprès d'elle. C'était une grande consolation pour la chère enfant, qui se pré- parait à ces visites matinales comme à la réception même du Dieu caché ([u'elle adorait en l'àme de sa Mère. Elle appelait ces heures-là, le soleil de sa journée. DIEU RAPPELLE A LUI SA LOUANGE DE GLOIRE 189 L'amélioration de Sœur Elisabeth de la Trinité se soutenait ; mais trop faible encore et ne pouvant se rendre au parloir, elle a recours à sa plume pour dédommager sa famille : « Chère maman, ta petite malade veut l'envoyer un mot du cœur, de ce cœur plein de tendresse pour toi. » Je sais que tu es souffrante, et ma bonne Mère d'ici, sans cesse à mon chevet, me tient au courant de ta chère santé. Tu ne peux t'imaginer les soins qu'elle me prodigue avec la tendresse, la délicatesse que renferme le cœur des mères ! Comme je suis heureuse dans la solitude de ma petite infirmerie ! Mon Maitre est là avec moi, et nous vivons nuit et jour en un doux cœur à cœur. J'apprécie davantage mon bonheur d'être Carmélite, et je prie Dieu pour la chère maman qui m'a donnée à Lui. Depuis cette maladie, je me suis encore rapprochée du ciel ; un jour, je te dirai tout cela. » O maman, préparons notre éternité ; vivons avec Lui, car seul. Il peut nous suivre et nous aider dans ce grand passage ; Il est un Dieu d'amour; nous ne savons pas comprendre à quel point II nous aime, surtout quand Il nous éprouve. » Redoutant pour sa mère une émotion trop vive, elle n'exprime pas toute sa pensée ; mais se livre pleine- ment à sa sœur : « Je ne sais si l'heure est venue de passer de ce monde à mon Père car je vais bien mieux, et la petite Sainte de Beaune semble vouloir me guérir. Mais parfois II me semble que l'Aigle divin veut fondre sur 190 SŒUR KLISAllKTH DE LA TRINITÉ sa petite proie pour l'emporter là où il est, dans la lumière éblouissante. » Tu as toujours su t'oublier pour le bonheur de ton Elisabeth, et je suis sûre que si je m'envole, tu sauras te réjouir de ma première rencontre avec la Beauté divine. Quand le voile tombera, avec quel bonheur je m'écou- lerai jusque dans le secret de sa Face. C'est là que je passerai mon éternité, au sein de cette Trinité qui est déjà ma demeure ici-bas. » Pense donc! Marguerite, contempler dans sa lumière les splendeurs de l'Etre divin, scruter toutes les profondeurs de son mystère, être fondue avec Celui qu'on aime, chanter sans repos sa gloire et son amour, être semblable à Lui, parce quon Le voit tel qu'il est {1)\... » Petite sœur, je serai heureuse d'aller là-haut pour être ton ange, et je serai jalouse de la beauté de ton àme, déjà tant aimée sur la terre ! » Je te laisse ma dévotion pour « les Trois » ; vis au dedans avec eux dans le ciel de ton àme ; le Père te couvrira de son ombre, mettant comme une nuée entre toi et les choses de la terre, pour te garder toute sienne ; Il te communiquera sa puissance pour que tu l'aimes d'un amour fort comme la mort. Le Verbe imprimera en ton àme, ainsi qu'en un cristal, l'image de sa propre beauté, afin que tu sois pure de sa pureté, lumineuse de sa lumière. L'Esprit Saint te transformera en une lyre mystique ; le silence, sous sa touche divine, produira un magnifique cantique à l'Amour; alors tu seras la louange (1) I Joan., m, 2. DIEU RAPPELLE A LUI SA LOUANGE DE GLOIRE 191 de sa gloire, ce que j'avais rêvé d'être sur la terre ; c'est toi qui me remplaceras ; je serai Laudem glorise devant le trône de l'Agneau, et toi Laudem glorise au centre de ton àme : ce sera éternellement l'un entre nous. » Crois toujours à l'amour; si tu as à soufTrir, c'est que tu es plus aimée encore; aime et chante toujours merci. » Apprends aux petits à vivre sous le regard de Dieu : j'aimerais qu'Elisabeth eût ma dévotion à la Sainte Trinité. Je serai à leur première communion ; je t'aiderai à les préparer. » Tu prieras pour moi. J'ai offensé mon Maître plus que tu ne crois; mais surtout dis-Lui merci, un Gloria tous les jours. Pardon, je t'ai donné souvent le mauvais exemple. » A Dieu ! Comme je t'aime ! Peut-être irai-je bientôt me perdre dans le foyer d'amour; qu'importe : au ciel ou sur la terre, vivons dans l'amour et pour glorifier V Amour... » Sœur Elisabeth de la Trinité disait vrai, l'Aigle divin allait fondre sur sa « proie », pour l'emporter au sein de l'éternelle lumière. Marguerite du Saint-Sacrement n'acheva pas l'œuvre commencée; elle avait témoigné s'intéresser à notre cause en écartant toute idée d'opération, mais n'était- il pas meil+eur à notre petite Sœur de hâter sa course vers le but de ses ardents désirs!... Dans le courant de mai, une nouvelle crise mit ses jours en danger : « De nouveau, le ciel a semblé s'ou- vrir, écrira-t-elle, et vous avez si bien prié que je suis 192 SŒUR ELISABETH DF LA TRINITÉ toujours captive, mais une heureuse captive qui, dans le fond de son âme, exalte nuit et jour l'amour de son Seigneur. Il est si bon ! On dirait qu'il n'a qu'à penser à moi, à n'aimer que moi tant II se donne à mon âme ; c'est pour qu'à mon tour, je me livre à Lui pour son Eglise, pour ses intérêts, pour que j'aie soin de son honneur comme ma sainte Mère Térèse. Oh! demandez que je sois aussi : « Charitatis Victima (1). » (1) Hymne de l'office de sainte Térèse. CHAPITRE XIII L^ transformation en Jésus crucifié. L'autel du sacrifice. — Coup d'a'il général. — Emouvante entre- vue. — Correspondance. — Les gloires du Carmel. — Un palais roj'al. Victime du divin amour, Sœur Elisabeth de la Tri- nité le fut en réalité. Tandis que nous poursuivions nos neuvaines, elle restait liée sur l'autel du sacrifice, avec l'intime conviction que nos prières ne l'en feraient pas descendre. « Je me sens pressée, disait-elle avec saint Paul, et je me réjouis cVaccomplir en ma chair ce qui manque à la Passion du Christ (1). — Oui, je suis heureuse d'être associée à l'œuvre rédemptrice ; je souffre comme une extension de la Passion. — Ce que je veux, cest le connaître. Lui, la communion à ses souffrances, et me rendre conforme à sa mort (2) », redira-t-elle sans cesse, s'appropriant les paroles du grand Apôtre qui l'avaient si vivement frappée au début de la sainte Quarantaine. (1) Coloss., I, 24. - (2) Philip., m, 10. 13 r.)4 SŒUR KLISAHETH DE LA TRINITÉ Telle que nous l'avons vue, saisie par sa première confession, entrer en lutte contre elle-même; prévenue par l'Epoux des vierges Lui donner son cœur au jour de la première rencontre ; puis, après le vœu de ses quatorze ans, se retirer au dedans d'elle-même pour prendre conscience du don de Dieu ; enfin s'établir sous la lumière de foi, en union aux trois divines Personnes, telle nous la verrons en cette dernière phase, fidèle à son guide lumineux, regarder la croix et achever de se transformer en Jésus crucifié. « Jamais mon bonheur n'a été si grand que depuis que Dieu a daigné m'associer aux douleurs du divin Maître, écrit-elle un jour. » Et à sa mère : « Tu crains que je sois une victime désignée pour souffrir ; je t'en supplie, ne t'en attriste pas, ce serait si beau ! je ne m'en sens pas digne. Pense donc ! avoir part aux souf- frances de mon Epoux crucifié, aller avec Lui à ma passion, pour être rédemptrice avec Lui !... » Dans la crainte que Sœur Elisabeth de la Trinité ne recouvrât jamais l'usage de ses jambes, la Mère Prieure la fit porter au parloir pour la consolation des siens. Quelle émouvante entrevue ! M"'^ Catez ne pouvait détacher son regard du visage amaigri, mais illuminé de sa chère enfant, qui ne dissimulait pas ses regrets d'être revenue à la vie. Elle voulut entretenir sépa- rément sa mère et sa sœur, les pressa de se sanctifier et les prépara au sacrifice suprême, en les emportant là où elle-même vivait, sous ces clartés divines qui avaient fait le bonheur, en même temps que la sainteté de sa vie. Les lettres durent suppléer bien souvent aux entre- LA TRANSFORMATION EN JÉSUS CRUCIFIÉ 195 tiens à la grille, ce qui nous permet de lire en l'âme de Sœur Elisabeth de la Trinité et de la suivre dans les étapes de sa maladie « Epancher son âme en celle de sa mère, lui écrit- elle au souvenir de ce récent parloir, la sentir vibrer à l'unisson, c'était si consolant! Il me semble que mon amour pour toi est non seulement celui d'un enfant pour la meilleure des mères, mais encore celui d'une mère pour son enfant ; je suis la petite maman de ton âme, tu le veux bien, n'est-ce pas ? — Nous entrons en retraite pour la Pentecôte, moi plus encore en mon cher petit cénacle, séparée de tout. Je demande à l'Esprit Saint de te révéler cette présence de Dieu en toi dont je t'ai parlé ; tu peux croire ma doctrine, car elle n'est pas de moi. Si tu lis l'évangile selon saint Jean, tu verras sans cesse le divin Maître insister sur ce com- mandement : « Demeurez en moi, et moi en vous (1), » Et encore : « Si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera, et » nous viendrons à Lui, et nous ferons en Lui notre y> demeure (2). » » Saint Jean, dans ses épîtres, souhaite que nous ayons société (3) avec la Sainte Trinité : ce mot est si doux, et c'est si simple ! Il suffit, saint Paul le dit, il suffit de croire. Dieu est esprit (4), et c'est par la foi que nous nous approchons de Lui. Pense que ton âme est le temple de Dieu, c'est encore saint Paul qui l'enseigne ; à tout instant du jour et de la nuit, les trois Personnes divines y demeurent ; tu ne possèdes pas la (1) Joan., XV, 4.— (2) Ici., xiv, 23. — (3) I Joan., i, 3. - (4) Joan., IV, 24. 196 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ sainte Humanité comme quand tu communies, mais la divinité, cette essence que les Bienheureux adorent dans le ciel, elle est en ton âme ; quand on sait cela, une intimité tout adorable s'établit : on n'est plus jamais seul. » A (juelque temps de là. M'"® Catez devant assister à Paris aux l'êtes qui suivirent la béatification des seize Bienheureuses Martyres de Compiègne, reçut les lignes suivantes : (( L'àme de ta Carmélite assistera avec la tienne au tridiuim de nos Bienheureuses Martyres. Oh ! quel bonheur si ta fille pouvait aussi donner à son Dieu le témoignage du sang! Cela vaudrait la peine de rester sur la terre et d'avoir vu s'évanouir son rêve du ciel. Mais ce que je lui demande surtout, c'est ce martyre de l'amour qui a cgnsumé ma sainte Mère Térèse, et, puisque la Vérité a dit que la plus grande preuve d'amour est de donner sa vie pour Celui qu'on aime, je Lui donne la mienne, elle est à Lui depuis longtemps pour qu'il en lasse ce qui Lui plaira. Si je ne suis pas martyre du sang, je veux l'être de l'amour. Chère maman, aimons Dieu, vivons avec Lui comme avec un être aimé dont on ne peut se séparer. Tu me diras si tu fais des progrès en la voie du recueillement, car je suis pleine de sollicitude pour ton àme. Rappelle-toi ces mots de l'Evangile : « Le royaume de Dieu et an-dedans de vous (1). » Entre en ce petit royaume pour adorer le Souverain qui y réside ainsi qu'en son propre palais. (1) Luc, XVII, 21. LA TRANSFORMATION EN JÉSUS CRUCIFIÉ 197 Il t'aime tant! Il t'en a donné bien des gages, te deman- dant souvent au chemin de ta vie de l'aider à porter sa Croix ! » P.-S. — Vendredi, en vagon, n'oublie pas de faire oraison, c'est très propice, je m'en souviens. » « Il faut rayer le mot « découragement » de ton dictionnaire d'amour, écrit-elle à sa sœur; plus tu sens ta faiblesse et éprouves de difficulté à te recueillir, plus Notre-Seigneur semble caché, plus tu dois te réjouir : tu Lui donnes alors ; et quand on aime, n'est-il pas meilleur de donner que de recevoir ! » Dieu disait à saint Paul : « Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse (1). » Le grand Saint l'avait bien compris] a Je me glorifie, dit-il, dans » mes infirmités, car lorsque je suis faible, la force de » Jésus-Christ habite en moi (2). » » Qu'importe ce que nous sentons. Lui, Il est l'Im- muable, Celui qui ne change jamais. Il t'aime aujour- d'hui comme II t'aimait hier, comme II t'aimera demain, même si tu lui as fait de la peine. Rappelle-toi qu'zi/j abîme appelle un autre abîme (3), l'abîme de ta misère attire l'abîme de sa miséricorde, Dieu me fait com- prendre cela, et c'est pour nous deux ; Il m'attire aussi beaucoup vers la souffrance, le don de soi : n'est-ce pas le terme de l'amour ! Ne perdons aucun sacrifice ; il y en a tant à recueillir dans une journée ! Avec les petites, tu as bien des occasions. Oh ! donne tout au bon Maître. Ne trouves-tu pas que la souffrance unit à Lui d'un (1) II Cor., XII, 9.— (2) IbUl. - (3) Ps. xu, 9. i 198 SŒia lÎLISAHKTH Dli LA TKIMTÉ lien plus forl? Ainsi, s'il le prenait la sœur, ce serait pour être encore plus tien. Aide-moi à préparer mon éternité; je crois que ma vie ne sera plus bien longue ; tu m'aimes assez pour le réjouir que j'aille me reposer là où je vis depuis longtemps. J'aime te parler de ces choses, petit écho de mon âme; je suis égoïste, car je vais peut-être te faire de la peine ; mais je veux l'em- porter plus haut que ce qui meurt..., au sein de l'Amour infini. C'est la patrie des deux petites sœurs, c'est là qu'elles se retrouveront toujours. » O Marguerite, ce soir, en l'écrivant, mon cœur déborde ; je sens « le trop grand amour (1) » de mon Maître, cl je voudrais faire passer mon àme en la tienne, pour que tu y croies toujours, surtout aux heures plus douloureuses. La nuit quand tu t'éveilles, unis-toi à ton Elisabeth ; je voudrais pouvoir l'inviter à venir près de moi, elle est si mystérieuse et silen- cieuse celte petite cellule avec ses murs blancs, sur lesquels ressort une croix de bois noir sans Christ; c'est la mienne, celle où je dois m'immoler à tout instant pour être conforme à mon Epoux crucifié. Je suis la petite recluse du bon Dieu : j'aime la solitude avec Le Seul, et je mène une vie d'ermite vraiment délicieuse. Elle est loin d'être exemple d'impuissances; moi aussi, j'ai besoin de chercher mon Maître qui se cache bien; mais je réveille ma foi, et je suis contente de ne pas jouir de sa présence, pour le faire jouir, Lui, de mon amour. » Dejiuis longtemps, je pense à la Sainte-Marguerite, (1) Ephés., II, 4. LA TRANSFORMATION EN JÉSUS CRUCIFIÉ 199 et j'ai la prétention de te fêter mieux que personne car je ne t'ofïre rien de ce qui passe, mais du divin, de l'éternel. Je prépare ta iete par une grande neu- vaine : je dis chaque matin sexte pour toi, c'est l'heure du Verbe, afin qu'il s'imprime si bien en ton ànie que tu sois une autre Lui-même. Et pendant l'heure de iwne que je consacre au Père, je lui demande qu'il te possède comme une fille bien-aimée ; que la force de sa droite (\) te conduise en toutes tes voies et t'oriente toujours plus vers cet abîme où II demeure et où II veut t'ensevelir avec Lui. » A Dieu ! Que les Trois bénissent mes trois petites hosties, et fassent en chacune leur ciel et le lieu de leur repos! O abîme! O Amour! Voilà notre refrain sur nos lyres de louanges de gloire, et c'est ainsi que j'achève cette épître. » Juin 1903. « C'est moi qui viens dire à ma bonne maman que sa petite malade continue à se maintenir dans le mieux; elle a plus de force pour s'asseoir sur son lit et sa tète est assez solide ; ce sont ses jambes qui ne veulent pas la soutenir; sans cela, il me semble qu'elle pour- rait se rendre quelques services; ses infirmières s'em- pressent d'y suppléer avec autant de charité que d'afîection. » Aujourd'hui notre Mère m'a accordé la grande joie d'assister, d'une tribune, à la sainte Messe et de rester ensuite une bonne heure près du Saint-Sacrement. (1; Ps. Lxxxviii, U. 200 SŒUR KMSAliKTH DE LA THIMTÉ J'étais presque à sa haiileur, comme une reine à la droite de son Epoux. » J'ai passé une grande partie de la journée d'hier sur la terrasse; grâce à la proximité du chœur, j'ai entendu chanter le salut ; c'est notre Mère elle-même qui m'avait installée. Je lui dis parfois à cette honne Mère qu'en me soignant ainsi, elle m'empêche de partir pour le ciel. » Ta lettre m'a fort intéressée. Que la cérémonie de nos Bienheureuses devait être belle, et combien tu devais être reconnaissante au bon Dieu qui m'a conduite sur celte montagne du Carmel, en cet Ordre illustré par tant de saints et de martyrs. » Son Ordre, comme elle l'aime! Saintement fière de lui appartenir, avec quelle joie elle y voit aboutir une voca- tion confiée à sa prière, ainsi que le témoigne cette lettre à un novice carme. « Je rends grâce à Celui qui a bien voulu nous unir si étroitement en Lui, et le remercie de vous avoir saisi p(ir sa droite (1) pour vous conduire sur la Montagne du Carmel, tout irradiée des rayons mêmes du soleil de Justice. C'est là, à la suite de notre sainte Mère Térèse et de tous nos Saints, que nos deux âmes, que le divin Maître a consommées en Lui, doivent se transformer en cette loiiaïKje de gloire dont parle saint Paul. » Je brille de zèle pour le Seigneur Dieu des armées (2), ce fut la devise de tous nos Saints ; elle fit de notre sainte Mère une lùciinw de dut ri lé, comme nous le (1) l's. cxviii, 1(), d'HynijiiK'S — (2) 111 Hcg., xix, 10. LA TRANSFORMATION EN JÉSUS CRUCIFIÉ 201 chantons dans son bel office. Il me semble que si le bon Dieu me laisse encore sur la terre, c'est pour que je sois aussi cette victime d'amour, toute jalouse de son honneur. Voulez-vous obtenir à votre sœur de réaliser pleinement ce programme divin; comme vous, elle a un grand désir de devenir une sainte pour donner toute gloire à son Maître adoré ! » Saint Paul, dont je lis beaucoup les magnifiques épîtres, dit que Dieu nous a élus en Lai avant la créa- tion, pour que nous soyons immaculés et saints en sa présence, dans la charité (1). Vivre en la présence de Dieu, n'est-ce pas un héritage que saint Elie a légué aux enfants du Carmel, lui qui dans l'ardeur de sa foi s'écriait : « // est vivant le Seigneur Dieu, en présence duquel je suis (2). » Si vous le voulez, nos âmes, fran- chissant l'espace, se retrouveront pour chanter à l'unisson cette grande devise de notre Père ; nous lui demanderons, le jour de sa fête, ce don d'oraison qui est l'essence de la vie du Carmel ; ce cœur à cœur qui ne cesse jamais, parce que quand on aime, on n'est plus à soi, mais tout à l'objet aimé, et l'on vit plus en lui qu'en soi-même. » Saint Jean de la Croix, notre bienheureux Père, a écrit là-dessus des pages divines, dans son Cantique et sa Vive Flamme d'amour: ce cher livre fait la joie de mon àme, qui y trouve une nourriture toute substan- tielle. » Je pense avec bonlieur (|ue les portes du noviciat se sont ouvertes pour vous, et je demande à la Reine (1) Ephés., I, 4.— (2) III Reg., xvii, 1. 202 SŒUR ÉLISAHETH DE LA TRINITÉ du Carmel de vous douncr le double esprit de notre cher et saint Ordre : l'esprit d'oraison et de pénitence ; car pour vivre continuellement en contact avec Dieu, il faut être entièrement sacrifié et immolé. Ayons l'ardeur de nos Saints pour la soulTrance, et surtout, sachons prouver à Dieu notre amour, par la fidélité à notre sainte Règle ; ayons pour elle une sainte passion ; si nous la gardons, elle nous gardera et fera de nous des saints, c'est-à-dire des âmes telles que les voulait notre séraphique Mère, pouvant servir à Dieu et à son Eglise (1). » La foi de Sœur Elisabeth de la Trinité se nourrissait toujours en saint Paul ; si bien que, même au cours des visites du médecin, fréquentes dans les derniers temps, elle trouvait moyen de faire entrer en scène le grand Apôtre, et de telle sorte que le docteur émerveillé demandait en arrivant à rinfirmerie : « Eh bien ! ma sœur, que dit saint Paul aujourd'hui? » — « Elle est extraordinaire, ajoutait-il en la quittant, quelle intelli- gence et quelle poésie ! » Le courage héroïque avec lequel une si jeune religieuse supportait des douleurs dont il pouvait mieux que personne apprécier l'acuité, provoquait surtout son admiration, et plus tard lui faisait dire : « Je n'ai jamais vu pareille force et sérénité dans la soulTrance ; elle endure un vrai martyre. » L'idéal entrevu et généreusement poursuivi la sou- tenait dans ce martyre. « Je n'envie plus seulement d'arriver au ciel pure comme un ange, confiait-elle à la Mère Sous-Prieure, mais transformée en Jésus crucifié. (1) Sainte Tcrèse. LA TRANSFORMATION EN JÉSUS CRUCIFIÉ 203 De plus en plus la souffrance m'attire ; ce désir domine presque Celui du ciel, qui pourtant est bien fort. » Elle écrit à une âme capable de la comprendre : « David a dit de Jésus-Christ : « Sa douleur est immense. » En cette immensité, j'ai fixé ma résidence; c'est le palais royal où je vis avec mon Epoux crucifié (1). Je vous y donne rendez-vous, car vous savez apprécier le bonheur de la souffrance et la regarder comme la révé- lation du trop grand amour. Oh ! que je l'aime ! Elle est devenue ma paix, mon repos ; priez pour que Dieu augmente ma capacité de souffrir. » Et à sa mère : « Le bon Dieu se plaît à immoler sa petite hostie; mais cette Messe qu'il dit avec moi et dont son amour est le Prêtre, peut durer longtemps encore ; la victime ne trouve pas le temps long dans (1) Un jour, sœur Elisabeth dépose dans la cellule de sa Prieure un petit cartonnage représentant une citadelle avec pont-levis. Près de la porte close, une Vierge de Lourdes découpée, c'est Janua cœli (nous verrons plus loin le pourquoi de cette dénomination). A l'un des angles de la tour crénelée flotte un petit étendard portant cette inscription : « Citadelle de la douleur et du saint recueillement, habitation de Laiidcm glorise, en attendant la maison du Père. » Sous le pont-levis, les strophes suivantes : Amor meus cnicifixus. Une sainte écrivait en parlant de son Maître Où donc habitait-il, sinon dans la douleur? C'est là que je veux vivre, ô ma Mère, ô mon prêtre. Pour exalter bien haut la croix de mon Sauveur. Mais j'ai besoin de toi, sous l'ombre de ton aile Je pourrai pénéti'cr en ce divin palais. En cette forteresse, en cette citadelle Où rame se repose en l'invincible paix. David a dit du Christ : « Sa douleur est immense ». En cette immensité je fixe mon séjour. Là je veux m'immoler en un sacré silence Pour être transformée en victime d'amour. 204 SŒUU ELISABETH DE LA TIIINITÉ la main de Celui qui la sacrifie ; elle peut dire que si elle passe par le sentier de la soulïrance, elle demeure bien plus encore sur la route du bonheur, du vrai, chère maman, de celui que nul ne saurait lui ravir. Ton cœur de mère devrait divinement tressaillir en pensant que le Maître a daigné choisir ta fille, le fruit de tes entrailles, pour l'associer à son grand œuvre de rédemption ; qu'il l'a marquée du sceau de sa croix et souffre en elle comme une extension de sa Passion. L'épouse est à l'époux; le mien m'a prise; Il veut que je lui sois une humanité de surcroit en laquelle II puisse encore souffrir pour la gloire de son Père ; pour aider aux besoins de son Eglise : cette pensée me fait tant de bien ! Notre Mère m'en entretient souvent ; je l'écoute en l'ermant les yeux, et j'oublie que c'est elle ; il me semble que c'est mon Maître qui est près de moi, qui m'encourage et vient m'apprendre à porter sa Croix. )) Cette bonne Mère, si entraînante dans les voies de l'immolation, ne pense qu'à me soulager, ce que je lui fais remarquer souvent ; mais je me laisse faire comme un petit enfant. Notre-Seigneur a dit à sainte Térèse qu'il préférait son obéissance aux pénitences d'une autre Sainte ; j'accepte donc les petites douceurs de Marguerite quand mon estomac veut bien y consentir, et c'est ce qui le fait le moins soufl'rir ces jours-ci. » A chaque nouvelle souffrance, je baise la croix de mon Maître et je lui dis : merci, je n'en suis pas digne ; car je pense (jue la souffrance fut la compagne de sa vie et moi, je ne mérite pas d'être traitée comme Lui par son Père. » Parlant de Jésus-Christ, une Sainte écrivait : ft Où LA TRANSFORMATION EN JÉSUS CRUCIFIÉ 205 donc habitait-Il, sinon dans la donlenr (1)? » Toute àme broyée par la souffrance, sous quelque forme qu'elle se présente, peut donc se dire : j'habite avec Jésus-Christ; nous vivons dans l'intimité, la même demeure nous abrite. » La Sainte dont je te parlais tout à l'heure, enseigne que le signe auquel nous reconnaissons que Dieu est en nous et que son amour nous possède, c'est de recevoir non seulement avec patience, mais avec reconnaissance ce qui nous blesse. Pour en venir là, il faut contempler longtemps le Crucifié par amour, et cette contempla- tion, si elle est vraie, aboutit infailliblement à l'amour de la souffrance. » Chère maman, reçois à la lumière qui jaillit de la Croix toute épreuve, toute contrariété ; ainsi on plaît à Dieu et l'on avance dans les voies de l'amour. Oh ! dis-Lui merci pour moi ; je suis si, si heureuse ! je voudrais pouvoir semer un peu de mon bonheur chez ceux que j'aime. » A Dieu ! je ne peux plus tenir mon crayon, mais mon cœur ne te quitte pas ; je te donne rendez-vous à l'ombre de la Croix, pour apprendre la science de la souffrance. » Ton heureuse fille, » Elisabeth de la Trinité. » (1) Cette parole de sainte Angèle de Foligno avait blessé son âme d'un nouveau trait d'amour. Je ne l'abordais guère sans la lui redire, sûre de la joie qu'elle en éprouverait. Alors, avec des accents émus, elle me parlait de la Passion du Sauveur et du bonbeur qu'elle goûtait à habiter avec Lui par la souffrance. (Note de S' M.) CHAPITRE XIV Tout près du Sanctuaire. h'Ange de Lisieiix. — Nuit de grâce. — Reine des Vierges et des MartjTS. — Janiia cœli. — La petite tribune. — Le 2 août 1906. — Dernière retraite. Nous avons entendu Sœur Elisabeth de la Trinité exprimer le regret d'être revenue à la vie. Ses ardentes aspirations secondaient peu nos efforts et le ciel sem- blait lui donner raison. La Mère Prieure avait essayé de faire naître dans le cœur de la chère enfant le désir de sa guérison, la lui faisant envisager comme un moyen de reconnaître par le dévouement aux emplois de la communauté tout ce qu'elle tenait de la Religion ; c'était faire vibrer la corde sensible en ce cœur délicat. Sœur Elisabeth entra bien dans ces vues, mais un jour qu'elle répétait à son divin Maître l'obédience reçue, elle crut entendre au fond de l'âme ces paroles qui la remplirent de paix et de joie : « Les offices de la terre ne sont plus pour toi. » Ses désirs de l'éternité ne devinrent que plus ardents, aussi demanda-t-elle à sa 208 SŒUK KLISAHHTH DH LA TRINITÉ Prieure de l'auloriser à s'y livrer pleinement, et de faire cesser des prières qui combattaient son espérance et retardaient son bonheur. Il n'en lut plus question en sa présence ; elle soupçonna ^lourtant nos secrètes supplications et chercha un appui auprès de VAnge de Lisieiix : Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus n'avait-elle pas éprouvé la divine nostalgie? Elle devait donc com- prendre sa souffrance et savoir y compatir. Toute confiante, notre petite Sœur sollicita, comme garantie contre ses craintes, la possibilité de marcher; elle fut exaucée à sa grande joie, certaine alors de ne pas guérir. (( Mon estomac est toujours récalcitrant, écrit-elle à sa mère, mais figure-toi que je commence à marcher : je n'en reviens pas, car je ne suis pas plus forte qu'au- paravant où je ne pouvais pas même m'asseoir. » L'autre jour me sentant très fatiguée quand notre Mère est venue me voir, je lui dis que je m'en allais. (( Au lieu de parler ainsi, me répondit-elle, vous feriez » bien mieux d'essayer de marcher. » J'aime tant à lui obéir ! Quand je fus seule, je fis des efforts sur le bord du lit et cela me faisait bien mal. J'ai prié Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus, non pas de me guérir, mais de me donner des jambes, et j'ai pu marcher; je suis comme une bonne vieille courbée sur mon bâton. Notre Mère me conduit à son bras sur la terrasse (1) ; je suis toute fière de mes allées et venues ; il me tarde de te donner une petite représentation; tu riras pour sur, (1) P;iss;i},'c' (lécouvcrt rcliaiil deux ailes tlii inonasliTO v\ servant Oh! que je l'aime ce mot du grand saint Paul ! il repose mon àme. Je pense qu'en son trop grand amour. Il m'a connue, appelée, justi- fiée (2), et en attendant qu'il me glorifie, je veux être la louange incessante de sa gloire. Mon Père, demandez- le-Lui pour votre petite enfant. Vous souvenez-vous? Il y a cinq ans aujourd'hui, je frappais à la porte du Carmel, et vous étiez là pour bénir mes premiers pas dans la solitude; maintenant, cesi aux portes éter- nelles (3) que je frappe, et je vous demande de vous pencher encore sur mon àme et de la bénir sur le seuil de la Maison du Père. Quand je serai dans le grand foyer d'amour, au sein des « Trois » vers lesquels vous m'avez orientée, je n'oublierai pas tout ce que vous avez été pour moi, et, à mon tour, je vondrais donner (1) llom., VIII, 29. - (2) //•i(/., 'M).— (:\) Ps. xxm, 7. TOUT PRÈS DU SANCTUAIRE 215 aussi à mon Père, de qui j'ai tant reçu. Oserai-je vous exprimer un désir? Je serais si heureuse de recevoir quelques lignes de vous, dans lesquelles vous me diriez comment je dois réaliser le plan divin : être conforme à l'image du Crucifié. » A Dieu ! mon révérend Père, je vous prie de me bénir au nom des « Trois », et de me consacrer à eux comme une petite hostie de louange. » 2 août. « Chère maman, te rappelles-tu, il y a cinq ans?... Je me souviens moi, et Lui aussi !... Il a recueilli le sang de ton cœur dans un calice qui pèsera bien lourd dans la balance de sa miséricorde ! )) Hier, je me reportais à notre dernière soirée, et, comme je ne pouvais dormir, je me suis installée près de la fenêtre et suis restée, presque jusqu'à minuit, en oraison avec mon Maître; j'ai passé une soirée divine. Le ciel était si bleu, si calme; on sentait un tel silence dans le monastère... et moi je repassais ces cinq années comblées de grâces. Chère maman, ne regrette pas le bonlieur que tu m'as donné; oui, grâce à ton fmt, j'ai pu entrer en la sainte demeure, et seule avec Dieu seul, éprouver un avant-goût de ce ciel qui attire tant mon àme. » Cette nuit, j'ai offert de nouveau le sacrifice que tu as fait il y a cinq ans, afin qu'il retombe en pluie de bénédictions sur celle que j'aime plus que tout. Vis avec Lui. Ah ! je voudrais pouvoir dire à toutes les âmes quelles sources de force, de paix et aussi de bonheur 216 SŒUK ÉLISABKTH DE LA TRINITÉ elles tiouvoiaicnt, si elles consentaient à vivre en cette intimité; seulement elles ne savent pas attendre ; si Dieu ne se donne d'une laçon sensible, elles quittent sa sainte présence, et quand II vient à elles avec tous ses dons. Il ne trouve personne ; l'âme est au dehors, dans les choses extérieures ; elle n'habite pas au fond d'elle- même. Recueille-toi de temps en temps, chère maman, et ainsi tu seras tout près de ton Elisabeth... » Notre petite malade sentait sa lin prochaine, aussi préparait-elle sa pauvre mère, sérieusement atteinte elle-même, à consommer le grand sacrifice. (( Chère maman, qu'il fait bon parlerde Lui et monter plus haut que ce qui passe et finit ! plus haut que la souffrance et la séparation... là où tout demeure ! Quelle consolation c'est à ton Elisabeth de pouvoir te parler de ses projets pour l'éternité. N'oublie pas que tu as promis, à l'élévation de la sainte Messe, de te tenir avec la Vierge au pied de la Croix pour offrir ensemble à Dieu votre enfant. » Combien la souffrance est nécessaire pour faire l'œuvre de Dieu en l'àme ! Le bon Dieu a un désir immense de nous enrichir de ses grâces ; mais c'est nous qui Lui faisons la mesure, dans la proportion où nous savons nous laisser immoler par Lui : immoler dans la joie, dans l'action de grâces comme Jésus, disant avec Lui : « Le calice que le Père m'a préparé, ne le boirai-je pas (1)? » Le divin Maître nommait l'heure de la Passion, celle pour laquelle II était uenu (2), et (1) Joann., xviii, 11.— (2) Joaii., xii, 27. TOUT PRÈS DU SANCTUAIRE 217 qu'il appelait de tous ses désirs. Quand une grande souffrance ou un tout petit sacrifice se présente à nous, pensons bien vite que c'est notre heure, l'heure où nous allons prouver notre amour à Celui qui nous a « trop aimés ». Recueille donc tout, chère maman, offre une belle gerbe en ne perdant pas le plus petit sacrifice ; au ciel, ils seront autant de beaux rubis dans la couronne que ton Dieu te prépare si belle. J'irai l'aider à faire ce diadème, et je viendrai avec Lui, au jour de la grande rencontre, pour le déposer sur le front de ma mère chérie. » A Dieu, aimons-le en vérité. Puisons courage en notre union avec Lui ; l'àme qui vit sous son regard se trouve revêtue de sa force, elle est vaillante dans la souffrance. » A cette époque, les plus beaux passages de l'Apoca- lypse captivaient Sœur Elisabeth de la Trinité, la plon- geant en des visions d'éternité qui l'attiraient vers les sommets sur lesquels l'Esprit et l'épouse s'appellent. Le besoin d'une plus complète solitude lui fit alors solliciter la grâce d'une retraite qu'elle entreprit au soir du 15 août pour préparer sa retraite éternelle. Voici en quels termes nous trouvons, à l'adresse de l'une de ses sœurs, l'annonce de l'heureuse nouvelle. Junua cœli, ora pro nobis! « Laudem glorix entre ce soir au noviciat du ciel, afin de se préparer à recevoir l'habit de gloire, et se sent pressée de venir se recommander à sa chère sœur A... La conformité, l'identité avec mon Maître adoré, le Crucifié par amour, voilà ce que je vais me 218 S(i:Ul\ ÉLISABKTH DE LA TRINITÉ faire enseigner. Alors je })ourrai remplir mon otlice de louange de gloire et chanter déjà le Sanctiis éternel, en attendant d'aller l'entonner dans les célestes parvis. Ma sœur, fixons notre Maître et que ce regard de loi, simple et amoureux, nous sépare de tout et mette comme une nuée entre nous et les choses d'ici-bas ; notre essence est trop riche pour qu'aucune créature puisse la saisir. Réservons-Lui tout à Lui seul, et avec David chantons au Seigneur sur notre ^ lyre : « Je vous conserverai ma force (1). » Pendant ces jours bénis. Sœur Elisabeth fut emportée vers le Calvaire ; son Maître bien-aimé lui parlait de sa Passion, non en formules, mais lui ouvrant de nou- veaux horizons sur l'amour caché dans la Croix, Il lui faisait comprendre que ses rêves d'union trouveraient leur réalisation dans la soufYrance. La généreuse enfant, plus que jamais ravie d'amour s'enivrait au calice divin dont l'amertume se changeait pour elle en douceur infinie. Sa retraite s'acheva en la Dédicace des Eglises de l'Ordre (31 août). Maison de Dieu, Sœur Elisabeth de la Trinité avait un attrait spécial pour ces solennités ; elle y renouvelait, avec sa consécration aux Trois divines Personnes, son amour et son zèle pour leur gloire. Une faveur toute spéciale avait préparé cette dernière Dédicace. C'était le jour de l'Ascension, la Mère Prieure, retardée dans sa visite matinale à l'infirmerie, en exprimait le regret à sa chère enfant, non sans remarquer l'expres- sion de sa physionomie toute transfigurée. (1) Ps, i.viii, 10. TOUT PRÈS DU SANCTUAIRE 219 « O ma Mère, répondit la petite malade, n'ayez aucune peine à mon sujet ; le bon Dieu m'a fait une telle grâce que j'ai perdu la notion du temps. Dans la matinée, cette parole me fut dite au fond de l'àme : « Si quelqu'un )) m'aime, mon Père l'aimera: nous viendrons en lui et » nous ferons en lui notre demeure (1). » Et au même instant, j'ai vu combien c'était vrai. Je ne saurais dire comment les Trois divines Personnes se sont révélées ; mais pourtant je les voyais, tenant en moi leur conseil d'amour, et il me semble que je les vois encore ainsi. Oh! que Dieu est grand et que nous sommes aimés ! » Jusque-là, ajoute la Mère, la chère enfant avait sou- haité que nos entrevues n'eussent pas de retard; mais alors elle me dit : « Désormais, ne vous préoccupez plus de contenter mes désirs ; quand vous ne pourrez venir, vous penserez que je suis avec mes Hôtes divins ; je ne dois et ne peux plus rien vouloir, sinon vivre en leur intimité. Je sens si bien qu'ils sont là, disait-elle, joignant les mains sur son cœur. » « Dans la suite, si je lui recommandais quelque parti- culière intention : « Je vais en parler à mon Conseil tout-puissant », répondait-elle ; c'est ainsi que, depuis l'Ascension, elle nommait les Trois divines Personnes. » Cette manifestation intime de la Sainte Trinité cou- ronne sa vie toute de recueillement sous la grâce du mystère qu'elle adorait sans cesse en elle-même, dans ce centre où saint Jean de la Croix nous le montre caché, mais divinement opérant. Elle apparaît comme une suprême dédicace de ce petit Tabernacle, dont la (1) .loaii., XIV, 23. 220 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ translation clans le Temple éternel n'était plus éloignée. Aussi la fètc du 31 août 190G fut-elle avant tout une i'ète d'action de grâce. Dans la pensée que cette retraite serait la dernière pour son enfant bien-aimée, la Mère Prieure lui avait exprimé le désir qu'elle notât simplement ses bonnes rencontres. Il lui aurait été difficile de mettre par écrit ce qu'elle recevait de Dieu en la forme profonde autant que simple dont nous avons parlé. Cependant Sœur Elisabeth de la Trinité avait deviné sa Mère et put lui laisser un mémorial de sa chère solitude. « Dernière retraite de Laudem glorix. », lui dit-elle, en le lui remettant à l'occasion d'un anniversaire préparé avec toutes les délicatesses d'un cœur filial... Ces pages écrites au cours d'insomnies pénibles, sous l'étreinte de douleurs si vives que la pauvre enfant se sentait défaillir, paraissent tout d'abord n'être que de simples réminiscences de ses lectures dans l'Ecriture sainte, accompagnées de réflexions personnelles; mais elles sont plus que cela : Sœur Elisabeth dit un jour à sa Mère Prieure qu'en ce petit recueil, elle avait essayé de lui exprimer comment elle envisageait son office de louange de gloire ; comment elle comprenait qu'on pût dès ici-bas vivre de la vie du ciel. C'est l'idée domi- nante de sa retraite, ce fut celle de toute sa vie ; aussi, à parcourir ces pages, semble-t-il qu'on lise en l'àme pré- destinée qui aurait pu les intituler : Souvenirs intimes. CHAPITRE XV Joie dans l'immolation. Les Laudes nocturnes. — Ecole des Saints. — Billets intimes. Conseils virils. — Soif d'abjection. — Lettre écho de sa vie. L'esprit de louange dont Sœur Elisabeth de la Tri- nité était pénétrée, lui rendait particulièrement cher l'Office des Laudes, Privée d'un sommeil, pourtant bien nécessaire, elle passait en oraison, près de sa petite fenêtre, les premières heures de la nuit ; et là, plongeant le regard dans le ciel étoile, elle laissait envoler son âme sur l'aile des cantiques sacrés, jus- qu'au sein de ses « Trois ». Quand vinrent les fraîches soirées d'automne, elle dut renoncer aux longues veilles, mais se releva cependant pour cette partie du saint Office. Il en fut ainsi jusqu'à la dernière semaine de sa vie. La chère enfant assurait trouver dans cet acte un apaisement dont elle profitait pour s'endormir promp- tement. Son intention évidente était de donner à Dieu tout ce qu'elle pouvait « extraire » encore de son être 222 SCKl'R KLISAHKTH DE LA TUIMTÉ épuisé. « Mon Maître me fait sentir qu'il est heureux de ces Laudes nocturnes; cela m'encouragea continuer tant ([ue je {)ourrai, disait-elle. » La loi et l'amour ordonnait tout en cette belle àme; à cette clarté, elle appréciait davantage encore les petites fidélités quoti- diennes, aussi avouait-elle un jour ne s'être arrêtée avec quelque complaisance à l'idée de sa guérison qu'en vue d'une plus entière immolation par le détail de nos saintes Règles. Elle prouva bien la sincérité de ces dis- positions pendant les deux derniers mois de son exil, se portant avec une ferveur croissante aux observances qu'il lui était possible de garder. Malgré le déclin de ses forces, Sœur Elisabeth de la Trinité suivait avec ponctualité, de sa tribune d'infir- merie, les exercices du chœur. Un soir, souffrant plus que de coutume et se sentant épuisée, elle avait eu « la tentation » de regagner son lit. Sur l'observation qu'elle aurait dû faire ainsi et de là s'unir à l'oraison de la communauté : « Ma Mère, reprit-elle avec un accent pénétrant, j'ai pensé que ce serait bien lâche; alors j'ai quitté le fauteuil pour m'agenouiller et prier avec d'autant i)lus de foi que je me sentais moins de courage. Mon Maître m'a si divinement fortiliée que maintenant je puis facilement attendre la fin des Complies pour me reposer. » Elle était bien de l'école des Saints, cherchant force et repos dans le prolon- gement du sacrifice et de la prière. Quand on voulait la soulager : « Ce n'est pas la peine, disait-elle, je suis au bout de nui carrière; Dieu me fait comprendre (jue devant bientôt le voir face- à-face, loin de se ri'poser, ÏMiulcm (jïoriiv doit extraire JOIE DANS l'immolation 223 de son être toute la prière et la souffrance possi- bles. » Dans ces sentiments, toute nouvelle occasion de s'immoler lui était une joie. On essaya des lavages d'estomac; vu son état d'épuisement qui influait sur les nerfs, c'était un vrai supplice. « J'ai souvent désiré le martyre, disait-elle, je ne peux plus l'espérer ; du moins je me prépare dans cet esprit à ces pénibles séances. » Elle se fortifiait contre l'appréhension natu- relle en baisant son crucifix, puis se livrait avec calme et sérénité. Lorsqu'on lui demandait comment elle avait passé la nuit : « Comme une malade », répondait-elle sim- plement, et tout de suite, elle s'informait des autres sœurs souffrantes ou parlait de Dieu. Et cependant, son infirmière remettait à la Prieure des billets comme ceux-ci : « 11 heures. — Du palais de la douleur et de la béatitude. » Ma Mère, votre petite Louange de gloire ne peut dormir, elle souffre ; mais dans son âme, encore que l'angoisse y passe, il se fait tant de calme ! C'est votre visite qui est venue apporter cette paix du ciel : mon cœur a besoin de vous le dire et, dans sa reconnais- sance, il prie et souffre incessamment pour vous ! Oh ! aidez-moi à gravir mon Calvaire, je sens si fort la puissance de votre sacerdoce sur mon âme et j'ai tant besoin de vous ! Ma Mère, je sens mes Trois si près de moi que je suis plus accablée par le bonheur que par la douleur. Mon Maître m'a rappelé que c'est ma résidence et que je ne dois pas choisir mes souf- 224 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ franccs. Je me plonge donc avec Lui en la douleur immense... » « 30 septembre. — Ma Mère bien-aimée, votre petite Louange de gloire souffre beaucoup, beaucoup ; c'est le trop grand amour, la dispensation divine de la dou- leur. Elle pense que d'ici au 9, elle a juste le temps de vous faire une neuvaine de souffrances avec son Maitre ; daignez l'accepter pour réjouir son cœur. Je suis tout entière réfugiée sous la prière de mon Jésus, et je demeure confiante en sa vertu toute-puissante ! » « J'ai conscience que ma volonté se développe et s'affermit par la souffrance, disait-elle, rendant compte de ses dispositions intimes. Si parfois devant un acte meilleur à accomplir j'ai éprouvé quelque hésitation, prévoj^ant la peine qui pouvait en résulter pour l'une ou l'autre de mes sœurs, aujourd'hui cette crainte ne m'arrête plus ; je me sens prête à passer par le feu pour faire plus parfaitement une volonté de Dieu. » Ce courage viril se retrouve dans toutes ses paroles ou ses écrits. Jadis elle attirait les âmes au recueille- ment, maintenant elle les entraîne à la pratique des plus fortes vertus. « Quand vous serez reprise, dit-elle à une novice qui l'interroge, faites plus que de vous soumettre, entrez dans la joie et dites : merci. » Et à une autre : « Dans nos difficultés, il faut plutôt accepter que vouloir être délivré ; c'est l'acceptation qui nous délivre. 11 faut vouloir de même les conséquences de nos fautes ou infidélités comme une justice rendue à Dieu, qui saura tirer gloire pour Lui et profit pour nous de cet état de choses... » Et à une autre encore : « Comme on se fait illusion sur la véritable union! Les JOIE DANS l'immolation 225 âmes qui pensent y être arrivées parce qu'elles goûtent des consolations sensibles, font penser à des enfants jouant avec des cendres que le vent emporte. Non, non, l'union vraie n'est pas dans les délices, mais dans le dépouillement et la douleur. » « Vous savez, dit-elle un jour à la Mère Sous- Prieure, si j'aime ma vocation, mon Carmel ; eh bien ! j'ai une telle soif d'abjection, que si notre Mère me disait : vous êtes indigne de porter le saint habit, indigne d'être Carmélite et me chassait, j'entrerais, il me semble, dans une immense joie d'être traitée comme je le mérite. » « Oh ! si vous saviez les jours divins qui s'écoulent pour moi, écrit-elle à une amie ! Je m'affaiblis et sens que le divin Maître ne tardera plus à venir me cher- cher. Je goûte, j'expérimente des joies inconnues : les joies de la douleur, qu'elles sont suaves et douces. Avant de mourir, je rêve d'être transformée en Jésus crucifié, et cela me donne force dans la souffrance. Nous ne devrions pas avoir d'autre idéal, sinon de nous conformer à ce modèle divin ; quelle ardeur nous porterait au sacrifice, au mépris de nous-mêmes, si nous avions toujours les yeux du cœur orientés vers Lui. La douleur fut la résidence de Jésus-Christ durant les trente-trois années qu'il passa sur la terre, et ce n'est qu'à ses privilégiés qu'il la fait partager. Quel bonheur inelTable goûte mon àme en pensant que le Père m'a prédestinée pour être conforme à son Fils crucifié : c'est saint Paul qui nous fait part de cette élection divine, laquelle semble être mon partage ! » A la lumière de l'éternité, le bon Dieu me fait 15 226 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ comprendre bien des choses, et je viens vous dire comme de sa part, de ne pas avoir peur du sacrifice, de la lutte, mais plutôt de vous en réjouir. Si votre nature est un sujet de combat, un champ de bataille, ne vous découragez pas, ne vous attristez pas ; je dirais volontiers : aimez votre misère, car c'est sur elle que Dieu exerce sa miséricorde. Lorsque sa vue vous jette dans la tristesse ou vous replie sur vous, c'est de l'amour-propre. Aux heures de défaillance, allez vous réfugier sous la prière du Maître divin : sur la Croix, Il vous voyait. Il priait pour vous ; cette prière est éter- nellement vivante et présente devant son Père ; c'est elle qui vous sauvera de vos misères. Plus vous sentez votre faiblesse, plus votre confiance doit grandir, car c'est à Lui seul que vous vous appuyez. » Privée depuis plusieurs mois de tous rapports avec Sœur Elisabeth de la Trinité, sa petite amie N... se désolait à la pensée de ne plus recevoir ses conseils et encouragements, qui jusqu'alors lui avaient fait tant de bien ; l'angélique malade sut trouver en son cœur aimant et dévoué la force de répondre au long question- naire de l'enfant par cette belle lettre, fidèle écho de sa vie. « Voici enfin Elisabeth qui vient s'installer, avec son crayon, près de sa petite N...; je dis avec son crayon, car de cœur à cœur l'installation est faite depuis long- temps, n'est-ce pas? Que j'aime nos rendez-vous du soir, c'est comme le prélude de cette communion qui s'établira entre nos âmes du ciel à la terre; il me semble que je suis penchée sur toi comme une mère sur l'enfant de sa prédilection. Je lève les yeux, je regarde JOIE DANS l'immolation 227 Dieu, puis je les abaisse sur toi, t'exposant aux rayons de son amour. Je ne lui dis pas de parole, mais II me comprend bien mieux et préfère mon silence. Mon enfant chérie, je voudrais être sainte pour pouvoir t'aider déjà ici-bas en attendant de le faire là-haut ; que ne souffrirais-je pas pour t'obtenir les grâces de force dont tu as besoin ! » Je veux répondre à tes questions ; traitons d'abord de l'humilité. J'ai lu sur ce sujet des pages magni- fiques; le pieux auteur dit que « l'humble trouve la » plus grande saveur de sa vie dans le sentiment de son » impuissance en face de Dieu ». Petite amie, l'orgueil n'est point une chose qui se détruit par un beau coup d'épée ; sans doute, certains actes d'humilité héroïques comme on en voit dans la vie des Saints, l'atteignent sinon mortellement, du moins l'affaiblissent considéra- blement; mais c'est à tout instant qu'il faut le faire mourir. « Je meurs chaque jour (1) », s'écriait saint Paul. Cette doctrine de mourir à soi-même, qui est la loi pour toute àme chrétienne depuis que le Christ a dit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il prenne » sa croix et se renonce (2) », cette doctrine donc qui paraît si austère est d'une suavité délicieuse lorsqu'on regarde le terme de cette mort, qui est la vie de Dieu mise à la place de notre vie de péchés et de misères ; c'est ce que saint Paul voulait dire quand il écrivait : « Dépouillez-vous du vieil homme et revètez-vous du nou- » veau, selon limage de Celui qui l'a créé (3). » Cette image, c'est Dieu Lui-même ; te souviens-tu de cette (1) Cor., XV, 31. — (2) Luc, ix, 23. — (3) Coloss., m, 10. 228 SŒUR ELISABETH DK LA TUINITK volonté qu'il exprime si lormellement au jour de la création : « Fciisons Vhomme à noire inuu/e et à noire » ressemblance (1). » » Si nous pensions davantage à nos origines, les choses d'en bas nous paraîtraient si puériles, que nous n'aurions que du mépris pour elles. Saint Pierre écrit dans une de ses épîtres que « nous sommes faits partici- » pants de la nalure divine (2) ». » L'âme qui a conscience de sa grandeur entre en la sainte liberté des enfants de Dieu (3) ; c'est-à-dire qu'elle dépasse toutes choses et se dépasse elle-même. » Saint Augustin dit que nous avons en nous deux cités : la cité de Dieu et la cité du moi; dans la mesure où la première grandira, la seconde sera détruite. Une àme qui vivrait dans la foi, sous le regard de Dieu ; qui aurait cet œil simple dont parle le Christ en l'Evangile, c'est-à-dire cette pureté d'intention qui ne vise qu'à Dieu, cette àme-là vivrait aussi dans l'humilité ; elle saurait reconnaître ses dons, car l'humilité c'est la vérité, mais elle ne s'approprie rien, rapportant tout à Dieu, comme faisait la sainte Vierge Tous les mouve- ments d'orgueil que tu sens en toi ne deviennent des fautes que lorsque la volonté s'en fait complice ; tu peux beaucoup en souffrir, mais tu n'olTenses pas le bon Dieu ; ces fautes qui t'échappent, comme tu me le dis, sans même que tu y rélléchisses, dénotent sans doute un fonds d'amour- propre ; mais cela, ma pauvre petite, fait en quelque sorte partie de nous ; ce que Dieu te demande, c'est de ne jamais t'arrêter volontai- (1) Gen., 1, 2G. - (2) II Petr., i, 4. - (3) Uoni., vui, 21. JOIE DANS l'immolation 229 rement à une pensée d'orgueil quelconque et de ne jamais faire un acte inspiré par ce même orgueil, ce qui ne serait pas bien ; et encore si tu constates une de ces choses, il ne faut pas te décourager, car c'est encore l'orgueil qui s'irrite ; mais tu dois étaler ta misère comme Madeleine aux pieds du Maître, et lui demander qu'il te délivre. Il aime tant voir une àme reconnaître son impuissance; alors, comme disait une grande sainte, « Vahime de l'immensité de Dieu se trouve en » tète-à-tète avec Vahime du néant de la créature, et » Dieu étreint ce néant (1) ». » J'ai une compassion profonde pour ceux qui ne vivent pas plus haut que la terre et ses banalités ; je pense qu'ils sont esclaves et je voudrais leur dire : secouez le joug qui pèse sur vous ; que faites-vous avec ces liens qui vous enchaînent à vous-mêmes et à des choses moindres que vous? Les heureux de ce monde sont ceux qui ont assez de mépris et d'oubli d'eux- mêmes pour choisir la croix pour leur partage ; quand on sait mettre sa joie dans la souffrance, quelle paix délicieuse ! » N'as-tu jamais vu de ces images réprésentant la mort moissonnant avec sa faucille? Eh bien! c'est mon état ; il me semble que je la sens me détruire ainsi ; pour la nature, c'est pénible, et je t'assure que si je restais là, je ne sentirais que ma lâcheté dans la souffrance; mais ceci c'est le regard humain, et bien vite « j'ouvre l'œil de mon àme sous la lumière de foi » ; cette foi me dit que c'est l'amour qui me détruit, qui me (1) Sainte Angèle de Foligno. 230 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ consume lentement, et ma joie est immense, et je me livre à lui comme une proie. » Lorsque l'on contemple notre éternelle prédesti- nation, les choses visibles semblent si méprisables ! Ecoute saint Paul : « Ceux que Dieu a connus en sa » prescience. Il les a aussi prédestinés pour être conformes » à l'image de son Fils (1). » Ce n'est pas tout, tu vas voir, ma petite, que tu es du nombre des connus. « Et » ceux quil a connus. Il les a appelés (2). » C'est le bap- tême qui t'a faite enfant d'adoption, qui t'a marquée du sceau de la Trinité sainte. « Et ceux quIl a appelés, Il » les a aussi justifiés. » Que de fois ne l'as-tu pas été par le sacrement de pénitence et par toutes ces touches de Dieu en ton âme, sans même que tu en aies cons- cience. « Et ceux qu'il a justifiés, Il les a aussi glori- » fiés (3). » C'est ce qui t'attend dans l'éternité ; mais rappelle-toi que notre degré de gloire sera le degré de grâce dans lequel Dieu nous trouvera au moment de la mort ; permets-Lui d'achever en toi l'œuvre de sa pré- destination, et pour cela écoute encore saint Paul qui va te donner un programme de vie : « Marchez en Jésus- » Christ, enracinés en Lui, édifiés en Lui (4). » » Oui, petite enfant de mon àme ; marche en Jésus- Christ : il te faut cette voie large, tu n'es pas faite pour les sentiers étroits d'ici-bas. Sois enracinée en Lui, et pour cela, déracinée de toi-même, ou faisant tout comme, c'est-à-dire te niant chaque fois que tu te rencontres. Sois édifiée en Lui, bien au-dessus de ce qui passe, là où tout est pur, tout est lumineux. (1) Rom.. VIII, 29. — (2) Ibhl.,-M). — (."i) Ibid. - (4> Coloss.. ii. 7. JOIE DANS l'immolation 231 Sois affermie en la foi, c'est-à-dire n'agis que sous la grande lumière de Dieu, jamais d'après les impressions, l'imagination ; crois qu'il t'aime, qu'il veut t'aider Lui- même dans les luttes que tu as à soutenir; crois à son amour, à son trop grand amour. Nourris-toi des grandes pensées de la foi qui nous révèlent toute notre richesse et la fin pour laquelle Dieu nous a créés; si tu vis en ces choses, ta piété sera vraie. C'est si beau la vérité, la vérité de l'amour : « // m'a aimé. Il s'est livré pour » moi! (1). » Voilà, petite amie, ce que c'est qu'être vraie. Et puis enfin, croîs en l'action de grâces ; c'est le dernier mot du programme, il n'en est que la consé- quence ; si tu marches enracinée en Jésus-Christ, affermie en ta foi, tu vivras dans l'action de grâces, dans la dilection des enfants de Dieu. Je me demande comment l'âme qui a sondé l'amour qui est au cœur de Dieu pour elle, peut n'être pas joyeuse toujours, dans toute souffrance et toute douleur. » Je me demande aussi ce que notre Révérende Mère va penser de ce journal: elle ne me permet plus guère d'écrire, car je suis d'une faiblesse extrême, je me sens à tout moment défaillir. Cette lettre sera peut- être la dernière de ton, Elisabeth ; elle a mis bien des jours pour l'écrire, c'est ce qui expliquera son incohé- rence, et ce soir je ne puis me décider à te quitter. Je suis en solitude, il est 7 h. 1/2, la communauté est en récréation, et moi, je me crois déjà un peu au ciel, en cette petite cellule, seule avec Lui seul, portant ma croix avec mon Maître bien-aimé; mon bonheur grandit à (1) Galat., II, 20. 232 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ proportion de ma soufFrancc. Si tu savais quelle saveur on trouve au fond du calice préparé par le Père des cieux ! » A Dieu, ma toute petite, qu'à Vomhrc de ses ailes (1) Il te garde de tout mal. » (1) Ps. XVI. 9. CHAPITRE XVI Dernières consolations. Débordante de charité. — Le 4 octobre. — Les fêtes duTriduum. — En société avec l'Amour. — Les préparatifs d'une prise d'habit. — Pendant la cérémonie. — Feu consumant. Nous touchons aux dernières semaines de notre petite Sœur Elisabeth de la Trinité. Son pauvre estomac était arrivé à un tel état d'ulcération que l'on ne savait plus comment soutenir cette généreuse victime, qu'a- chevait de consumer le feu de l'amour et de la dou- leur. ({ Je fais ce que je peux pour ne pas mourir de faim, et ce, par amour pour le bon Dieu », écrivait- elle à sa famille, qui s'ingéniait à lui procurer quelque soulagement. Malgré son épuisement, la chère enfant restait levée la plus grande partie de la journée. Elle multipliait et prolongeait ses visites au Saint-Sacrement, travaillait encore, suppliant qu'on lui permît de le faire au moins par demi-heure, et quand elle fut obligée de s'avouer vaincue par la maladie, elle s'occupa à rafraîchir les 234 SŒUR ÉLISAHKTH DE LA TRINITÉ fleurs de la sacristie, à rendre mille petits services autour d'elle, donnant à toutes choses le cachet d'ordre et de soin qui la caractérisait. Débordante de charité comme son divin Maître alors qu'il allait quitter les siens, Sœur Elisabeth de la Trinité trouvait encore la force d'épancher le trop-plein de son cœur en ceux qui réclamaient d'elle cette suprême consolation. Nous groupons ici ses dernières lettres, comme on assemble des aromates pour une composition de parfums, car « l'encens que doit répandre Laiidem glorise sort de ces pages et en abon-- dance comme d'un encensoir fumant ». A une religieuse Carmélite. « Avant de m'en voler au ciel, je tiens à vous assurer qu'en la maison du Père, je prierai bien pour vous. Je vous donne rendez-vous dans le foyer d'amour, c'est là que s'écoulera mon éternité, et vous pouvez déjà commencer la vôtre dès ici-bas. Chère sœur, je serai jalouse de votre beauté : lorsque l'on aime, ne désire-t-on pas du bien à l'être aimé ! Au ciel, je le crois, ma mission sera d'attirer les âmes dans le recueillement intérieur, en les aidant à sortir d'elles-mêmes pour adhérer à Dieu par un mouvement tout simple et tout amoureux, et de les garder en ce grand silence du dedans qui permet à Dieu de s'imprimer en elles, de les transformer en Lui. Chère petite sœur, maintenant il me semble que je vois toutes choses à la lumière du bon Dieu, et si je recommençais ma vie, comme je DERNIÈRES CONSOLATIONS 235 voudrais ne plus perdre un instant ! Il ne nous est pas permis à nous, épouses du Christ, au Carmel, de faire autre chose que de l'amour, du divin ; et si par hasard, du sein de la lumière, je vous voyais sortir de cette unique occupation, vite je viendrais vous rappeler à l'ordre; vous le voulez bien, n'est-ce pas? Priez pour moi, aidez-moi à me préparer pour le souper des noces de V Agneau (1) ; il faut beaucoup souffrir pour mourir, et je compte sur vous pour m'aider. A mon tour, je vous assisterai à votre mort. Mon Maître me presse. Il ne me parle plus que d'éternité... d'amour... C'est si sérieux, si grave ! . . » A Dieu, je n'ai ni la force, ni la permission d'écrire longuement, mais vous savez le mot de saint Paul : « Notre conversation est dans les deux (2). » Petite sœur, vivons d'amour pour mourir d'amour et pour glorifier le Dieu tout amour. » Laudem gloriae. A une postulante dont elle fut l'Ange au Carmel et qu'une circonstance particulière avait rendue à sa famille : « Mon cher petit Tobie, mon cœur d'ange a été remué délicieusement par votre lettre ; je suis heu- reuse que vous sentiez à quel point il est vrai que je ne vous quitte pas ! Ma prière et mes souffrances sont les ailes avec lesquelles je vous couvre pour vous garder en toutes vos voies (3). Avec quelle joie j'endu- rerais les plus grandes souffrances pour vous obtenir (1) Apoc, XIX, 9. - (2) Philip., m, 20. — (3) Ps. xc, 11. 286 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ toujours plus de fidélité et plus d'amour ! Vous êtes l'enfant chérie de mon âme, et je veux vous aider, être votre ange invisible, mais toujours présent pour vous porter secours. » Chère petite sœur, je crois que c'est l'amour qui nous permet de ne pas nous arrêter longtemps ici-bas ; du reste, saint Jean de la Croix le dit l'ormellement ; il a un chapitre admirable où il décrit la mort des âmes victimes de 4'amour et les derniers assauts qu'il leur livre. » Notre Dieu est un feu consumant (1), si nous nous tenons tout le temps unies à Lui par un regard de foi simple et amoureux, si, comme notre Maître adoré, nous pouvons dire au soir de chaque journée : « Parce » que j'aime mon Père, je fais toujours ce qui lui » plait (2) », Il saura bien nous consumer, et comme deux petites étincelles, nous irons nous perdre dans rimmense foyer pour brûler à notre aise durant l'éternité. » Vous me dites de demander un signe au bon Dieu pour savoir si nous nous reverrons et si vous viendrez reprendre votre place près de votre petit ange: mais malgré mon désir intense de vous plaire, je ne puis le faire ; ce n'est pas là ma grâce, il me semble que ce serait sortir de l'abandon. Ce que je puis vous dire, c'est que vous êtes aimée, beaucoup aimée par notre Maitre et qu'il vous veut sienne. Il a pour votre àme des jalousies divines, des jalousies d'Kpoux. Gardez-le dans votre cœur « seul et séparé » ; que l'amour soit (1) Hc'br., XII, 29. - (2) Joan., viii. 29. DERNIÈRES CONSOLATIONS 237 votre cloître ; vous le porterez partout, et ainsi vous trouverez la solitude parmi toute multitude. » J'ai lu que « le plus saint, c'est le plus aimant, c'est » celui qui regarde le plus vers Dieu et qui satisfait le » plus pleinement les besoins de son regard » : que ce soit notre programme. » A Dieu ! tout me parle de mon départ pour le ciel. Si vous saviez avec quelle joie sereine j'attends le face-à-face ! Au sein de la lumière éblouissante, je serai toujours penchée sur mon enfant pour la garder au divin Maitre comme un beau lis, afin qu'il puisse la cueillir avec bonheur pour son parterre virginal et reposer son regard consumant sur cette fleur cultivée par Lui avec tant d'amour. » A la même. « Jamais je n'ai autant senti le besoin de vous cou- vrir de prière ; lorsque mes douleurs deviennent plus aiguës, je me sens tellement pressée de les offrir pour vous que je ne puis faire autrement ; seriez-vous dans la souffrance? Je vous donne toutes les miennes, vous pouvez en disposer pleinement. » Combien je suis heureuse en pensant que mon Maître va venir me chercher ! Que la mort est idéale pour ceux que Dieu a gardés ! » Au ciel je serai votre ange plus que jamais ; je sais combien ma petite sœur a besoin d'être préservée au milieu de ce Paris où s'écoule sa vie. Saint Paul dit que Dieu nous veut « purs, immaculés en sa présence » dans l'amour (1) ». Ah ! combien je lui demanderai que (1) Ephés., I, 4. 2.'i8 SŒUR ELISABETH DK LA TRINITÉ ce grand décret de sa volonté s'accomplisse en vous ; pour cela, écoutez le conseil du même Apôtre : « Mar- » chez en Jésus-Christ, enracinés en Lui, édifiés en Lui, » affermis dans la foi et croissant de phis en plus en » Lui (1). » Tandis que je contemplerai l'idéale Beauté en sa grande clarté, je lui demanderai qu'elle s'imprime en votre àmc afin que déjà sur cette terre où tout est souillé, vous soyez belle de sa beauté, lumineuse de sa lumière. » A Dieu, dites-Lui merci pour moi car mon bon- heur est immense. Je vous donne rendez-vous en l'héritage des saints (2); c'est là que parmi le chœur des Vierges, cette génération pure comme la lumière, nous chanterons le beau cantique à VAgneau, le Sanctus éternel, sous le rayonnement de la face de Dieu; alors « nous serons transformés en la même image, de clarté en clarté (3) ». A une amie. Octobre 1906. « L'heure approche où je vais passer de ce monde à mon Père ; avant de partir je veux vous envoyer un mot de mon cœur, un testament de mon àme. Jamais le divin Maître ne fut si débordant d'amour qu'à l'ins- tant suprême où II allait quitter les siens ; il me semble qu'il se passe quelque chose d'analogue en sa petite épouse au soir de sa vie, et je sens comme un flot ([ui monte de mon cœur au vôtre ! (1) Coloss., II, 7 — (2) Ibid., i, 12.- (3) II Corinth., m. 18. DERNIÈRES CONSOLATIONS * 239 » A la lumière de l'éternité, 1 ame voit les choses au vrai point. Oh! comme tout ce qui n'a pas été fait pour Dieu et avec Dieu est vide ! Je vous en prie, mar- quez tout du sceau de l'amour, il n'y a que cela qui demeure... Que la vie est quelque chose de sérieux! Chaque minute nous est donnée pour nous enraciner plus, en Dieu, selon l'expression de saint Paul; pour que la ressemblance avec notre divin Modèle soit plus frappante, l'union plus intime; mais pour réaliser ce plan qui est celui de Dieu Lui-même, voici le secret : s'oublier, se quitter, ne pas tenir compte de soi ; regarder le Maître divin, ne regarder que Lui ; rece- voir également comme venant directement de son amour la joie ou la douleur : cela établit l'àme sur des hauteurs toutes sereines. » Je vous laisse ma foi en la présence de Dieu, du Dieu tout amour, habitant en nos âmes ; je vous le confie, c'est cette intimité avec Lui « au dedans » qui a été le beau soleil irradiant ma vie et déjà faisant d'elle comme un ciel anticipé ; c'est ce qui me soutient aujourd'hui dans la souffrance ; je n'ai pas peur de ma faiblesse, elle augmente ma confiance car le Fort (1) est en moi, et sa vertu toute-puissante opère, dit l'Apôtre, au delà de ce que nous pouvons espérer. » A Dieu ! Quand je serai là-haut, voulez-vous me permettre de vous aider, de vous reprendre même si je vois que vous ne donnez pas tout au divin Maître ; et ce, parce que je vous aime ! Je protégerai vos deux chers trésors et je demanderai tout ce qu'il vous faut pour en faire deux belles âmes, filles de l'amour. Qu'il vous (1) Is., IX, 6. 240 - SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ garde toute sienne, toute fidèle ; en Lui je serai toujours toute vôtre. » Pour sa famille du cloître surtout, Sœur Elisabeth a des attentions charmantes, de ces mots profonds qui portent avec eux lumière et vie. Tel, par exemple, ce petit billet déposé dans une cellule à l'occasion d'un anniversaire de profession. Discrètement elle se place sous la dictée de la Vierge, dont l'image sert d'en-tête à ces lignes toutes recueillantes. « C'est entre mes bras que Jésus fit sa première oblation au Père et II m'envoie pour recevoir la tienne... Je t'apporte un scapulaire (1) comme gage de ma protection et de mon amour ; comme un « signe » du mj'stère qui va s'opérer en toi. Ma fille, je viens pour achever de te revêtir de Jésus-Christ afin que tu sois enracinée en Lui dans la profondeur de l'abîme, avec le Père et l'Esprit d'amour ; que tu sois édifiée sur Lui, « ton rocher, ta for- teresse », que tu sois affermie en cette foi à l'amour immense qui du grand foAer se précipite au fond de ton âme ; cet amour tout- puissant fera en toi de grandes clioses, crois à ma parole, c'est celle d'une Mère, et cette Mère tressaille en voyant de quelle par- ticulière tendresse tu es aimée. Oh! demeure en ta profondeur!... » Voici l'Epoux ! Il vient avec tous ses dons, l'abîme de son amour l'environne comme d'un vêtement. » Silence ! Silence! Silence !... » Ce mois d'octobre réservait à Sœur Elisabeth de la Trinité les dernières joies dans l'exil. Elle désirait vivement prendre part à la fête intime par laquelle nous honorons chaque année la bienheureuse mort de notre séraphique Mère. Ce désir, confié au canu* de (1) Toujours aimable et animét- d'esprit de foi, la petite robière avait attendu ceUe circonstance pour remettre à sa scvur, sous cette forme gracieuse, le vêtement béni de Notre-Dame. DERNIÈRES CONSOLATIONS 241 la Sainte, fut réalisé contre toute prévision. Dans l'après-midi de ce jour, elle avait pris occasion d'un changement de robe pour demander à renouveler la cérémonie de sa vêture. Tout s'était passé près de la tribune qui la reliait au tabernacle. Avec quel esprit de foi se conforma-t-elle aux moindres détails du cérémonial, ne se dispensant pas même du grand pros- ternement. Ce soir-là, nous la vîmes avec grande émotion revenir au chœur après sept mois d'absence. Frêle et chancelante, elle se laissait deviner plutôt qu'aperce- voir dans la pénombre, toute perdue en une fervente oraison, qu'elle savait devoir être la dernière en ces lieux pleins de grâces et de chers souvenirs. Se pros- terner devant la grille témoin de l'oblation du 8 décem- bre (1) et de la consécration du 21 janvier (2), lui fut une douce joie. Toute son âme passa dans un suprême Suspice que notre sainte Mère dut offrir comme une louange de gloire à la Sainte Trinité. Puis doucement radieuse, elle regagna sa « chère solitude », pour achever de livrer le don si sincèrement réitéré. Sa sœur et son beau-frère qui avaient promis leur concours musical aux fêtes que nous préparions en l'honneur de nos Bienheureuses Martyres de Com- piègne, vinrent un soir s'exercer à la Chapelle ; Sœur Elisabeth de la Trinité remarqua avec quelle douceur sa chère Marguerite accompagnait son mari et cher- chait à le faire ressortir, disparaissant elle-même en quelque sorte. (1) Sa vêture. — (2) Sa prise de voile. 16 242 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ « C'est ainsi, dit-elle, que je dois être un instrument dont le divin Maître puisse tirer les sons qu'il préfère. Secondant simplement son action par la coopération à sa grâce, je dois m'etlacer pour lui donner toute gloire. » Les moindres choses lui étaient ainsi l'occasion de s'élever à Dieu, ou plutôt rien ne la faisait redes- cendre sur la terre. « Elle n'y a plus que les pieds, disait un religieux à sa mère; le coeur, l'àme et l'esprit sont au ciel. » De son petit sanctuaire, auquel s'appuyait le tableau des Bienheureuses, Sœur Elisabeth put prendre part à nos belles solennités ; les nombreuses messes qui se célébrèrent durant trois jours lui permirent de s'unir plus intimement à la sainte Victime. Se trouvant à peu près à la hauteur du très Saint- Sacrement, elle aimait à dire, s'appliquant ce verset du Psalmiste : « La reine se tient à la droite du Roi (1) ; je profite du rang que j'occupe auprès de Celui qui m'a faite reine pour puiser en son cœur de nombreuses grâces. » Elle pensait surtout aux jeunes lévites venus pour recueillir les enseignements élevés et profonds que nous avions le bonheur de recevoir, et suppliait « son Conseil tout-puissant » de leur faire sentir au fond du cœur cette onction mystérieuse qui jadis, sous la même parole, l'avait puissamment pénétrée. Le 15, fête de sainte Térèse, M^^"" DadoUe, alors notre Evê(iue et Père vénéré, proclama la gloire des Bien- heureuses, qui alliaient à la blancheur virginale la (1) Ps. XLIV, 11. DERNIÈRES CONSOLATIONS 243 pourpre de leur immolation sanglante. L'union des deux fêtes invitait Sa Grandeur à présenter la vie de notre séraphique Mère sous le jour d'un martyre aussi, c'est-à-dire du plus grand don possible..., de l'amour suprême. Ce rapprochement fut développé dans un remarquable discours dont l'ardeur communicative pénétra les âmes. Sœur Elisabeth de la Trinité, s'éloi- gnant du sanctuaire, emporta le besoin plus impérieux encore de donner au divin Maître sa mesure d'amour, par le sacrifice absolu. Monseigneur voulut bien lui accorder, à la grille du parloir, cette bénédiction de Père et de Pontife, que la petite hostie de louange attendait comme une dernière consécration. Dieu lui avait ménagé une autre consolation en envoyant à notre Carmel, à l'occasion de ces fêtes, le religieux Dominicain dont son àme avait reçu cette influence de grâce à laquelle nous l'avons vue si fidèle- ment correspondre. Comme elle confiait au Révérend Père son désir de souffrir, il lui dit de ne pas s'arrêter là, mais de se livrer simplement à Dieu, le laissant libre d'agir sans lui déterminer ses voies. Depuis lors, son àme, orientée vers les cimes qui dépassent la souffrance, paraissait toujours plus lumi- neuse, et malgré ses douleurs, notre petite Sœur sem- blait habiter déjà le ciel de la gloire. « Je sens à côté de moi, disait-elle, l'Amour comme un être vivant qui me dit : « Je veux vivre en société avec toi ; pour cela, » je veux que tu souffres sans penser que tu souffres, » te livrant simplement à mon action. » Encore un souvenir de ce mois d'octobre; il nous 244 SŒUR KLISAKETII DK LA TUINITK montre Sœur Elisabeth de la Trinité s'oubliant jusqu'à la (In pour la chaiité. Une postulante du voile blanc, compagne de noviciat, allait recevoir le saint habit; elle s'olïrit à préparer sa l)lanche i)arure et mit, dans ce travail, son cœur et ses dernières forces. A considérer l'habileté, le goût exquis avec lesquels elle disposait toutes choses, comme sa présence d'esprit à prévoir les plus petits détails pour sauvegarder le recueillement de la jeune novice au matin du grand jour, on ne se serait pas douté que la semaine suivante, elle s'aliterait défmi- tivement. Cependant la défaillance de ce pauvre corps, comparable à un squelette et réclamant toute l'énergie de l'àme pour les moindres mouvements, annonçait bien une fin prochaine. Ses doigts, ayant peine à tracer l'ourlet de la robe qu'elle essayait, retombaient parfois sur le plancher ; la pauvre enfant souriait, mais n'en- tendait pas qu'une autre la remplaçât; sa grande charité la soutenait, car elle savait que son travail ferait la joie de son heureuse petite sœur. Le 22 octobre, pendant la prise d'habit, toute recueillie à son poste habituel, elle ressentit un immense bonheur, pensant que bientôt elle serait déposée pour une autre cérémonie, là même où la jeune novice était prosternée. Hélas ! trois semaines encore et cette espérance sera réalisée. Au soir de ce jour, elle écrivait une dernière fois du Palais de la douleur : « Mon prêtre aimé (1), votre petite (1) En CCS derniers temps, Laiulein gIoria\ devenue « hostie de louange », se plaisait à nommer son prêtre, celle entre les mains de laquelle s'était accomplie son oblation et se consommait le sacrifice suprême. DERNIÈRES CONSOLATIONS 245 hostie soufYre beaucoup, beaucoup, c'est une sorte d'agonie physique ; elle se sent si lâche ! lâche à crier ! Mais l'Etre qui est la plénitude d'amour la visite ; lui tient compagnie; la fait entrer en société avec Lui, tandis qu'il lui fait comprendre que tant qu'il la laissera sur la terre. Il lui dispensera la douleur. Ma mère, j'ai le mouvement, si vous permettez, pour vous préparer une belle fête de la Toussaint, de commencer pour vous une neuvaine de souffrance, pendant laquelle chaque nuit, tandis que vous reposerez, nous irons vous visiter avec la plénitude d'amour. » A cette époque, une grande inflammation intérieure accroissait encore ses souffrances ; elle était littérale- ment calcinée et ne pouvait parler qu'avec peine ; mais la plus grande joie rayonnait sur son visage : « Dieu est lin feu consumant, disait-elle ; c'est son action que je subis. » « Je n'oublierai jamais l'impression que j'ai ressentie en donnant la sainte Communion à votre cher ange, trois semaines avant sa mort, nous écrit un religieux. Bien qu'averti, lorsque je vis cette langue rouge comme du feu, je fus tellement impressionné que ma main trembla en y déposant la sainte Hostie. Je considère comme une des plus grandes délicatesses du Cœur de Jésus, dans l'exercice du saint ministère, la consolation d'avoir pu communier celle qu'il allait bientôt cou- ronner dans le ciel. Notre-Seigneur semblait me faire comprendre que l'amour qui embrasait l'âme de sa sainte victime était encore plus ardent que le feu qui consumait son pauvre corps. » 246 SŒUR ÉLISAHETH DE LA TRINITÉ Il en était bien ainsi, et Sœur Elisabeth de la Trinité se livra si pleinement à son action, que la uiue flamme cramour qu'elle portait en son cœur, la blessa divine- ment. Un matin, elle accueillit ainsi sa Prieure : « O ma mère, encore un peu, et vous n'auriez plus retrouvé sur terre Laiidem glorhv. — Comment cela? — Hier soir, mon àme était dans une sorte d'impuissance, quand tout à coup je me suis sentie comme envahie par l'Amour. Aucune expression ne me permet de rendre ce que j'ai éprouvé ; c'était un feu d'une douceur infinie, et en même temps, il semblait qu'il me causât une blessure mortelle. Je crois que si cela s'était pro- longé j'aurais succombé. » Ainsi s'achevait celte vie toute d'amour, que peut résumer la parole évangélique prononcée sur sainte Madeleine : « Elle a beaucoup aimé (1). » Saint Jean de la Croix dit de ces prédestinés « qu'ils meurent dans des transports admirables et des assauts délicieux que leur livre l'amour, comme le cygne dont le chant est plus mélodieux quand il est sur le point de mourir. C'est ce qui fait dire à David que la mort des justes est précieuse devant Dieu (2), car c'est alors que les fleuves de l'amour s'échappent de l'àme et s'en vont se perdre dans l'océan de l'amour divin. Là le commen- cement et la lin, le premier et le dernier se réunissent afin d'accompagner le juste qui part pour son royaume (3). » L'histoire intime de Sœur Elisabeth de la Trinité (1) Iaic, VII, 47. — (2) Ps. cxv, 5. — (.'{) Vine flnmme d'amour, str. 1. DERNIÈRES CONSOLATIONS 247 s'achève avec la fin du commentaire de notre Bien- lieureux Père. « O flamme de l'Esprit Saint qui transpercez si inti- mement, si tendrement la substance de mon âme et qui la brûlez par votre divine ardeur ; si vous ne m'exauciez pas lorsque l'amour impatient ne me per- mettait pas de me résigner complètement à la condi- tion de cette vie où vous me condamniez à demeurer... maintenant que mon amour est devenu tellement fort que mon cœur et ma chair, pénétrés de votre divine énergie, se réjouissent dans le Dieu vivant, avec une conformité parfaite à votre adorable volonté ; mainte- nant que je ne demande plus que ce que vous m'or- donnez de demander..., exaucez mes prières. Déchirez enfin, ô divine flamme, déchirez la toile légère de cette vie pour que je puisse vous aimer sans retard, avec toute la plénitude et la perfection que désire mon àme, c'est-à-dire sans mesure et sans fin (1). » (1) Vive flamme d'amour, str. 1. CHAPITRE V Du calvaire au ciel. Dernier parloir. — La gloire et l'amour. — L'E.xtrème-Onction. — Impressions de grâce près de l'angéliqiie mourante. — Rêve sjmi- bolique. — VAngchis. — Le ciel. — Les Dédicaces. Le lundi 29 octobre, Sœur Elisabeth de la Trinité revit tous les siens au parloir ; on lui avait amené ses nièces, deux beaux petits anges que leur mère fit agenouiller près de la grille. Alors « avec une majesté qui avait quelque chose d'imposant, dit M'"« Catez, elle éleva son grand christ et les bénit après les avoir contemplées avec amour. Avait-elle le pressentiment de ne plus les revoir?... Nous la trouvions presque mieux, elle parlait plus facilement et nous entretint longuement, nous faisant ses dernières recommandations. Dieu sans doute eut pitié de nous en nous permettant d'emporter l'illusion de revoir encore notre chère Carmélite. Au moment des adieux, elle eut le courage de me dire : « Maman, lorsque la sœur tourière viendra t'apprendre 250 SŒUll ELISABETH DE LA TRLNITÉ que j'ai fini de souffrir, tu tomberas à genoux en disant : Mon Dieu, vous me l'aviez donnée, je vous la rends ; que votre saint Nom soit béni ! » Le lendemain. Sœur Elisabeth de la Trinité ne pou- vait plus quitter l'infirmerie. « J'y entrai dans la journée, rapporte la Mère Prieure, et la trouvai fort paie, une expression de bonheur éclairait pourtant son visage. Elle me montra une image suspendue à la muraille et s'exprima ainsi : « Je regardais tout à » l'heure notre sainte Mère et, pensant à sa gloire, je )) me disais qu'au ciel sa pauvre enfant serait bien loin » d'elle. Au même instant, il me fut dit au fond de » l'àme que la gloire de sainte Térèse était moins la » récompense de ses grandes œuvres que de son amour, )) ce (jui m'a beaucoup consolée ; nous nous sommes » tant aimés, ajouta-t-elle, pressant sur son cœur le » christ du beau jour de sa profession. Cette lumière » vient confirmer, au soir de ma vie, tous mes attraits » de grâce... je "ne veux plus vivre que d'amour. » Ainsi préparée plus immédiatement à la dernière phase qui s'ouvre en ce jour, elle devait se maintenir « en société avec rdinour », tout le temps de sa longue et douloureuse agonie. Le 30, vers le soir, M'"'" Catez vint demander des nouvelles de sa fille. « Je saisis celte occasion, dit la Sœur portière qui trouva la Mère Prieure à l'infirmerie, pour recommander à Sanir Elisabeth de la Trinité, plusieurs choses me tenant fort à canir. Sans y réi)ondre précisément, elle me parla avec efl'usion, mais aussi avec une gravité tout à la fois simple et solennelle; c'était comme un testament (pi'elle me dictait, l'accom- DU CALVAIRE AU CIEL 251 pagnant de promesses qui se sont accomplies. Ne me parlez plus, chère Sœur, vous vous fatiguez, lui dis-je, d'ailleurs, il faut que je porte mon message à votre bonne mère. — Dites que je suis à la mort, repartit la chère malade; je n'en puis plus. » Stupéfaite de l'en- tendre s'exprimer ainsi, j'admirai une fois de plus l'énergie de cette àme qui, pour ma consolation, avait su maîtriser à ce point sa souffrance. Engagée à se reposer davantage : « Oh ! non, répondit Sœur Elisabeth, je suis tellement épuisée que je crain- drais de ne pouvoir plus me relever. » Ce même soir, vers la fin des Matines, la Prieure se sentit pressée d'aller voir son enfant bien-aimée ; la pauvre petite l'attendait avec une sorte d'angoisse, crai- gnant de mourir en son absence, car elle était prise d'un grand tremblement qui la secouait sur son lit. Rassurée, puis calmée par quelques soins, elle s'assoupit un peu. Vers trois heures du matin, un léger bruit fit accourir la Mère. Sœur Elisabeth souffrait beaucoup et croyait enfin toucher au terme bienheureux; aussi laissa-t-elle déborder son àme dans le cœur maternel qui veillait à son chevet... Heure inoubliable!... Le ciel semblait ouvert au regard de l'heureuse enfant, si parfaitement dégagée et toute prête à voler au premier appel du céleste Epoux. Sa faiblesse était extrême, aussi la grâce des derniers Sacrements lui fut-elle renouvelée dès le matin du 31 octobre, vigile d'une fête bien chère à sa foi. Ravie chaque année par le bel office de la Toussaint, Sœur Elisabeth de la Trinité espérait enfin se joindre 252 SŒUR ÉLISABKTH DE LA THINITK à cette grande multitude, aperçue par saint Jean devant le trône de l'Agneau (1). A midi, quand les cloclies des différentes paroisses sonnèrent V Angélus : « O ma mère, s'écria-t-elle, ces cloches me dilatent ; elles sonnent pour le départ de Laudem glorùe! Déjà pour ma profession, toutes celles de la ville sonnaient, et voilà qu'elles s'ébranlent encore pour mon passage de l'Eglise militante à l'Eglise triom- phante ; elles vont me faire mourir de joie ces cloches ! partons donc!... » Et elle tendait les bras vers le ciel. Le jour de la Toussaint vers dix heures du matin, nous crûmes l'heure suprême arrivée ; la communauté se réunit à l'infirmerie pour réciter les prières du Manuel. Sœur Elisabeth de la Trinité sortit de l'affais- sement où elle était, s'assura de la présence de toutes, et demanda pardon en termes touchants; puis sur un désir exprimé, laissa échapper de son cœur les paroles suivantes : « Tout passe!... au soir de la vie, Vamour seul demeure... Il faut tout faire par amour: il faut s'oublier sans cesse : le bon Dieu aime tant que Von s'oublie... Ah! si je Vaoais toujours fait!... » ajouta-t-elle avec un accent d'humilité qui nous pénétra... Sainte enfant, n'était-ce pas votre grâce personnelle que vous nous découvriez, ainsi que le secret de votre prompte consommation ! De nouveau les cloches sonnèrent toute la journée ; notre petite Sœur les écoutait ravie, mais elle n'entendit pas encore l'appel de Dieu. « Si Notre-Seigneur m'offrait le choix entre la mort dans une extase ou dans l'abandon du Calvaire, je la (1) Apoc, vil, U. DU CALVAIRE AU CIEL 253 préférerais sous cette dernière forme, non pour le mérite, mais pour Le glorifier et Lui ressembler », nous avait-elle confié quelques jours auparavant. On lui rappela ce désir ; la pensée qu'il allait être réalisé la consola. Sa résolution si ferme de croire à l'amour à travers tout, avait tellement accru sa foi, qu'elle fut divine- ment soutenue par cette force des martyrs tout le temps que dura le sien, sous les impuissances, comme sous les impressions crucifiantes d'abandon, rappelant celui du Calvaire. « Il me semble, dit-elle un jour, que mon corps est suspendu et que mon âme est dans les ténèbres ; mais c'est l'Amour qui fait cela, je le sais et je jubile en mon cœur. » Cette jubilation de la partie supérieure n'empêchait pas la sensibilité, livrée à une sorte d'agonie, d'ajouter son genre d'épreuve à tout ce que la chère enfant avait alors à endurer. « Si j'étais morte en mon état d'âme d'autrefois, c'eût été trop doux! C'est dans la foi pure que je m'en vais, j'aime mieux cela : je suis ainsi plus semblable à mon Maître, et plus dans la vérité. » Le désir d'être conforme au divin Crucifié lui faisait accueillir chaque nouvelle douleur avec un sourire angélique. Vers la fin d'octobre, l'estomac à peu près consumé acceptait à peine quelques sucres d'orge (1) ; depuis la (1) Jusque-là et depuis le commencement de sa maladie. Sœur Elisabeth de la Trinité ne s'était soutenue qu'avec du laitage; la contenance d'un verre environ suffisait à ses quatre repas, selon son expression. Cet ange de la terre se nourrissait de Dieu, qui lui communiquait visiblement sa force divine. 254 S(i:i'H ELISABETH I)^: LA TUIMTK Toussaint, c'était le jeûne absolu; Sœur Elisabeth de la Trinité ne pouvait même pas avaler une goutte d'eau sans éprouver de vives douleurs ; sa bouche, en feu depuis trois semaines déjà, continuait à se dessécher. La soif ardente dont nous ne pouvions lui alléger le tourment, lui fut particulièrement pénible. « C'est une ressemblance avec jVotre-Seigneur sur la croix, lui disions-nous. — Oh ! oui ; c'est ravissant ; Il est d'une délicatesse infinie, et n'oublie rien de ce qui peut m'associer à ses douleurs ! » La sainte Communion, au matin du 1" novembre, fut pour elle la dernière ici-bas : dans l'état que nous venons de décrire, elle n'eût pu consommer même une parcelle de la sainte Hostie. Quand on lui parlait du grand sacrifice que devait lui occasionner la privation de son Dieu : « Je le trouve en la croix, disait-elle ; c'est là qu'il me donne sa vie. » Un particulier attrait à baigner son àme dans le pré- cieux Sang du Sauveur excitait en elle, depuis quel- ques années, un grand désir du sacrement de Pénitence: grâce que M. l'Aumônier lui renouvela fréquemment au cours de cette dernière et laborieuse semaine, l'accompagnant de ces paroles réconfortantes qui sou- tiennent au plus fort de l'épreuve, et dont elle avait si largement bénéficié au cours de sa vie religieuse. De violentes douleurs cérébrales nous firent redouter une méningite que nous réussîmes à conjurer par d'incessantes applications de glace. Celle-ci se liquéfiait instantanément sous la chaleur intense (juc la chère malade ressentait à la tète : son cerveau lui paraissait de feu. Les yeux de la pauvre enfant, injectés de sang DU CALVAIRE AU CIEL 2oo et constamment fermés, ne devaient plus s'ouvrir avant l'heure suprême ; par moments, sa parole était presque insaisissable. Alors nous comprîmes plus encore à quel degré l'àme, qui dominait toujours l'état physique, était ensevelie en Dieu. Jusqu'ici, en effet, malgré les douleurs qui la déchiraient, on pouvait concevoir son application intérieure ; mais voici qu'elle peut à peine diriger ses pensées ; et cependant l'union divine lui est devenue tellement habituelle qu'elle se maintient en dépit de tout. Une Sœur la voyant dans une espèce de prostration voulut lui dire un petit mot d'encouragement ; grande fut sa surprise de l'entendre murmurer des paroles dont la profondeur lui révéla combien, morte en appa- rence, elle était vivante à Dieu. Cette impression, bien d'autres la recueillirent pendant ces neuf jours : ce fut la grâce que nous laissa ce petit séraphin, celle qui reste imprimée dans nos âmes comme un souvenir ineffaçable, un idéal à réaliser. Au plus fort de son accablement. Sœur Elisabeth de la Trinité acceptait avec reconnaissance qu'on récitât auprès d'elle les prières connues sous le nom d'Exer- cices de sainte Gertriide. Elle témoignait y trouver quelque consolation^ disant avec effort, quand on les terminait et pour qu'on les reprît, « ...Gertnide !... » Ces soupirs, ces élans d'un cœur assoiffé d'union expri- maient si bien ses propres sentiments!... « 0 Amour! Amour! ne tarde pas d'accomplir pour moi la solennité des noces éternelles!... 0 Amour! hàte-toi de satisfaire mon désir... achève ce que tu as commencé. » A ces paroles : « Louez-vous vous-même en vous ; 256 SŒUR ELISABETH DK LA TIUMTÉ louez-uoiis voiis-mèine en moi et par moi », elle tres- saillait et murmurait : « Oh! c'est cela! » « Au chevet de la chère petite Sœur, les veilles étaient plus une consolation qu'une fatigue, rapporte une de ses infirmières; l'approcher était une vraie joie... Lorsque j'avais le bonheur de toucher les membres de ce corps virginal, le parfum de pureté qui s'en exhalait m'imprégnait tout entière ; je sentais telle- ment en elle la présence de Notre-Seigneur que je lui baisais les mains avec la même foi, le même res- pect que si j'eusse baisé celles de Jésus crucifié. Elle se laissait faire avec simplicité et disait : « C'est pour Lui. » « Les moments qui précédèrent sa bienheureuse mort me sont toujours présents ; je la vois dans l'attitude d'un athlète victorieux qui touche à la fin de sa carrière ; elle paraissait encore tenir le langage de saint Paul : « J'ai combattu le bon combat, fai achevé ma » course (1), je suis reine pour l'éternité. » Reine, ne l'était-elle pas déjà, gravissant son calvaire à la droite du divin Roi, avec une dignité qui nous frappait et qu'elle devait conserver jusqu'à la fin. « Notre-Seigneur me demande d'aller à ma passion avec la majesté d'une reine, avait-elle dit quelques mois plus tôt, donnant à entendre par là comment doivent souffrir les épouses de Jésus crucifié. C'est ainsi qu'elle porta sa croix, toujours dominée par la force divine qui (1) 11 Tim., IV, 7. DU CALVAIRE AU CIEL 257 l'affranchissait des préoccupations trop ordinaires aux malades (1). La parole lui revenait par instant ; la chère enfant s'en servait pour louer Dieu et consoler ses sœurs. Ayant un jour confié à l'une d'entre elles la grâce trouvée dans son nom, Laudem glorise, celle-ci lui avait demandé pour elle-même, un nom qui lui fût lorce et direction, et le 30 octobre, Sœur Elisabeth avait fait déposer, dans sa cellule, ce petit mot : Abscondita in Deo (2). « Il me tardait, dit la Sœur, de retourner près d'elle pour en savoir davantage; mais la maladie faisait de tels progrès que j'appréhendais de ne plus pouvoir lui parier. Quel ne fut pas mon étoiine- ment le 5 novembre, m'étant trouvée seule un moment auprès d'elle, de sentir son étreinte et d'entendre d'une voix entrecoupée et presque expirante : « C'est Abscon- » dita, n'est-ce pas? — Oui! — Eh bien! c'est Lui » seul qui vous a nommée, je l'ai compris ; oh ! quel » programme ! Abscondita in Deo, c'est la séparation » de tout le terrestre, c'est une ascension continuelle » vers Lui. Quelle mortification, quelle prière, quel » effacement de soi, ce nom demande! Je ne peux tout (1) « Une nuit, avait-elie antérieurement confié à l'une de nos sœurs, mes douleurs étant accablantes, je sentis la nature dominer; alors je réveillai ma foi et me dis : « Ce n'est pas ainsi qu'une » Carmélite doit souffrir»; puis, regardant Jésus à l'agonie, je lui offris ces douleurs pour le consoler, et je me sentis fortifiée. C'est ainsi que j'ai toujours fait dans ma vie; à chaque épreuve, grande ou petite, je regarde ce que Notre-Seigneur a enduré d'analogue, afin de perdre ma souffrance en la sienne et moi-même en Lui. » (2) Coloss., ni, 3. n ^ 208 SŒU1\ KI.ISAHKTII DE LA TIUNI'H': » dire; mais de là-haut je vous aiderai », et chaque » fois que je la voyais, elle répétait : « Je vous aiderai. » « Jamais je n'oublierai les impressions ressenties en ces neuf jours, dit la Mère Sous-Prieure. D'une part, c'était une vive émotion en voyant ce pauvre corps, absolument méconnaissable, qui faisait penser à la descente de croix, et d'autre part, c'était une profonde admiration devant cette àme, tellement prise par le grand mystère de l'au-delà, qu'il ne lui était plus possible d'exprimer ce qu'elle semblait entrevoir. » Lorsque notre Mère entrait à l'infirmerie, un sou- rire inexprimable l'accueillait toujours ; Sœur Elisabeth cherchait à entrouvrir ses paupières pour la revoir ; remarquait-elle l'altération de ses traits causée par les veilles à son chevet, elle s'employait à lui faire prendre un peu de repos, et avait à son endroit mille sollicitudes. Elle lui dit un jour : « Dès que j'arriverai » près du bon Dieu, ma première prière sera pour » votre santé. — Non, non, priez plutôt pour mon » àme ; c'est beaucoup plus important, plus pressé. » — C'est vrai, l'àme passe avant le corps ; mais au » ciel, je crois que l'on peut s'occuper de bien des » choses à la fois, car au ciel, c'est I'Unité. » Dès que notre Mère s'absentait, elle me disait : l'hostie va être consommée, elle ne peut se passer de son prêtre. En effet, l'assistance de sa Mère Prieure était une consolation pour la chère enfant ; elle tenait sa main dans la sienne et disait : « Ne me quittez pas, j'ai tant besoin de vous pour achever de gravir mon calvaire. Dire qu'il y aura un moment où je devrai franchir seule ce passage mystérieux, si impressionnant! — DU CALVAIRE AU CIEL 259 Mais la sainte Vierge sera là, c'est elle qui vous tendra la main; vous n'aurez rien à craindre avec une si bonne Mère. — Oui, c'est vrai, Janiia cœli laissera bien passer la petite Louange de gloire... Mais comme l'heure à laquelle je me trouve est solennelle ! L'au-delà est saisissant; il me semblait l'habiter déjà depuis longtemps, et cependant, c'est l'inconnu... Oh! qu'il faut prier pour les mourants ! Volontiers je passerais mon éternité auprès d'eux pour les assister, car la mort a quelque chose d'effrayant !... Elle doit être terrible pour ceux qui n'ont vécu que dans les plaisirs et qui ont tant d'attaches en ce monde. Pour moi, bien que libre de tout, il me semble, j'éprouve un sentiment indéfinissable, quelque chose de la justice, de la sain- teté de Dieu. J'ai conscience que la mort est un châ- timent, et je me trouve si petite, si dépourvue de mérites!... Comme il faut porter les agonisants à la confiance!... » Les impressions de l'angélique mourante, jointes aux souffrances que de multiples complications étendaient à tout son être, rappellent ses désirs si ardents, alors que jeune fille, elle s'offrit en victime pour les péchés du monde. Ses vœux étaient exaucés, et l'on compre- nait près de ce petit lit, véritable autel du sacrifice, que le Souverain Prêtre achevait d'immoler sa blanche hostie. « Vous êtes revêtue de l'Homme des douleurs, lui fut-il dit un jour; vous êtes bien conforme à Jésus crucifié. » Avec un accent de vrai bonheur : « Oh ! oui », répondit-elle simplement. Par moments, son visage nous rappelait certaines 2()0 S(i:UU ELISABETH Dli LA TRLNITÉ reproductions de la sainte Face du Sauveur ; cette expression douloureuse saisissait et pénétrait aussi d'un respectueux recueillement. D'autres fois, notre petite Sœur nous frappait par une physionomie tout à fait enfantine. Elle avait bien d'ailleurs le caractère, la sim- plicité de l'enfance ; cette disposition, perfectionnée au cours de sa maladie, donnait à toute sa personne, même sous l'étreinte de ses crises si pénibles, un charme incomparable. Aussi nous aimions à la visiter, à recueillir les paroles qu'elle nous adressait, semblait-il, du seuil de l'éternité, tant elles étaient lumineuses et pleines d'à-propos ; on eût dit que l'intime des âmes lui était dévoilé. Sa présence d'esprit nous surprenait, dans l'état aigu des derniers jours; comme la véné- rable Marguerite du Saint-Sacrement, interrogée sur le secours de Dieu qu'elle recevait alors, elle aurait pu dire : « Le secours divin est immense. » « O Amour ! Amour ! s'était-elle écriée après une violente crise; tu sais si je t'aime, si je désire te con- templer; tu sais aussi si je souffre; cependant, trente, quarante ans encore si tu le veux, je suis prête. Epuise toute ma substance pour ta gloire; qu'elle se distille goutte à goutte pour ton Eglise. » Elle demeura jusqu'à la (in dans ces dispositions. Un soir pourtant, son infirmière la voyant beaucoup souffrir, lui dit : « Vous n'en pouvez plus, ma pauvre petite sœur? — Oh! non, je n'en puis plus. — Vous désirez le ciel? — Oui ! jusqu'à présent je me suis aban- donnée, mais je suis épouse, et maintenant j'ai le droit de Lui dire : Partons! Quand on s'aime, il tarde de se voir. Oh! je l'aime!... » DU CALVAIRE AU CIEL 261 L'expression de son visage révéla un jour qu'il s'était opéré un changement dans son état d'àme : efTective- ment les ténèbres dont elle avait été enveloppée pen- dant ces premiers jours d'agonie avaient fait place à la lumière ; mais il ne lui fut plus permis d'exprimer les secrets entendus en ces régions, si proches de la vision de Dieu. Un peu plus tard, elle parla d'un rêve qui l'avait charmée : « J'ai vu un heau palais tout blanc et doré, et dans ce palais une épouse d'une taille prodigieuse, mais si bien proportionnée qu'elle n'en paraissait pas moins pleine de grâce : sa majesté était incompa- rable. — C'était peut-être Laiidem glorlœl — Je ne sais, dit-elle en souriant, je ne l'ai pas vue de face ; mais elle était belle ! elle était belle ! et ce rêve m'a mis dans le cœur une joie de paradis. » Que de fois en avons -nous fait l'application à notre chère petite Sœur : épouse du Christ, grandie par la souffrance, parée d'innocence et de grâce, elle allait être introduite dans les célestes parvis, pour les noces éternelles. Un matin, elle entr'ouvrit les yeux, se pencha en avant comme si elle eût voulu se rendre compte d'un objet aperçu. « Que faites-vous, lui demanda-t-on? — ■ Je vois une palme, dit-elle en faisant un geste comme pour la saisir. — Une palme? — Oui, une belle palme. — Serait-elle pour vous? — Je l'ignore ; mais je ne suis pas égoïste, et j'en veux aussi pour toutes mes sœurs. » Plus tard, elle dit encore, accompagnant sa phrase d'un geste qui donnait à entendre qu'elle se voyait enveloppée de clarté : « C'est plein de lumière ! C'est grand!... C'est... » Elle ne put achever. 262 SŒUll KLISAHKTH DE I.A TUINITÉ L'avant-veille de sa mort, elle retrouva des forces pour exprimer son bonheur : le médecin venait, à sa demande, de lui avouer l'extrême faiblesse de son pouls. « Dans deux jours probablement, je serai au sein de mes Trois; est-ce assez ravissant! Lsetatiis siim in his qiix dicta siint mihi ! C'est la Vierge, cet être tout lumineux, tout pur de la pureté de Dieu, qui me prendra par la main pour m'introduira dans le ciel, ce ciel si éblouissant ! » La chère enfant, sous le flot des consolations de sa foi, ne cherchait pas à les dissimuler en présence du docteur. Comme celui-ci s'étonnait d'une telle joie, elle entreprit de l'expliquer par une comparaison qui l'amena à parler d'une manière touchante du mystère de l'adoption divine : bien des yeux se mouillèrent en l'entendant. Elle s'était épuisée dans ces élans, et rentra définitive- ment dans son cher silence. Pourtant nous l'enten- dîmes encore murmurer d'une voix chantante : « Je vais à la lumière, à l'amour, à la vie!... » Ce furent ses dernières paroles intelligibles. La nuit du 8 au 9 novembre lui fut très pénible, l'asphyxie s'ajoutant à ses autres souffrances. Sur le matin, les douleurs aiguës s'apaisèrent. Calme et silen- cieuse, cette vierge sage et prudente qu'entouraient ses mères et ses sœurs en prière, attendait dans la paix l'arrivée du divin Epoux. La cloche du monastère sonnait le premier Angélus. Invisiblement présente, la Reine du Carmel assistait son enfant bien-aimée; elle attendait (|u'ici-bas tout fût consommé pour l'intro- duire dans les cieux. Penchée sur le côté droit, la lête DU CALVAIRE AU CIEL 263 rejetée en arrière, les yeux maintenant grands ouverts et fixés sur un point un peu élevé au-dessus de nos têtes, Sœur Elisabeth de la Trinité paraissait en extase plutôt qu'en agonie. Son visage avait une expression d'admi- rable beauté; nos regards ne pouvaient s'en détacher, et elle semblait contempler déjà les collines éternelles. En cette attitude radieuse, elle nous quitta sans qu'il nous fût possible de surprendre son dernier soupir : tout était bien fini... Laiidem glorix ne chantait plus sur la terre, nos cœurs la cherchaient dans le grand foyer d'amour, au sein des Trois, où avait-elle dit, « à peine sur le seuil du Paradis, je m'élancerai comme une petite fusée : une louange de gloire ne pouvant avoir d'autre place pour l'éternité ». Et nous étions au matin d'une Dédicace ! Le 2 août 1901 rappelait déjà une de ces solennités (1). Alors, Sœur Elisabeth de la Trinité s'était consacrée à la vie par- faite et à la louange, sur la montagne du Carmel. Le 9 novembre 1905 (Dédicace de la Basilique du Saint- Sauveur), elle montait avec allégresse à la Maison du Seigneur, portant ses gerbes et chantant : gloire à Dieu ! (2) Et le premier office célébré en sa présence, au chœur, eut encore pour objet l'une de ces solennités, celle des Eglises de France, dont la belle liturgie se déroula en face de cette petite Maison de Dieu, qui rayonnait toujours sa gloire divine. (1) La Dédicace de l'église de Notre-Dame des Anges, où le Séraphin d'Assise reçut de Notre-Seigneur l'indulgence dite de la Portioncule, et où, au témoignage de saint Bonaventure, il « commença la vie évangélique qu'il a inspirée à tout son Ordre ». (2; Office de la Dédicace. 2(54 SŒl'il KLISAIÎETH DK LA TRIMTK Que d'allusions touchantes dans ce majestueux office ! Le Seigneur a sanctifié son tabernacle; ma maison est une maison de prière... Sœur Elisabeth de la Trinité n'était-elle pas aussi celle pierre taillée par les coups salutaires et multiples du ciseau, polie par le marteau de l'Ouvrier diiùn (1). Enfin, tous nos coeurs lui disaient à l'envi, emprun- tant la voix même de la sainte Eglise : « 0 épouse, combien est heureux ton partage! dotée de la gloire du Père, inondée de la grâce de l'Epoux, épousée du Christ, ton Roi! (2). » Nous eûmes le bonheur de conserver trois jours sa dépouille virginale ; de l'entourer de nos prières, de notre affectueuse vénération. Les traits profondément altérés de l'angélique enfant révélaient son martyre. Oui, pour son Dieu, elle avait « épuisé toute sa subs- tance », et c'est bien transformée en l'image de Jésus crucifié qu'elle dut passer de ce monde à son Père : son rêve était réalisé. Dès que la nouvelle de son décès se répandit dans la ville, il y eut afiluence au Carmel ; on se pressait pour contempler celle que tous nommaient \a petite sainte, et à laquelle lurent apportés, en grand nombre, chapelets et médailles : chacun tenant à bénédiction de garder d'elle quelque souvenir. Ses obsèques furent un véritable triomphe. Vingt- quatre prêtres formèrent une couronne imposante autour de cette humble enfant qui, dans l'ombre et le silence, s'était immolée pour la sainte Eglise et son sacerdoce béni. (1) Office de la Dédicace. — (2) Ibid. DU CALVAIRE AU CIEL 265 De nombreux amis l'accompagnèrent à sa dernière demeure ; ils n'eurent qu'une voix pour redire les impressions célestes éprouvées en suivant ce cortège, moins de deuil que d'espérance. Pour nous-mêmes, la peine du sacrifice semblait dépassée par la joie sainte d'avoir offert à Dieu un don que nous savions lui être parfaitement agréable : la paix répandue sur notre Carmel n'en était-elle pas le gage en même temps que le reflet de celle où notre bien-aimée Sœur était entrée pour l'éternité ! « Je voudrais me tenir sans cesse comme un petit vase aux sources divines a fin de pouvoir communiquer la vie aux âmes, laissant déborder sur elles les flots de la charité infinie », avait dit un jour Sœur Elisabeth de la Trinité. Plongée dans l'Océan même de la vie éternelle, la sainte enfant peut aujourd'hui contenter pleinement ce désir de son cœur. Nous aimons à la voir enve- lopper les âmes de ce grand silence qui la tient toute recueillie au sein de l'Amour incréé, et remplir ainsi sa céleste mission. En révélant ce qui fut le bonheur et la force de sa vie dans l'exil, notre angélique Sœur continue d'initier à cette science divine de l'intimité avec Celui dont les délices sont d'être avec les enfants des hommes (1) et qui au soir de la Cène laissait tomber de son Cœur ces brûlantes paroles : « Si quelqu'un m'aime, mon Père l'ai- mera : nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre DEMEURE (2). (1) Prov., viH, 31. — (2) Joan., xiv, 23. APPENDICE Seigneur, la pensée de l'homme confessera votre Nom, et les suites de cette pensée vous feront une fête. Ps. LXXV, 10. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORIA (» PREMIER JOUR « Nescivi ! Je n^i plus rien su. » Voilà ce que chante l'Epouse des Cantiques après avoir été introduite dans le cellier intérieur. II me semble que ce doit être aussi le refrain d'une louange de gloire , en ce premier jour de (1) Nous conservons à ces pages leur titre et leurs divisions, rap- pelant toutefois qu'il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une retraite. Sous ce commentaire apparent de la sainte Ecriture, c'est en réalité le secret de sa sainteté que la chère enfant nous livre, son idéal pleinement réalisé au soir de sa vie. Ces notes intimes introduisent jusque dans le Saint des saints de la petite « Maison de Dieu ». Sœur Elisabeth fut vraiment l'âme d'une idée : être à la très Sainte Trinité une louange de gloire. Pour elle, c'était commencer son ciel sur la terre, ainsi qu'elle l'écrit au lendemain de sa pro- fession : « Le ciel dans la foi avec la souffrance et l'immolation pour Celui que j'aime. » Et plus tard : « J'ai trouvé mon ciel sur la terre, puisque le ciel c'est Dieu, et Dieu est en mon âme; le jour où j'ai compris cela, tout s'est illuminé pour moi. . » En cette Retraite, soulevant le voile et contemplant l'attitude des glorifiés sous la vision de l'Essence divine, elle s'écrie : « Il me semble que ce serait donner au cœur de Dieu une joie immense que de s'exercer dans le ciel de son âme à l'occupation incessante des Bienheureux., vivant au sein de la tranquille Trinité, en l'abime intérieur, en la forteresse inexpugnable du saint recueillement dont parle saint Jean de la Croix. » Comme son incomparable Père, plus l'angélique enfant s'élève, plus elle devient pratique. Ayant vu dans la lumière de Dieu sa sainteté infinie, l'œuvre que sa grâce veut opérer en nous, l'union 270 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ roliaile où le Maître la fait pénétrer jusqu'au fond de l'abîme pour lui apprendre à remplir l'office qui sera le sien durant l'éternité et auquel elle doit déjà s'exercer dans le temps, qui est l'éternité commencée, mais toujours en progrés. « Nesciui '(1). » Je ne sais plus rien, je ne veux plus rien, sinon le connaître, Lui, la communion à ses souffrances, la conformité à sa mort (2). « Ceux que Dieu a connus d'avance. Il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son fds (3) », le Crucifié par amour. Quand je serai identifiée avec cet Exemplaire divin, toute passée en Lui, et Lui en moi, je remplirai ma vocation éternelle, celle pour laquelle Dieu m'a élue en Lui, « in principio », celle que je remplirai « in œternum », alors que, plongée au sein de la Trinité, je serai l'inces- sante louange de sa gloire, « in tandem gloriœ ejus (4) ». « Nul na vu le Père, si ce n'est le Fils et ceux auxquels il a plu au Fils de le révéler (5). » On peut ajouter que nul n'a pénétré le mystère du Christ en sa profondeur, si ce n'est la Vierge. Saint Paul parle souvent de ï in- telligence (6) qu'il en a reçue lui-même, et pourtant, comme tous les Saints restent dans l'ombre quand on regarde aux clartés de la Vierge ! Le secret qu'elle gardait sublime que nous pouvons atteindre dès iei-bas, impitoyable pour tout mouvement de nature qui pourrait y faire obstaele, elle pour- suit le nioj jusqu'en ses derniers retranchements. Chaque jour la même pensée est exprimée, appuyée à un texte différent de la sainte Ecriture; le même but est poursuivi, le même moyen donné pour l'atteindre : Nescivi, ne plus rien savoir sinon Lui. Ces pages ne sont-elles pas son Caiiliquc et le prélude du Sanclits éternel ? (1) Cant., VI, 11. - (2) Philipp.. m. 10. - (li) llom., viii, 29. — (4) Kphés., 1, 12. — (5) Joa;i , i. 18, - (6) Kphés.. m, 4. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDExM GLORIA 271 et repassait en son cœur est inénarrable : nulle langue n'a pu le révéler, nulle plume n'a pu le traduire. Cette Mère de grâce va former mon àme afin que sa petite enfant soit une image vivante, saisissante de son premier né (1), le Fils de l'Eternel, celui-là qui fut si parfaitement : louange de la gloire de son Père. DEUXIEME JOUR (( Mon àme est tonjonrs entre mes mains (2). » Voilà ce qui se chantait en l'âme de mon Maître ; et c'est pourquoi, parmi toutes les angoisses, Il demeurait le Calme et le Fort. « Mon àme est toujours entre mes mains^y; qu'est-ce à dire? Sinon cette pleine possession de soi en présence du Pacificiue. Il est un autre chant du Christ que je voudrais répéter incessamment : « Je vous conserverai ma force (3). » Ma Règle me dit : « Votre force sera dans le silence. » Conserver sa force au Seigneur, c'est faire l'unité en tout son être par le silence intérieur; c'est ramasser toutes ses puissances pour les occuper au seul exercice de l'amour ; c'est avoir cet œil simple qui permet à la lumière de Dieu de nous illuminer. Une àme qui discute avec son moi, s'occupe de ses sensibilités, poursuit une pensée inutile, un désir quelconque, cette àme disperse ses forces, elle n'est pas tout ordonnée à Dieu ; sa lyre ne vibre pas à l'unisson ; aussi quand le divin Maître la touche, ne peut-Il en (1) Coloss., I, 15. — (2) Ps. cxviii, 109. — (3) Ps. lviii, 10. 272 SŒUIl ELISABETH DE LA TRINITÉ l'aire sortir des harmonies divines. Il y a encore trop d'humain, c'est une dissonance. L'àme qui se garde quelque chose en son royaume intérieur, dont toutes les puissances ne sont pas « encloses » en Dieu, ne peut être une parfaite louange de gloire ; elle n'est pas en état de chanter sans interruption le canticum magnum, parce que l'unité ne règne pas en elle. Et au lieu de poursuivre sa louange à travers toutes choses, dans la simplicité, elle est sans cesse obligée de réunir les cordes de son instrument un peu perdues de tous côtés. Combien cette belle unité intérieure est nécessaire à l'âme qui veut vivre ici -bas de la vie des Bienheureux, c'est-à-dire des êtres simples, des esprits. N'est-ce pas Ice que le divin Maître voulait insinuer à Madeleine lorsqu'il lui parlait dea ÏUnnm necessariiim (1) ». Comme la grande Sainte l'avait compris ! Eclairée par la lumière de foi, elle avait reconnu son Dieu sous le voile de l'humanité, et dans le silence, dans l'unité de ses puis- sances, elle écoulait (2) la parole qu'il lui disait, et pouvait chanter : « Mon âme est toujours entre mes mains », et encore ce petit mot : « Nesciui ! » Oui, elle ne savait plus rien sinon Lui ; on pouvait faire du bruit, s'agiter autour d'elle : a Nescivi ! )> On pouvait l'accuser : a Nescivi ! » pas plus son honneur que les choses extérieures n'étaient capables de la faire sortir de son sacré silence. Ainsi en est-il de l'àme entrée dans la forteresse du saint rccueilicMnc'iîl ; I'cimI ouNort sous les clartés de la (1) Luc, X, 42. - (12) ll'id., 3<) DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORIiE 273 foi, elle découvre son Dieu présent, vivant en elle, et à son tour. Lui demeure si présente dans la belle simpli- cité, qu'il la garde avec un soin jaloux. Alors peuvent survenir les agitations du dehors, les tempêtes du dedans ; on peut atteindre son point d'honneur, « Nes- ciui! » ; Dieu peut se cacher, lui retirer sa grâce sensible, « NescivU... » Elle s'écrie : « Pour son amour, fai tout perdu (1). » Désormais le divin Maître est libre, libre de s'écouler, de se donner à sa mesure, et l'âme ainsi simpli- fiée, unifiée, devient le trône de l'Immuable, puisque l'unité est le trône de la sainte Trinité. TROISIEME JOUR « Nous avons été prédestinés par un décret de Celui qui fait toutes choses selon le conseil de sa volonté, afin que nous servions à la louange de sa gloire (2). » C'est saint Paul qui nous fait part de cette élection divine, saint Paul qui pénétra si loin le secret caché au cœur de Dieu. Ecoutons-le maintenant nous donner la lumière sur cette vocation à laquelle nous sommes appelés. « Dieu, dit-il, nous a élus en Lui avant la création pour que nous soyons immaculés et saints en sa présence, dans la charité (3). » Si je rapproche ces deux exposés du plan divin, j'en conclus que pour remplir dignement mon office de Laudem glorise, je dois me tenir à travers tout en pré- (1) Philip., III, 8. — (2) Ephés., i, 11-12. - (3) Ibid., 4. i8 274 SŒUR ELISABETH DE LA TRLNITÉ sence de Dieu : plus que cela, l'Apùlre nous dit : « in charilale », c'est-à-dire en Dieu; « Deiis charitas est (1) », et c'est le contact de l'Etre divin qui me rendra « immaculée et sainte » à ses yeux. Je rapporte ceci à la belle vertu de simplicité « qui donne à l'ànie le repos de l'abîme », c'est-à-dire ce repos en Dieu, abîme insondable, prélude du sabbat éternel dont parle saint Paul : « Pour nous qui avons cru, dit-il, nous serons introduits dans ce repos (2). » Les glorifiés ont ce repos de l'abîme parce qu'ils contemplent Dieu dans la simplicité de son Essence. « Ils le connaissent comme ils sont connus (3) de Lui » ; c'est-à-dire par la vision intuitive, et c'est pourquoi « ils sont transformés de clarté en clarté par la puissance de son Esprit, en sa propre image (4) » ; alors ils sont une incessante louange de gloire à l'Etre divin, qui contemple en eux sa propre splendeur. Il me semble que ce serait donner une joie immense au cœur de Dieu que de s'exercer dans- le ciel de son àme à cette occupation des Bienlieureux, et d'adhérer à Lui par cette contemplation simple qui rapproche de l'état d'innocence dans lequel l'homme avait été créé. « A son image et à sa ressen^hlance (5) », tel a été le rêve du Créateur : pouvoir se contempler en sa créature; y voir rayonner toutes ses perfections, toute sa beauté, comme au travers d'un cristal pur et sans tache : n'est-ce pas là une sorte d'extension de sa propre gloire ! (I) I .loan., IV, 1(). - (2) Hébr., iv, 3. — (3) I Cor., xiii. 12. — H) H Cor., 111, 18. - (5) Gcn., i. DERNIERE RETRAITE DE LAUDEM GLORI^E ÀIQ Par la simplicité du regard avec lequel elle fixe son divin Objet, l'àme se trouve séparée de tout ce qui l'entoure, séparée surtout d'elle-même ; dès lors elle resplendit de la science de la clarté de Dieu (1), parce qu'elle permet à l'Etre divin de se refléter en elle. En vérité, cette àme est la louange de gloire de tous ses dons ; elle chante à travers tout et parmi les actes les plus vulgaires le canticum magnum, le canticum nouum, et ce cantique fait tressaillir Dieu jusqu'en ses pro- fondeurs. « Ta lumière, peut-on lui dire, se lèvera dans les ténèbres, et les ténèbres deviendront comme le plein midi: le Seigneur te fera jouir d'un perpétuel repos ; Il inondera ton àme de ses splendeurs. Il fortifiera tes os, tu seras comme un jardin que l'on arrose toujours, comme une fontaine dont les eaux ne tarissent jamais... Je relèverai au-dessus de ce quil y a de plus élevé en ce monde (2). » QUATRIÈME JOUR Hier, saint Paul soulevant un peu le voile me per- mettait de plonger le regard en Vhéritage des saints, dans la lumière (3), afin que je voie quelle est leur occupation et que j'essaie, autant que possible, de conformer ma vie à la leur pour remplir mon office de Laudem gloriœ. Aujourd'hui, saint Jean va m'entr'ouvrir les- portes éternelles (4) pour que je puisse reposer mon àme en (1) II Cor., IV, 6. — (2) Is., Lviii, 10-14 — (3) Coloss., i, 12. - (4) Ps. XXIII, 7. 276 SŒUK ELISABETH DE LA TKINITÉ la sainte Jérusalem, douce lùsion de paix (1)! Et d'abord, me dit-il, « // n'est pas besoin de lumière dans la cité parce que la clarté de Dieu l'illumine et que r Agneau en est le flambeau (2) ». Si je veux que ma cité intérieure ait quelque con- l'ormité et ressemblance avec celle du « Roi des siècles immortel (3) », et qu'elle reçoive la grande illumina- tion de Dieu, il faut que j'éteigne toute autre lumière, et que VAgneau en soit le seul flambeau. Voici la foi, la belle lumière de foi qui m'apparaît ; elle seule doit m'éclairer pour aller au-devant de l'Epoux. Le Psalmiste chante qu' « // se cache dans les ténèbres (4) » ; et d'autre part il semble se contredire par ces paroles : « La lumière l'environne comme d'un vêtement (5). » Ce qui ressort pour moi de cette contra- diction apparente, c'est que je dois me plonger dans la ténèbre sacrée, faisant la nuit et le vide dans toutes mes puissances ; alors je rencontrerai mon Maître, et la lumière qui l'environne comme d'un vêtement m'enve- loppera aussi, car 11 veut que l'épouse soit lumineuse de sa lumière, de sa seule lumière, ayant la clarté de Dieu (6). Il est dit de Moïse qu'il était inébranlable dans sa foi comme s'il avait vu l'Invisible (7); telle doit être l'attitude d'une louange de gloire qui veut poursuivre à travers tout son hymne d'action de grâces : inébranlable dans sa foi comme si elle avait vu l'Invisible ; inébranlable (1) Off. de la Dédicace. - (2) Apoc, xxi, 2:5. — (3) I Tim., i. 17. — (4) Ps. XVII, 13. — (5) Ps. cm, 2. — (6) Apoc, xxi. 11. — (7) Hébr., XXI, 21. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORI^E 277 dans sa foi au trop grand amour. « Nous avons connu la charité de Dieu pour nous, et nous y avons cru (1). » « La foi est la substance des choses que Von doit espérer, et la démonstration de celles que l'on ne voit pas (2). » Qu'importe à l'àme qui s'est recueillie sous la lumière créée en elle par cette parole, de sentir ou de ne pas sentir, d'être dans la nuit ou dans la lumière, de jouir ou de ne pas jouir? Elle éprouve une sorte de honte à faire de la différence entre ces choses, et, se méprisant profondément pour son peu d'amour, elle regarde vite son Maître pour se faire délivrer par Lui ! « Elle Vexalte sur la plus haute cime de la montagne de son cœur », c'est-à-dire au-dessus des douceurs et consolations qui découlent de Lui, car elle a résolu de tout dépasser pour s'unir à Celui qu'elle aime. A cette àme, à cette croyante inébranlable au Dieu charité, peuvent s'adresser ces paroles du Prince des apôtres : « Parce que vous croyez, vous serez remplis d'une joie inébranlable et glorifiés (3). » CINQUIÈME JOUR « Je vis une grande multitude que nul ne pouvait comp- ter.... Ce sont ceux qui viennent de la grande trihulation, et qui ont lavé et blanchi leurs robes dans le sang de r Agneau. Cest pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, et ils le servent nuit et jour dans son temple... et Celui (1) I Joan., IV, Ifi. ~('2) Hébr., xi, 1. — (3) Pctr., i, 8. 278 SCKUR KLISAHKTH DK LA TRINITÉ qui esl assis sur le trône hcthilera en eux. Ils n'auront plus désonudis ni faim ni soif, et le soleil ne tombera pas sur eux, ni (uwune ardeur, parce que V Agneau sera leur Pasteur, et il les conduira aux fontaines des eaux de la vie..., et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux (1). » Tous ces élus qui ont la palme en main et qui sont baignés dans la lumière de Dieu, ont dû aupara- vant passer par la grande trihulation, connaître cette douleur « immense comme la mer (2) » chantée par le Prophète. Avant de contempler à face découverte la gloire du Seigneur, ils ont communié aux anéantisse- ments de son Christ; avant d'être transformés de clarté en clarté en l'Image de l'Etre divin, ils ont été conformes à celle du Verbe incarné, le Crucifié par amour. L'àme qui veut servir Dieu nuit et jour dans son temple, dans ce sanctuaire intérieur dont parle saint Paul quand il dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple (3) », cette âme doit être résolue à com- munier effectivement à la Passion de son Maître ; c'est une rachetée qui doit à son tour racheter d'autres âmes, et pour cela, elle chantera sur sa lyre • « Je me glorifie dans la croix de Jésus-Christ (4)... Avec Jésus-Christ je suis clouée à la Croix (5). » Et encore : « Je complète ce qui manque en ma chair à la Passion du Christ, pour son corps qui est l'Eglise (()). » « La reine s'est tenue à votre droite (7). » Telle est l'attitude de cette àme; elle marche sur la route du Calvaire à la droite de son Roi crucilié, anéanti, humilié, (1) Apoc, VII, 9, U, 15, 10, 17. — (2) Thren., ii, 13. — (3) l Cor., III, 17. — (4) Gai., VI, 14. — (5) Ibid , ii, 19. — (G) Coloss., i, 24. - (7) Ps. xi.iv, 11. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORLE 279 et pourtant toujours si fort, si calme, si plein de majesté, allant à sa Passion pour faire éclater la gloire de sa grâce (1). Il veut associer son épouse à son œuvre de rédemp- tion, et cette voie douleureuse où elle marche lui appa- raît comme la route de la béatitude ; non seulement parce qu'elle y conduit, mais encore parce que le Maître saint lui fait comprendre qu'elle doit dépasser ce qu'il y a d'amer en la souffrance pour y trouver comme Lui son repos. Alors elle peut servir Dieu nuit et jour en son temple : les épreuves du dedans et du dehors ne la font pas sortir de la sainte forteresse où II l'a entérinée; elle n'a plus ni faim ni soif, car malgré son désir consumant de la béatitude, elle trouve son rassasiement en cette nourriture, qui fut celle de son Maître : la volonté du Père. Elle ne sent plus le soleil tomber sur elle; c'est-à-dire, elle ne souffre plus de souffrir, et Y Agneau peut la con- duire aux sources de la vie, où II veut, comme II l'entend, car elle ne regarde pas les sentiers par lesquels elle passe; ses yeux sont fixés sur le Pasteur qui la conduit. Dieu se penchant sur cette àme, sa fille adoptive, si conforme à l'image de son Fils premier-né d'entre toutes les créatures (2), la reconnaît pour une de celles qu'il a prédestinées, appelées, justifiées, et II tressaille en ses entrailles de Père, pensant à consommer son œuvre, c'est-à-dire à la glorifier en la transférant dans son royaume pour y chanter, dans les siècles sans fin, la louange de sa gloire. (1) Eph., I, 6. — (2; Coloss., I, 15. 280 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ SIXIHMH JOUR « Et je ois, et voilà l'Agneau delyont sur la montagne de Sion, et avec Lui cent quarante-quatre mille qui avaient son nom et le nom de son Père écrits sur leurs fronts; et j'entendis une voix du ciel comme la voix des grandes eaux, et comme la voix d'un grand tonnerre : et la voix que j'entendis était comme de plusieurs joueurs de harpe, et ils chantaient comme un cantique nouveau devant le trône... et nul ne pouvait dire le cantique, sinon ces cent quarante-quatre mille..., car ils sont vierges. Ceux-là suivent l'Agneau partout où il va (1). » Il est des êtres qui, dès ici-bas, font partie de cette génération pure comme la lumière ; ils portent déjà sur leurs fronts le nom de l'Agneau et celui de son Père. Le nom de l'Agneau, par la ressemblance et conformité avec Celui que saint Jean appelle « le Fidèle, le Véri- table », et qu'il nous montre vêtu d'une robe teinte de sang ; ces êtres-là sont aussi les fidèles, les vrais, et leur robe est teinte du sang de leur immolation conti- nuelle. Le nom de son Père parce qu'il rayonne en eux la beauté de ses perfections, tous ses attributs divins se reflétant dans ces âmes ; et ils sont comme autant de cordes qui vibrent et cbantent le Cantique nouveau. Ils suivent aussi V Agneau partout où II va : non seule- ment dans les routes larges et faciles à parcourir; mais dans les sentiers épineux, parmi les ronces du chemin; c'est que ceux-là sont vierges, c'est-à-dire libres, séparés, dépouillés... « Libres de tout, sauf de leur (1) Apoc, XIV, 1, 2, '^, I. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORI^E 281 amour » ; séparés de tout, et surtout d'eux-mêmes ; dépouillés de toutes choses, aussi bien dans l'ordre surnaturel que dans Tordre naturel. Quelle sortie de soi cela suppose ! Quelle mort ! Disons le mot de saint Paul : Qiiotidie morior (1)! » Le grand Saint écrivait aux Colossiens : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ (2). » Voilà la condition : il faut être morts; sans cela on peut être caché en Dieu à certaines heures, mais on ne vit pas habituellement en cet Etre divin, parce que toutes les sensibilités, les recherches personnelles et le reste viennent en faire sortir. L'àme qui regarde son Maitre de cet œil simple qui rend tout le corps lumineux est gardée « du fond d'ini- quité (3) » qui est en elle. Le Seigneur l'a fait entrer dans ce « lieu spacieux (4) » qui n'est autre que Lui- même ; là tout est pur, tout est saint. O bienheureuse mort en Dieu ! O suave et douce perte de soi en l'Etre aimé qui permet à la créature de s'écrier : « .Fai été crucifié avec le Christ, et si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. Ce que je vis maintenant dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré Lui-même pour moi (5). » SEPTIÈME JOUR « Cœli enarrant gloriam Dei (6). » Voilà ce que racontent les cieux : la gloire de Dieu. (1) I Cor., XV, 31.— (2)Coloss., m, 3 — (3) Ps. xvii, 26. — (4)/&id., 22. — (5) Gai., II, 19, 20. — (6) Ps. xi.x, 1, d'Eyragues. 282 SŒVn ÉLISAHKTH DK LA THINITÉ Puisque mon àme est un ciel où je vis en attendant la .lérusalem céleste, il faut que ce ciel chante aussi la gloire de l'Eternel, rien (jue la gloire de l'Eternel. « Le jour Iransinct an jour ce message (1). » Toutes les lumières, toutes les communications de Dieu à mon àme sont ce jour qui transmet le message de sa gloire an jour. « Le décret du Seigneur est pur, chante le Psalmiste, il illumine le regard (2), » Par conséquent, ma fidélité à correspondre à chacun de ses décrets, à chacune de ses ordonnances inté- rieures, me fait vivre dans la lumière; elle aussi est ce message qui transmet sa gloire. Mais voici la douce merveille : « Seigneur, qui te regarde resplendit (3). » L'âme qui, })ar la profondeur de son regard intérieur, contemple Dieu dans la sim- plicité qui le sépare de toute autre chose, cette àme est resplendissante : elle est un jour qui transmet au jour le message de sa gloire. « La nuit l'annonce à la nuit (4). » Voilà qui est bien consolant ; mes impuissances, mes dégoûts, mes obscurités, mes fautes elles-mêmes racontent la gloire de l'Eternel. Mes souffrances d'âme ou de corps racontent aussi la gloire de Dieu. c( Que rendrai-je au Seigneur pour tous les bienfaits que j'ai reçus de Lui ? — Je prendrai le calice du scdut (5). » Si je le prends ce calice empourpré du sang de mon Maître, et (|ue, dans l'action de grâces toute joyeuse, je mêle mon sang à celui de la sainte Victime f[ui le fait parlicii)er à son infini, il peut rendre au (1) l)'ICyra},'ues, ps. .\ix, 2. — (2) Ihid., 9. — (3) /(/., ps. xxxiv, 0. -(I) /(/., ps. XIX, 3. — (.')) Ps. c.xv. :î. 4. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORLE 283 Père une gloire superbe ; alors ma souffrance est un message qui transmet la gloire de l'Eternel. Là (dans l'àme qui raconte sa gloire), Il a placé nue tente pour le soleil. Le Soleil, c'est le Verbe, c'est l'Epoux. S'il trouve mon àme vide de tout ce qui ne rentre pas en ces deux mots : son amour, sa gloire, Il la choisit pour être sa chambre nuptiale ; U s'y élance comme un géant qui se précipite triomphant dans sa carrière, et je ne puis me dérober à sa chaleur (1). C'est ce feu consumant (2) qui opérera la bienheureuse trans- formation dont parle saint Jean de la Croix : « Cha- cun, dit-il, semble être l'autre, et tous deux ne sont qu'un » pour être louange de gloire du Père. HUITIÈME JOUR « Ils n'ont de repos ni jour, ni nuit, disant : Saint, Saint, Saint est le Seigneur tout-puissant qui était, qui est, qui sera dans les siècles des siècles... Et ils se pros- ternent et ils adorent, et ils jettent leurs couronnes devant le trône disant : Vous êtes digne. Seigneur, de recevoir la gloire, et V honneur, et la puissance (3)... » Comment imiter dans le ciel de mon àme cette occu- pation incessante des Bienheureux dans le ciel de la gloire ? — Comment poursuivre cette louange, cette adoration ininterrompues? — Saint Paul me donne une lumière là-dessus lorsqu'il écrit aux siens : « Que le Père (1) Ps. XIX, 6, 7, d'Eyragues. — (2) Hébr., xii, 29. — (3) Apoc, iv, 8, 10, 11. 284 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ VOUS fortifie en puissance par son esprit, quant à l'homme intérieur, en sorte que Jésus-Christ habite par la foi en vos cœurs et que vous soyez enracinés et fondés en l'amour (1). » Etre enraciné et fondé en l'amour, telle est, me semble-t-il, la condition pour remplir dignement son office de Laudem gloriœ. L'âme qui pénètre et demeure dans les profondeurs de Dieu (2), qui fait par conséquent tout : « Par Lui, avec Lui, en Lui », avec cette limpidité du regard qui lui donne une certaine ressemblance avec l'Etre simple, cette âme, par chacune de ses aspirations, par chacun de ses mouvements, de ses actes, quelque ordinaires qu'ils soient, s'enracine plus profondément en Celui qu'elle aime ; tout en elle rend hommage au Dieu trois fois saint ; elle est, pour ainsi dire, un Sanctus perpé- tuel, une louange de gloire incessante ! « Ils se prosternent, ils adorent, ils jettent leurs cou- ronnes. y> Et d'abord, l'àme doit se prosterner, se plonger dans l'abîme de son néant ; s'y enfoncer tellement que, selon la ravissante expression d'un mystique, elle trouve « la paix véritable, invincible et parfaite que rien ne trouble, car elle s'est précipitée si bas que personne n'ira la chercher là ». Alors elle pourra adorer. L'adoration, ah ! c'est un mot du ciel ; il me semble qu'on peut le définir : l'extase de l'amour ; c'est l'amour écrasé par la beauté, la force, la grandeur immense de l'objet aimé ; il tombe dans une sorte de défaillance. (1) Ephés 16, 17. — (2) I Cor., ii. 10. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORIA 285 dans un silence plein, profond, ce silence dont parlait David lorsqu'il s'écriait : « Le silence est ta louange (1)... » Oui, c'est la plus belle louange, puisque c'est celle qui se chante éternellement au sein de la tranquille Trinité ; et c'est aussi « le dernier effort de l'âme qui surabonde et ne peut plus dire ». « Adorez le Seigneur car II est saint (2) », est-il dit dans un psaume ; et encore : « On l'adorera toujours à cause de Lui-même (3). » L'ànie qui se recueille sous ces pensées, qui les pénètre avec le sens de Dieu (4), vit dans un ciel anticipé, au-dessus de ce qui passe, au- dessus des nuages, au-dessus d'elle-même !. Elle sait que Celui qu'elle adore possède en Lui tout bonheur et toute gloire, et jetant sa couronne en sa présence comme les Bienheureux, elle se méprise, elle se perd de vue, et trouve sa béatitude en celle de l'Etre adoré, parmi toute souffrance et douleur, car elle s'est quittée, elle est passée en un autre. En cette attitude d'adoration, l'âme ressemble à ces puits dont parle saint Jean de la Croix, qui reçoivent les eaux descen- dant du Liban ; et l'on peut dire en la voyant : « [L'impé- tuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu (5). » NEUVIEME JOUR « Soyez saints parce que je suis saint (6). » Quel est donc Celui qui peut donner un tel commandement? Il (1) Ps. Lxv, 2, d'Eyragues. — (2) M., ps. xcix, 9. — (3) Ps., lxxi, 15. — (4) Rom., XI, 34. — (5) Ps. xlv, 4. — (6) Lévit., xix, 2. . 286 SŒUR ELISABETH DE LA TRLMTÉ a révélé Lui-même son nom, ce nom qui lui est propre, que Lui seul peut posséder. « Je suis, dit-il à Moïse, Celui qui suis (1) », le seul vivant, le principe de tous les êtres. « En lui, nous auons l'être, le mouvement et la vie (2). » « Soyez saints parce que je suis saint », c'est bien, il me semble, la volonté qui s'exprime au jour de la création, alors que Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (3). » C'est toujours le désir du Créateur de s'associer, de s'identifier sa créature. Saint Pierre écrit que « nous avons été faits participants de la nature divine (4) ». Saint Paul recommande que nous « conservions ce commencement de son être (5) » ; et le disciple de l'amour nous dit : « Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, et l'on na pas encore vu ce que nous serons. Nous savons que lorsqu'il se montrera nous serons semblables à Lui, parce que nous le verrons tel qu'il est, et quiconque a cette espérance en Lui se sanctifie comme Lui-même est saint (6). » Etre saint comme Dieu est saint, telle est la mesure des enfants de son amour, le Maître n'a-t-il pas dit : (( Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (7). » Parlant à Abraham, Dieu lui disait : « Marche en ma présence et sois parfait (8). » C'est donc là le moyen pour atteindre à cette perfection (jue notre Père du ciel nous demande. (1) Exod., m, 14. — (2) Act.. xvii, 28. — (3) Gen., i. - (4) II Petr., I, 4 — (5) Hébr , m, 14. — (G) I .loan., ui, 2, 3. — (7) Matth.. v, 48. — (8) Gen., xviii, 1. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORLE 287 Saint Paul, après s'être plongé dans les conseils divins, révèle bien cela à nos âmes, écrivant : « Dieu nous a élus en Lui avant la création, afin que nous soyons immaculés et saints en sa présence, nous ayant, dans son amour, prédestinés ci être ses fds adoptifs (1). » C'est encore à la lumière de ce même Saint que je vais ni'éclairer afin de marcher sans jamais connaître de détours sur celte route magnifique de la présence de Dieu où l'àme chemine « seule cwec le Seul, conduite par la force de sa droite (2), sous la protection de ses ailes, sans craindre les alarmes de la nuit, ni la flèche qui vole au milieu du jour, ni le mal qui se glisse dans les ténèbres ni les assauts du démon du midi (3) ». « Dépouillez-vous du vieil homme selon lequel vous avez vécu dans votre première vie, me dit-il, et revètez-vous de l'homme nouveau, qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté (4). » Voilà le chemin tracé, il ne s'agit que de se dépouiller, pour le parcourir comme Dieu l'entend. Se dépouiller, mourir à soi, se perdre de vue, n'est-ce pas la pensée du Maître, lorsqu'il dit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce soi-même, qu'il porte sa croix et me suive (5). » « Si vous vivez selon la chair, poursuit l'Apôtre, vous mourrez ; mais si vous mortiflez par l'esprit les œuvres de la chair vous vivrez (6). » Voilà la mort que Dieu demande et dont il dit : « La mort a été absorbée dans la victoire (7). 0 mort, dit le Seigneur, je serai ta mort (S)», (1) p:phés , I, 4, 5. — (2) Ps. XIX, 7. — (3) Ps. xc, 4, 5, (>. — (4) Kphés., IV, 22-24. - (5) Matth., xvi, 24. — (6) Rom., viii, 13. — (7) I Cor., XV, 54. - (8) Os , xiii, 14. 288 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ c'est-à-dire : ô âme, ma lille adoptive, regarde-moi et tu te perdras de vue, écoule-toi tout entière en mon Etre, viens mourir en moi pour que je vive en toi !... DIXIEME JOUR « Soyez parfaits comme votre Père céleste est par- fait (1). » Lorsque mon Maître me fait entendre cette parole au fond de l'àme, je comprends qu'il me demande de vivre comme le Père dans un éternel présent, sans avant, sans après, mais tout entière en l'unité de mon être en ce maintenant éternel. Quel est-il ce présent? — David me répond : « On Vadorera toujours à cause de Lui-même. » Voilà le pré- sent éternel dans lequel une Louange de gloire doit être fixée. Mais pour qu'elle soit vraie en cette attitude d'adoratrice, pour qu'elle puisse chanter : « J'éveille l'aurore (2) », il faut qu'elle puisse dire aussi : « Pour son amour, j'ai tout perdu (3) », c'est-à-dire : à cause de Lui, pour l'adorer toujours, je me suis isolée, séparée, dépouillée de moi et de toutes choses, tant à l'égard du naturel que dans l'ordre surnaturel, vis-à-vis des dons de Dieu, car une àme qui n'est pas détruite, délivrée de soi, sera forcément, à certaines heures, banale et natu- relle, ce qui n'est pas digne d'une fille de Dieu, d'une épouse du Christ, d'un temple de l'Esprit Saint. Pour se prémunir contre cette vie naturelle, il faut que l'àme soit tout éveillée en sa foi, avec ce beau (1) Math., V, 48. - (2) Ps. lvi, 11. - (3) Philip., m, 8. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORI^E 289 regard tendu vers le Maître ; alors elle marchera en l'intégrité de son cœur, dans l'intérieur de sa maison (1) ; elle adorera toujours son Dieu à cause de Lui-même et vivra à son image dans cet éternel présent où II vit. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Dieu, dit saint Denys, est le grand Solitaire. Mon Maître me demande d'imiter cette perfection, de lui rendre hommage en étant une grande solitaire. L'Etre divin vit dans une éternelle et immense solitude ; Il n'en sort pas tout en s'intéressant aux besoins de ses créatures : car II ne sort jamais de Lui-même, et cette solitude n'est autre que sa divinité. Pour que rien ne me retire de ce beau silence du dedans, toujours même condition, même isolement, même séparation, même dépouillement. Si mes désirs, mes craintes, mes joies ou mes douleurs, si tous les mouvements provenant de ces quatre passions ne sont pas parfaitement ordonnés à Dieu, je ne serai pas soli- taire, il y aura du bruit en moi ; il faut donc l'apaise- ment, le sommeil des puissances, l'unité de l'être. « Ecoute, ma fille, prête l'oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père, et le Roi sera épris de ta beauté (2). » Cet appel est une invitation au silence : écoute... prête l'oreille... mais pour entendre, il faut oublier la maison de son père, c'est-à-dire tout ce qui tient à la vie naturelle, cette vie dont veut parler l'Apôtre quand il dit : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez (3). » Oublier son peuple, c'est plus difficile, car ce peuple, (1) Ps. c, 3. — (2) Ps. XLiv, 12. —(3) Rom., viii, 13. d9 290 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ c'est tout ce monde qui lait pour ainsi dire partie de nous-mêmes : c'est la sensibilité, les souvenirs, les impressions, etc., le moi en un mot; il faut l'oublier, le quitter ; et quand l'âme a lait cette rupture, quand elle est libre de tout cela, le Roi est épris de sa beauté, car la beauté, c'est Viinité; du moins c'est celle de Dieu... ONZIÈME JOUR « Le Seigneur m'a fait entrer dans un lieu spacieux... ^ Il a eu de la bonne volonté pour moi (1). » Le Créateur voyant le silence qui règne en sa créa- ture, la considérant toute recueillie en sa solitude inté- rieure, est épris de sa beauté. Il la fait passer en celle solitude immense, infinie, en ce lieu spacieux chanté par le Psalmiste, et qui n'est autre que Lui-même : « J'entrerai dans les profondeurs de la puissance de Dieu (2).)) Le Seigneur a dit par son Prophète : « Je la con- duirai dans la solitude et je lui parlerai au cœur (3)... » La voici cette âme entrée en cette vaste solitude où Dieu va se faire entendre. « La parole divine est vivante et efficace, et plus pénétrante qu'un glaive à deux tran- chants ; elle atteint jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, jusque dans les jointures et dans les moelles (4). » C'est donc elle directement qui achèvera le travail du dépouillement dans l'àme, car elle a ceci de propre et de (1) Ps. XVII, 22. — (2) Ps. Lxx, 17. — (3) Os., ii, U. - (4) Hébr., iv. 12. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEiM GLORIA 291 particulier qu'elle opère et crée ce qu'elle fait entendre, pourvu toutefois que l'àme consente à se laisser faire. Mais ce n'est pas tout d'entendre cette parole, il faut la garder, et c'est en la gardant que l'on est sanctifié dans la vérité, selon le désir du Maître divin : « Sancti- fiez-les dans la vérité, votre parole est vérité (1). » A celui qui garde sa parole, n'a-t-il pas fait cette promesse : « Mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure (2). » Toute la Trinité habite dans l'âme qui l'aime en vérité, c'est-à-dire en gardant sa parole. Et lorsque cette âme a compris sa richesse, les joies naturelles ou surnatu- relles qu'elle peut ressentir ne font que l'inviter à ren- trer en elle-même pour jouir du bien substantiel qu'elle possède et qui n'est autre que Dieu ; elle a ainsi, dit saint Jean de la Croix, une certaine ressemblance avec l'Etre divin. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Saint Paul me dit qu'il opère toutes choses selon le conseil de sa volonté (3), et mon Maître me demande encore de lui rendre hommage en cela, « faire toutes choses selon le conseil de ma volonté », ne jamais me laisser gou- verner par les impressions, par les premiers mouve- ments de la nature, mais me posséder par la volonté ; et pour que cette volonté soit libre, il faut l'enclore en celle de Dieu; alors je serai mue par son esprit (4); je ne ferai que du divin, que de l'éternel, et à l'image de (1) Joann., xvii, 17. — (2) IbiiL, xiv, 23. — (3) Ephés., i, 11. (4) Rom., viii, 14. 292 SŒUR ÉLISAHETH DE LA TRINITÉ mon Immuable, je vivrai dès ici-bas dans un éternel présent. DOUZIÈME JOUR « Verbuni caro factiim est, et habitavit in nobis (1). » Dieu avait dit : « Soyez saints parce que je suis saint » : mais II restait caché et inaccessible, la créature avait besoin qu'il descendît jusqu'à elle, qu'il vécût de sa vie, afin qu'en mettant ses pas dans la trace des siens, elle pût ainsi remonter jusqu'à Lui et se faire sainte de sa sainteté. «Je me sanctifie pour eux, afin qu'eux aussi soient sanctifiés dans la vérité (2). » Me voici en présence du secret caché aux siècles et aux générations, du mystère qui est le Christ ; pour nous, dit saint Paul, « l'espé- rance de la gloire (3) », et il ajoute que l'intelligence de ce mystère lui a été donnée. C'est donc près du grand Apôtre que je vais m'instruire afin de posséder cette science qui dépasse toute science : la science de la charité du Christ-Jésus (4). Et d'abord, il me dit qu' « Il est ma paix », que par Lui, a j'ai accès près du Père (5), car il a plu à ce Père des lumières que toute plénitude habitât en Lui; et de réconcilier tout en Lui-même, pacifiant par le sang de sa croix ce qui est, soit sur la terre, soit dans les deux (6). Vous êtes remplis en Lui, poursuit l'Apôtre, ensevelis avec Lui par le baptême, et ressuscites avec Lui, par la foi en (1) Joann , i, 14. — (2) Id., xvii, 19. — (3) Coloss., i. 27. — (4) Ephés., id., m, 19. — (5> Id., ii, 18. — (6) Coloss., i, 19, 20. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORIA 293 l'opération de Dieu... Il vous a fait revivre en Lui, vous pardonnant tous vos péchés, effaçant la cédule du décret de condamnation qui pesait sur vous; Il l'a abolie en l'atta- chant à la croix : et dépouillant les principautés et les puissances, Il les a victorieusement traînées captives, triomphant d'elles en Lui-même (1)... pour vous rendre saints, purs, irréprochables devant Lui (2). » Voilà l'œuvre du Christ en face de toute âme de bonne volonté, et c'est le travail que son immense, son trop grand amour le presse de faire en moi. Il veut être ma paix, afin que rien ne puisse me dis- traire ou me faire sortir de la forteresse inexpugnable du saint recueillement ; c'est là qu'il me donnera accès auprès du Père et me gardera immobile et paisible en sa présence, comme si déjà mon âme était dans l'éternité. C'est par le sang de sa croix qu'il pacifiera tout en mon petit ciel pour qu'il soit vraiment le repos de la Trinité Sainte... Il me remplira de Lui, Il m'ensevelira en Lui. Il me fera vivre avec Lui de sa vie : « Mihi vivere Christus est (3). » Et si à tout instant je tombe, dans une foi confiante je me ferai relever par Lui, et je sais qu'il me pardonnera, qu'il effacera tout avec un soin jaloux ; plus que cela : Il me dépouillera, me délivrera de mes misères, de tout ce qui fait obstacle à l'action divine ; Il entraînera mes puissances et les fera ses captives, triomphant d'elles en Lui-même. Alors je serai toute passée en Lui et pourrai dire : « Je ne vis plus, c'est Jésus-Christ qui vit en (1) Coloss., II, 10, 12, U, 14, 15. — (2> Ibid., i, 22. — (3) Philipp , I, 21. 294 SCKUU ELISABETH DE LA TRINITÉ moi(l))>, et je serai (.(sainte, pure, irrépréhensible ï) aux yeux du Père. TREIZIÈME JOUR « Instanrare omnia in Cliristo (2). » C'est encore saint Paul qui m'instruit; saint Paul, qui vient de se plonger dans le grand conseil de Dieu, me dit qu' « // a résolu en soi-même de restaurer toutes choses dans le Christ ». Pour que je réalise pleinement ce plan divin, l'Apôtre vient encore à mon aide et va lui-même me tracer un règlement de vie : « Marchez en Jésus-Christ, enracinés en Lui, édifiés sur Lui, affermis dans la foi..., et croissant de plus en plus en Lui par l'action de grâces (3). » « Marcher en Jésus-Christ », il me semble que c'est sortir de soi, se perdre de vue, se quitter pour entrer plus profondément en Lui à chaque minute; si profon- dément que l'on y soit enraciné, et qu'à tout événement, on puisse lancer ce beau défi : « Qui me séparera de la charité de Jésus-Christ (4) ? » Quand l'àme est fixée eii Lui à de telles profondeurs que ses racines y sont plongées, la sève divine s'épanche à flots sur elle ; et tout ce qui est vie banale, imparfaite, naturelle, est détruit : « Ce qui est mortel est absorbé par la vie. » Ainsi dépouillée de soi et revêtue de Jésus-Christ, l'àme n'a plus à craindre les contacts du dehors ni les difficultés du dedans ; ces choses, loin de lui être un obstacle, ne font que l'enraciner plus profondément en (1) Gai., II, 20. — (2) liphcs., i, 10. - (3) Coloss., ii, (i. 7. (4) Rom., VIII, 35. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORLE 295 l'amour de son Maître ; à travers tout, envers et contre tout, elle est en état de « l'adorer toujours à cause de Lui-même », parce qu'elle est libre, délivrée de soi et de tout. Elle peut chanter avec le Psalmiste : « Qu'une armée m'assiège, je ne crains pas ; quun combat surgisse, j'espère malgré tout, car le Seigneur me cache dans le secret de sa tente (1) », c'est-à-dire en Lui. Voilà, me semble-t-il, ce que saint Paul entend par ces paroles : « Soyez enracinés en Jésus-Christ. » Et maintenant, qu'est-ce qu'être édifié sur Lui? — Le prophète chante encore : « // m'a élevé sur un roc, alors ma tète se dresse au-dessus des ennemis qui m'en- tourent (2). » N'est-ce pas la figure de l'ànie édifiée sur Jésus- Christ. Il est ce rocher où elle est élevée au-dessus d'elle-même, des sens, de la nature ; au-dessus des consolations ou des douleurs, au-dessus de ce qui n'est par uniquement L«f/ Et là, en sa pleine possession, elle se domine, elle se dépasse elle-même et dépasse aussi toutes choses. Saint Paul me recommande aussi « d'être affermie dans la foi » ; en cette foi qui ne permet jamais à l'âme de sommeiller, mais la tient toute en éveil sous le regard du Maître, toute recueillie sous sa parole créa- trice ; en cette foi au trop grand amour, qui permet à Dieu de combler l'àme selon sa plénitude. Enfin il veut que je croisse en Jésus-Christ par l'action de grâces ; car c'est en elle que tout doit s'achever. « Père, je vous rends grâces (3) » ; voilà ce qui se chantait en l'àme du (Christ, et II veut en entendre l'écho en la (1) Ps. xxvii, ;5, .'), d'Eyragues. —(2) Jbid., 5, G. - (3) Joan., xi, 41. 296 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ mienne. Mais il me semble que le cantique nouveau qui peut le mieux charmer et captiver mon Dieu, c'est celui d'une âme dépouillée, délivrée d'elle-même, en laquelle Il peut refléter tout ce qu'il est et faire tout ce qu'il veut. Cette âme se tient sous sa touche semblable à une lyre, et tous ses dons sont comme autant de cordes qui vibrent pour chanter jour et nuit la louange de sa gloire. QUATORZIÈME JOUR « J'estime que tout est perte depuis que je sais ce qu'a de transcendant la connaissance du Christ-Jésus mon Seigneur. Pour son amour j'ai tout perdu..., afin de gagner le Christ, afin d'être trouvé en Lui, non pas avec ma propre justice, mais avec la justice qui est de Dieu par la foi. Ce que je veux, c'est le connaître Lui, la commu- nion à ses souffrances, et la conformité à sa mort... » Je poursuis ma course, tâchant d'atteindre là où le Christ m'a destiné en me prenant: tout mon souci est d'oublier ce qui est en arrière, de tendre constamment vers ce qui est en avant. Je cours droit au but, au pri.v de la vocation céleste à laquelle Dieu m'a appelé dans le Christ- Jésus (1). » Cette vocation, l'Apôtre en a souvent révélé la gran- deur : « Dieu, dit-il, nous a élus en Lui, avant la créa- tion, pour que nous soyons immaculés et saints en sa (1) Philipp.. III, 8. 9. 10, 12. V^, 14. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORI^E 297 présence dans l'amour (1). Nous avons été prédestinés par un décret de Celui qui opère toutes choses selon le conseil de sa volonté, afin que nous soyons la louange de sa gloire (2)... » Mais comment répondre à la dignité de cette voca- tion? Voici le secret : « Mihi vivere Christus est (3)... Vivo enim, jam non ego, vivit vero in me Christus (4). » Il faut être transformé en Jésus-Christ, donc il importe que j'étudie ce divin modèle, afin de m'identifier si bien avec Lui que je puisse sans cesse l'exprimer aux yeux du Père. Et d'abord, que dit-Il entrant dans le monde? «Me voici, je viens, ô Dieu, pour faire votre volonté (5). » Le divin Maître fut vrai en sa première oblation ; sa vie n'en fut pour ainsi dire que la conséquence. « Ma nourriture, aimait-Il à dire, est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé (6). » Ce doit être aussi celle de l'épouse, en même temps que le glaive qui l'immole. « S'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi ; mais non pas comme je veux. Père, comme vous voulez (7). » Et alors dans la paix joyeuse elle s'en va à toute immo- lation avec son Maître ; se réjouissant d'avoir été connue par le Père, puisqu'il la crucifie avec son Fils. Ne le quittant jamais, prenant son contact si forte- ment, elle pourra rayonner cette vertu secrète qui délivre et sauve les âmes. Dépouillée, atfranchie d'elle- même et de tout, elle suivra le Maître sur la montagne, (1) Ephés., I, 4. — (2) Ibid., 11, 12. — (3) Pliilipp., i, 21. — (4) Gai., II, 20. — (5) Hébr., x, 9. — (6) Joan., iv, 34. — (7) Marc, XIV, 36. 298 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ pour y faire avec Lui, en son àme, une oraison de Dieu (1). Puis toujours, par le divin Adorant, elle « offrira sans cesse à Dieu une hostie de louange, c est-à-dire le fruit des lèvres qui rendent gloire à son nom (2). » Et « elle le louera dans l'expansion de sa puissance, selon l'immen- sité de sa grandeur (3) ». A l'heure de l'humiliation, de l'anéantissement, elle se rappelera ce petit mot : « Jésus autem tacebat (4) » et se taira, conservant toute sa force au Seigneur, cette force que l'on puise dans le silence. Quand viendra l'ahandon, le délaissement, l'angoisse, qui firent jeter au Christ ce grand cri : « Pourquoi m'avez-vous abandonné ? (5) »; elle se souviendra de cette prière : « Qu'ils aient en eux la plénitude de ma joie. » Et buvant jusqu'à la lie « le calice préparé par le Père (6) », elle saura trouver dans son amertume une suavité divine. Enfin, après avoir dit bien souvent : « J'ai soif (7) », soif de vous posséder dans la gloire, elle expirera en disant : « Tout est consommé (8)..., je remets mon àme entre vos mains (9). » Et le Père viendra la prendre pour la transférer en son héritage, où « dans la lumière, elle verra sa lumière (10) ». Sachez, chantait David, que Dieu « a merveilleusement glorifié son Saint (W).» Oui, le Saint de Dieu aura été glorifié en cette àme, parce qu'il y aura tout détruit pour la revêtir de Lui-même et (1) Luc, VI, 12. - (2) Hébr., xiii, 15 - (3) Ps. cxi.iv, 4. — (4) Marc, xv. 5. — (5) Ibid., 34 — (6) Joan., xviii, 11. — (7) Ibid., XIX. 28. — (8) Ibid., 30. — (9) Luc, xxiii, 4(5. - (10) Ps. xx.w, 10 - (11) l's. IV. 4. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORIiE 299 qu'elle aura conformé sa vie à la parole du Précurseur : « // faut qu'il croisse et que je diminue (1). » QUINZIEME JOUR (2) Après Jésus-Ghrisl, sans doute à la distance qu'il y a de l'infini au fini, il est une créature qui fut aussi la grande louange de gloire de la Sainte Trinité ; elle répondit pleinement à l'élection divine dont parle l'Apôtre : elle fut toujours pure, immaculée, irrépréhen- sible aux yeux du Dieu trois fois saint. Son âme est si simple, les mouvements en sont si profonds que l'on ne peut les surprendre ; elle semble reproduire sur la terre cette vie qui est celle de l'Etre divin, l'Etre simple. Aussi, elle est si transparente, si lumineuse, qu'on la prendrait pour la lumière. Pour- tant, elle n'est que le « miroir du soleil de justice » (Spseculum justitiœ). « La Vierge conservait ces choses en son cœur. » Toute son histoire peut se résumer en ces quelques mots ; c'est en son cœur qu'elle vécut, et en une telle profon- deur que le regard humain ne peut la suivre. Quand je lis en l'Evangile que Marie parcourut en toute diligence les montagnes de Judée pour aller rem- plir son office de charité près de sa cousine Elisabeth, je la vois passer si belle, si calme, si majestueuse, si (1) Joan., m, 30. — (2) Bien que nous ayons donné en divers endroits des extraits de cette pieuse élévation sur la sainte Vierge, nous la reproduisons intégralement au XV'' jour que Sœur Elisabeth lui avait consacré dans cette petite retraite. 300 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ recueillie au dedans, avec le Verbe de Dieu ! Comme Lui, sa prière fut toujours celle-ci : Ecce! Me voici! — Qui ? — La servante du Seigneur, la dernière de ses créatures, elle, sa Mère! Elle fut si vraie en son humilité ! C'est qu'elle fut toujours oublieuse, ignorante, délivrée d'elle-même ; aussi pouvait-elle chanter : « Le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses ; désormais les générations m'appelleront bienheureuse. » Cette Reine des vierges est aussi Reine des martjTS ; mais c'est en son cœur que le glaive la transperça, car chez elle tout se passe au dedans ! Oh ! qu'elle est belle à contempler durant son long martyre ! enveloppée dans une sorte de majesté qui respire à la fois la force et la douceur; c'est qu'elle avait appris du Verbe lui-même comment doivent souffrir ceux que le Père a choisis comme victimes ; ceux qu'il a résolu d'associer au grand œuvre de la rédemption ; ceux qu'il a connus et prédestinés pour être conformes à son Christ, crucifié par amour. Elle est là, au pied de la croix, debout dans la force et la vaillance ; et voici mon Maître qui me dit : Ecce mater tua. Il me la donne pour Mère ! Et maintenant qu'il est retourné au Père, qu'il m'a substituée à sa place sur la croix, afin que je souffre en moi ce qui manque à sa Passion pour son corps qui est FEqlise, la Vierge est encore là pour m'apprendre à souffrir comme Lui ; pour me faire entendre les derniers chants de son âme, que nul autre qu'elle, sa Mère, n'a pu surprendre. Quand j'aurai dit mon consummatum est, c'est encore DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORLE 301 elle, Janua cœli, qui m'introduira dans les parvis éter- nels, me disant tout bas la mystérieuse parole : Lxtatus sum in his qiiae dicta sunt mihi, in domum Domini ibimus !... SEIZIÈME JOUR « Comme le cerf altéré soupire après la source d'eau vive, ainsi mon âme soupire après vous, ô Dieu! Mon âme a soif du Dieu vivant, quand irai-je et paraîtrai-je devant sa face (1)? » Et pourtant, comme « le passereau qui a trouvé un lieu pour se retirer; et la tourterelle un nid pour y placer ses petits (2) », ainsi, en attendant d'être transférée en la sainte Jérusalem : « Beata pacis visio (3) », Laudem glorise a-t-elle trouvé sa retraite, sa béatitude, son ciel anticipé, où elle commence sa vie d'éternité. « En Dieu mon âme est silencieuse, cest de Lui que j'attends ma délivrance. Oui, Il est le rocher où je trouve le salut, ma citadelle, et je ne serai pas ébranlé (4). » Voilà le mystère que chante aujourd'hui ma lyre. Comme à Zachée, mon divin Maître m'a dit : « Hâte-toi de descendre, car il faut que je loge chez toi (5). » Hâte- toi de descendre, mais où ? — Au plus profond de moi- même, après m'être quittée moi-même, séparée de moi- même, dépouillée de moi-même; en un mot sans moi- même. (1) Ps. XLi, 1, 2. — (2) Ps. Lxxxm, 3. —(3) Hymne de la Dédicace. - (4) Ps. LXii, 2, 3, d'Eyragues. — (5) Luc, xix, 5. 302 SŒUR ÉLISABKTH DE LA TRINITÉ « // faut que je loge chez toi. » C'est mon Maître qui m'exprime ce désir, mon Maître qui veut habiter en moi avec le Père et son Esprit d'amour pour que j'aie société (1) avec eux. « Vous nètes plus des hôtes ou des étrangers, mais vous êtes déjà de la maison de Dieu (2) », dit saint Paul. Voici comment j'entends être de la maison de Dieu : c'est en vivant au sein de la tranquille Trinité, en mon abîme intérieur, en cette forteresse inexpugnable du saint recueillement, dont parle saint Jean de la Croix. « Mon âme tombe en défaillance en entrant dans les parvis du Seigneur (3). » Telle doit être l'attitude de toute âme qui rentre en ses parvis intérieurs pour y contempler son Dieu, y prendre fortement son contact. Elle tombe en défail- lance, dans un divin évanouissement, en face de cet amour tout-puissant, de cette majesté infinie qui demeure en elle. Ce n'est point la vie qui l'abandonne; mais c'est elle-même qui méprise cette vie naturelle et s'en retire, car elle sent qu'elle n'est pas digne de son essence si riche, et elle s'en va mourir et s'écouler en son Dieu. Oh ! qu'elle est belle cette créature ainsi dépouillée, délivrée ! Elle est en état de « disposer des ascensions en son cœur, pour passer de la vallée des larmes (c'est-à-dire de tout ce qui est moindre que Dieu), vers le lieu qui est son but (4) », ce lieu spacieux, qui est l'insondable Trinité : « Immensus Pater, immensus Filius, immensus Spiritus Sanctus (5). » (1) I .loan., I. 3. —(2) Ephés., ii, 19. — (3) l's. lxxxiii, 1. — (4)/6id.,6. - (5) Symb. de saint Athaaase, 9. DERNIÈRE RETRAITE DE LAUDEM GLORI.Î-: 303 Elle monte, elle s'élève au-dessus des sens, de la nature ; elle se dépasse elle-même ; elle surpasse toute joie comme toute douleur, et passe à travers les nuages pour ne se reposer que lorsqu'elle aura pénétré en Vin- térieur de Celui qu'elle aime et qui lui donnera lui-même le repos de l'abime. Et tout cela, sans être sortie de la sainte forteresse; le divin Maitre lui a dit : « Hâte-toi de descendre. » C'est encore sans sortir de là qu'elle vivra à l'image de la Trinité immuable en un éternel présent, l'adorant toujours à cause d'Elle-même, et devenant par un regard toujours plus simple, plus unitif, « la splendeur de sa gloire (1) », autrement dit : l'incessante louange de gloire de ses perfections adorables. a) Hébr., 1, 3. PIEUSE ÉLÉVATION de Sœur Elisabeth de la Trinité (^ O mon Dieu, Trinité que j'adore, aidez-moi à m'oublier entièrement pour m'établir en Vous, immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l'éternité; que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m'emporte plus loin dans la profondeur de votre Mystère. Pacifiez mon âme ; faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos ; que je ne vous y laisse jamais seul; mais que je sois là tout entière, tout éveillée en ma foi, tout adorante, toute livrée à votre action créatrice. O mon Christ aimé, crucifié par amour, je voudrais être une épouse pour votre cœur; je voudrais vous couvrir de gloire, je voudrais vous aimer... jusqu'à en mourir. Mais je sens mon impuissance, et je vous demande de me revêtir de Vous-même, d'identifier mon âme à tous les mouvements de votre âme, de me submerger, de m'envahir, de vous substi- tuer à moi, afin que ma vie ne soit qu'un rayonnement de votre Vie. Venez en moi comme Adorateur, comme Réparateur et comme Sauveur. O Verbe éternel, parole de mon Dieu, je veux passer ma (1) Celte prière de Sœur Elisabeth de la Trinité a été trouvée sans titre dans ses notes. 20 306 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ vie à vous écouter, je veux me faire tout enseignable afin d apprendre tout de vous; puis à travers toutes les nuits, tous les vides, toutes les impuissances, je veux vous fixer toujours et demeurer sous votre grande lumière; ô mon Astre aimé, fascinez-moi pour que je ne puisse plus sortir de votre rayonnement. O Feu co/îsunion/. Esprit d'amour, survenez en moi afin qu'il se fasse en mon âme comme une Incarnation du Verbe ; que je lui sois une humanité de surcroît, en laquelle II renouvelle tout son mystère ; et vous, ô Père, penchez-vous vers votre pauvre petite créature, ne voyez en elle que le Bien-Aimé en lequel vous avez mis toutes vos complai- sances. O mes « Trois », mon tout, ma béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je me livre à Vous comme une proie, ensevelissez-Vous en moi pour que je m'ensevelisse en Vous, en attendant d'aller contempler en votre lumière l'abîme de vos grandeurs. 21 novembre 1904. LETTRES de Sœur Elisabeth de la Trinité a une amie (1) Lettre I^^, 1901. « Je vois que ma petite N... ne se convertit guère, et je t'assure que cela me fait de la peine. Autrefois je te passais ces colères, mais maintenant tu n'es plus un bébé, et ces scènes sont ridicules. Je sais que tu permets tout à ton Elisabeth, aussi je te dis ce que je pense ; il faut t'y mettre absolument. Tu as ma nature, je sais ce que tu peux faire. Si tu savais comme c'est bon d'aimer Dieu et de Lui donner ce qu'il demande, surtout quand cela coûte, tu n'hésiterais pas depuis si longtemps à m'écouter. Il est certain qu'au début tu ne sentiras que le sacrifice, mais après, tu goûteras une paix délicieuse. Je te voudrais si bonne !... Je vais te dire quelque chose: puisque je ne suis pas là pour recevoir à chaque instant le trop-plein de ton cœur, chaque fois que tu éprou- veras le besoin de me faire une confidence, tu te sauveras (1) « Elisabeth savait être ferme quand il le fallait », nous a dit cette jeune amie. Les lettres suivantes en témoignent, tout en nous faisant connaître les efforts personnels de notre chère petite sœur lorsqu'après sa première confession elle résolut d'être tout à Dieu. iî08 SCEUK ÉLISAHKTH DK LA TKINITÉ dans ta chambre; entre ton crucifix et mon portrait que tu aimes tant, te recueillant un moment, tu penseras que je suis là avec Jésus et ma petite N... Chaque fois que tu te sentiras mal tournée, tu viendras là, c'est entendu, n'est-ce pas ? » Dis merci à Dieu pour moi, je suis trop heureuse ! Tu ne comprends pas cela..., mais si tu savais combien c'est doux de ne plus vivre que de Lui ! Qu'il te l'ap- prenne, je le Lui demande de toute mon àme. » Lettre 11^. 1902. a Oui, je prie pour toi et je te garde en mon àme, tout près du bon Dieu, dans ce petit sanctuaire intime où je Le trouve à chaque heure du jour et de la nuit ; je ne suis jamais seule, mon Christ est toujours là priant en moi, et je prie avec Lui. » Tu me fais de la peine. Je sens bien que tu es malheureuse, et c'est ta faute, je t'assure. Si je pouvais t'apprendre le secret du bonheur comme Dieu me l'a appris ! Tu dis que je n'ai ni soucis ni souffrances ; il est vrai que je suis bien heureuse, mais comme on peut l'être, alors même que l'on est contrarié ! Il faut toujours regarder vers Dieu; au commencement il y a des efforts à faire lorsqu'on sent tout bouillonner en soi, mais tout doucement, à force de patience et avec le secours de la grâce, on en vient à bout. Comme moi, bâtis une petite cellule au dedans de ton àme ; tu penseras que le bon Dieu est là, et tu y entreras de temps en temps; lorsque tu sens tes nerfs, que tu es malheureuse, vite sauve- loi LETTRES 309 là, et confie tout au divin Maître. Si tu le connaissais un peu, la prière ne t'ennuierait plus. » Tu aimais tant à t'asseoir tout près de moi et à me faire tes confidences; c'est comme cela que tu dois aller à Lui, tu ne souffrirais plus si tu le comprenais : c'est le secret de la vie du Carmel. » Je te garde en ma petite cellule intérieure, de ton côté, garde-moi dans la tienne, ainsi nous ne nous quit- terons jamais. » Lettre III«. Avril 1902. « J'ai passé un bien bon Carême. De tout ce que j'ai vu au Carmel, rien n'est plus beau que la Semaine Sainte et le jour de Pâques; je dirai même que c'est unique, je te raconterai cela quand je te verrai. » Que l'on est heureux quand on vit dans l'intimité avec Dieu, quand on fait de sa vie un cœur à cœur, un échange d'amour avec le divin Maître, quand on sait le trouver au fond de son âme; alors on n'est plus jamais seul, et l'on a besoin de solitude afin de jouir de la présence de l'Hôte adoré ! Il faut lui donner sa place dans ta vie, dans ton cœur qu'il a fait si aimant, si passionné. Si tu savais comme II est bon, comme II est tout amour ! » Je lui demande de se révéler à ton âme, d'être l'ami que tu saches toujours trouver; tout s'illuminera, et alors c'est si bon de vivre ! Ce n'est pas un sermon (jue je te fais, c'est le trop-plein de mon âme qui déborde en la tienne pour qu'ensemble nous allions nous perdre en Celui qui nous aime, dit saint Paul, d'un trop grand amour... » 310 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Lettre IV^ 24 juillet 1905. « J'ai toujours la grande lettre que tu m'as écrite avant ton départ ; je l'ai lue et relue, demandant au divin Idéal de captiver et de blesser ce cher petit cœur qu'il cherche, qu'il enveloppe et qui voudrait lui échapper pour vivre en des choses tellement au-dessous de la fin pour laquelle il a été créé et mis au monde ! » Je comprends que tu aies besoin d'un idéal, c'est- à-dire de quelque chose qui fasse sortir de soi pour emporter au delà ; il n'y en a qu'un, c'est Lui, le seul vrai. Si tu le connaissais seulement un peu comme ton Elisabeth!... Il fascine; sous son regard, l'horizon devient vaste, beau, lumineux; je l'aime passionnément, et en Lui j'ai tout. C'est à travers Lui, sous son rayon- nement que je dois regarder chaque chose, aller à tout. Veux-tu t'orienter avec moi vers ce sublime Idéal? Ce n'est pas une fiction, mais une réalité, c'est ma vie au Carmel ; regarde plutôt Madeleine, a-t-elle été cap- tivée! Puisque tu as besoin de vivre au delà, vis en Lui, c'est si simple. Et puis sois aussi la consolation de ta chère maman ; tu ne sais pas ce qu'il y a dans le cœur des mères comme celles que Dieu nous a données; rappelle-toi qu'ici-bas il n'y a rien de meilleur, et je crois que mon Maître ne pouvait me demander plus que de lui donner la mienne. Je te veux soumise, toute dans la paix de Dieu, demeurant en Lui. Moins je le sais sage, plus je m'acharne à ton âme, car le Maître la veut; puis n'es-tu pas ma petite enfant? 11 me semble LETTRES 311 que je réponds un peu pour toi ; ne sois donc pas une conversion trop difficile, laisse-toi prendre dans les filets du Maître, il y fait si bon ! » Lettre V«. Dieu est amour « Quel beau rêve je viens de faire! Pour toi, je n'ai pas de secret, je sens que tu me comprends et je t'avoue qu'il m'en coûte de revenir sur la terre ; le ciel n'aurait fait que rendre la fusion de nos âmes encore plus vraie. Souvent, tu m'as dit que j'étais pour toi comme une petite mère et je sens, en effet, que mon cœur renferme à ton égard des tendresses maternelles ; que serait-ce si j'étais dans le grand foyer d'amour ! Quels jours divins j'ai passés dans l'attente de la grande vision de Dieu ! Il me semblait que l'Aigle divin allait fondre sur moi pour m'emporter en sa clarté éblouissante et tu devines la joie de mon âme à la pensée de ce premier face-à-face avec la Beauté divine. Oh ! si j'étais allée me perdre en Elle, comme j'aurais veillé sur toi ! J'ai tant d'ambition pour ton âme que cela me fait du bien de souffrir pour l'attirer une grâce surabondante ; ta lettre m'a fait un bonheur immense. Je sens que Dieu te travaille et que tu te rapproches de Lui, ce qui m'est une joie ineffable ; c'est si bon d'être sienne ! Dans la solitude de l'infirmerie nous sommes si heureux tous deux ; c'est un cœur à cœur qui dure nuit et jour ; c'est délicieux ! » A Dieu ! Je vais mieux; je pense te revoir ici-bas; en tout cas, au ciel ou sur la terre, nos âmes seront toujours Une. » Avril 1906. 312 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Lettres à M. le chanoine A. Lettre 1^^. Avril 1902. Cher Monsieur le Chanoine, « Comme il fait bon passer un Carême, une Semaine Sainte, un jour de Pâques au Carmel ! C'est quelque chose d'unique. Avec quelle joie j'ai chanté VAlleliiia, enveloppée du blanc manteau, revêtue de ces chères livrées que j'ai tant désirées ! La journée du Jeudi Saint auprès de Lui était bien bonne, je vous assure; j'y aurais passé la nuit tout entière, mais le Maître a voulu que je me repose. Cela ne fait rien, n'est-ce pas ; on le trouve dans le sommeil comme à l'oraison, puisque c'est Lui en tout, partout et toujours. A deux heures du matin, je suis redescendue au chœur; vous devinez mon bonheur. J'aime de plus en plus les chères grilles qui me font sa captive d'amour; c'est si bon de penser que nous sommes prisonniers, enchaînés l'un pour l'autre! Plus que cela, que nous ne sommes qu'une seule victime, offerte au Père pour les âmes, afin qu'elles soient toutes consommées en l'nnité. » Lorsque vous pensez à votre petite Carmélite, remerciez Celui qui lui a fait une part si belle : c'est un ciel anticipé. L'horizon est si beau! C'est Lui!... Oh! (|ue sera-ce là-haut, puisqu'ici-bas déjà il se fait dos unions si intimes? Vous connaissez ma nostalgie LETTRES 313 du ciel, elle ne diminue pas ; mais déjà je vis ce ciel, puisque je le porte en moi ; au Carmel il semble qu'on en est si près. Ne viendrez-vous pas m'y voir un jour, et continuer à travers la grille les entretiens que vous aviez avec votre petite Elisabeth? Vous rappelez-vous ma première confidence dans le cloître de Saint- Hilaire ? J'y ai passé de bons moments avec vous, et je demande à Dieu de vous rendre le bien que vous m'avez fait. Je me souviens encore de ma joie lorsque je pouvais avoir une petite conférence avec vous et vous confier mon grand secret; je n'étais qu'une enfant, et cependant vous n'avez jamais douté de l'appel divin. » Lettre 11^. Août 1903. « Je me rappelle encore nos entretiens pendant les dernières vacances en ces belles montagnes, nos pro- menades du soir au clair de la lune... là-haut près de l'église, c'était si beau dans le silence et le calme de la nuit ! Ne sentiez-vous pas toute mon âme emportée vers Lui ? Et la Messe dans la petite chapelle, cette Messe dite par vous... doux souvenirs que je n'oublierai jamais. Maintenant par l'âme, par le cœur, je vous suis, et je me sens bien près de vous ; je me plais à penser que c'est pour Lui que j'ai tout quitté; c'est si bon de donner quand on aime, et je l'aime tant ce Dieu qui est jaloux de m'avoir toute pour Lui ! Je sens tant d'amour sur mon âme ! C'est comme un océan en lequel je me plonge et me perds ; c'est ma vision sur la terre, en attendant le face-à-face dans la lumière. Il est en 314 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ moi, je suis en Lui, je n'ai qu'à l'aimer, qu'à me laisser aimer, et cela tout le temps; à m'éveiller dans l'amour, me mouvoir dans l'amour, m'endormir dans l'amour, l'âme en son àme, le cœur en son cœur, afin que, par son contact. Il me purifie, me délivre de ma misère. Si vous saviez comme j'en suis pleine! J'aimerais à vous la confier comme autrefois à Saint-Hilaire, puis à me baigner dans le sang de l'Agneau ; ma chère maman me fait presque faire des péchés d'envie ! Au moins à la sainte Messe, voulez-vous mettre mon àme dans le calice et demander à l'Epoux de me faire toute pure, toute vierge, toute une avec Lui. » Lettre 111^. Janvier 1904. Puisque le divin Tout-Petit demeure en mon àme, j'ai toute sa prière, et j'aime la faire descendre sur ceux envers lesquels mon cœur reste toujours profondé- ment reconnaissant ; c'est vous dire que vous avez une large part dans mes pauvres petites prières ! La belle fête de Noël, que j'ai toujours tant aimée, a un cachet tout particulier au Carmel. Au lieu de passer la sainte veille entre maman et Giiitc, c'était dans le grand silence, au chœur, tout près de Lui, et j'aimais à me dire : « Il est mon Tout, mon unique Tout. » Quel bonheur, quelle paix cela met dans l'àme! 11 est le seul, je lui ai tout donné ; si je regarde du côté de la terre, je vois la solitude et même le vide, car je ne puis dire que mon cœur n'ait pas souffert ; mais si mon regard reste toujours fixé sur Lui, mon Astre lumineux, LETTRES 315 oh ! alors tout le reste disparaît, et je me perds en Lui comme la goutte d'eau en l'océan ; c'est tout calme, tout apaisé. Saint Paul parle de cette paix divine lorsqu'il dit quelle dépasse tout sentiment (1). » Dimanche, anniversaire du grand jour de ma pro- fession, je serai en retraite, et je me réjouis de passer la journée auprès de mon Epoux. J'ai faim de Lui ; il creuse des abîmes en mon âme, abîmes que Lui seul peut remplir, et pour cela II m'emmène en des silences profonds dont je ne voudrais plus sortir. A Dieu, Mon- sieur le Chanoine, priez pour moi s'il vous plaît, j'ai tant besoin que vous m'aidiez ! Au saint Sacrifice, à l'autel de Celui que j'aime, souvenez-vous de votre Carmélite, dites au bon Dieu qu'elle veut être son hostie pour qu'il demeure toujours en elle et qu'elle puisse le donner. » Lettre IV^. Janvier 1905. « J'ai bien prié pour vous mon royal Epoux ; je lui ai demandé de vous donner ce qu'il a de meilleur en ses trésors, et n'est-ce pas Lui-même, Jésus, le don de Dieu ? Chaque jour II me fait mieux expérimenter com- bien il est doux d'être à Lui, à Lui seul, et ma vocation de Carmélite me jette dans l'adoration, dans l'action de grâces. Oui, c'est vrai ce que dit saint Paul : a II a trop aimé!)) trop aimé sa petite Elisabeth; mais l'amour appelle l'amour, et je ne demande plus autre chose au bon Dieu, sinon de comprendre cette science de la charité (1) Philipp., IV, 7. 316 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ dont parle saint Paul et dont mon cœur voudrait sonder toute la profondeur ; ce sera pour le ciel, n'est-ce pas? Il me semble qu'on peut déjà le commencer sur la terre, puisque on le possède, Lui, et qu'à travers toutes choses, on peut demeurer en son amour. C'est ce qu'il m'a fait comprendre en ma retraite particulière, que j'ai eu le bonheur de faire au mois d'octobre. Dix jours de silence plein, de solitude absolue ; vous voyez de Carcassonne, l'heureuse ermite s'ensevelissant dans son désert ; heu- reuse oui, je le suis, cela me fait du bien de le dire, surtout à vous, car je sens que vous me gardez votre atTection toute paternelle. » Ah ! si vous saviez comme mon cœur est toujours le même, que dis-je? Il s'agrandit, s'élargit au contact du Dieu tout amour ; c'est en Lui que je demeure toute vôtre, et que je me recueille sous votre chère bénédic- tion. » Lettre V% Février 1905. « Avant de m'ensevelir dans la solitude du désert, notre Révérende Mère me permet de venir vous dire combien votre bonne lettre m'a rendue heureuse. Je savais par maman que vous aviez mal au bras, mais votre chère missive me fait espérer que ce rhumatisme a disparu. » Pauvre maman ! elle voudrait avoir déjà chanté l'Alleluia; le bon Dieu lui tiendra compte de ce long jeûne pour son cœur de mère. Oui, Monsieur le Cha- noine, comme vous me le dites, il y a beaucoup à expier, beaucoup à demander; je crois que pour suffire à tant LETTRES 317 de besoins, il faut devenir une prière vivante et conti- nuelle et aimer beaucoup : elle est si grande la puis- sance d'une àme livrée à l'amour. Madeleine en est un bel exemple, un mot lui suffit pour obtenir la résurrec- tion de Lazare ; nous avons grand besoin que le bon Dieu opère des résurrections dans notre chère France ; j'aime la mettre sous l'effusion du Sang divin. Saint Paul dit que « nous avons en lai la rémission des péchés selon les richesses de la grâce qui a surabondé en nous (1)». Cette pensée me fait tant de bien ! Oh ! que c'est bon d'aller se faire sauver par Lui aux heures où l'on ne sent que sa misère, et j'en suis si pleine! mais le bon Dieu m'a donné une mère, image de sa miséricorde, qui d'un mot sait calmer toute angoisse dans l'àme de sa petite enfant et lui donner des ailes pour s'envoler sous les rayons de l'Astre créateur; aussi je vis dans l'action de grâces, m'unissant à la louange éternelle qui se chante dans le ciel des Saints, je fais mon apprentissage ici-bas... Pendant la sainte Quarantaine priez pour votre enfant, consacrez-la avec la sainte Hostie, afin qu'il ne reste plus rien de la pauvre Elisabeth, mais qu'elle soit toute de la Trinité; alors sa prière pourra devenir toute-puissante, et vous en profiterez puisque vous avez si large part dans ses oraisons; elle ne fait que s'acquitter d'une grande dette de reconnaissance !... Adieu, cher Monsieur le Chanoine, voici la cloche qui m'appelle à Matines, je n'oublierai pas d'y faire mémoire de vous : ce sera la première... » (1) Ephés., I, 7, 8. 318 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Lettre VP. Ascension 1905. « Je sais par ma chère maman que vous venez d'être bien souffrant, aussi ai-je demandé à notre Révérende Mère la permission de vous faire une petite visite. C'est aujourd'hui que le divin Maître retourne à son Père, qui est notre Père, et qu'il va nous préparer une place en son héritage de gloire. Je lui demande de faire captives toutes vos captivités, et de vous remettre bien vite sur pieds ; vous me direz s'il a écouté sa Carmélite. Nous avons ce matin notre dernière récréation, et nous entrons en retraite au Cénacle jusqu'à la Pentecôte. Pendant ces dix jours il me semble que je serai encore plus près de vous, puisque je serai plus en Lui. Saint Paul, dont je cultive les belles Epîtres qui font mon bonheur, dit que « nul ne sait ce qui est en Dieu, sinon l'Esprit de Dieu (1) ». Le programme de ma retraite sera donc de me tenir par la foi et l'amour sous « l'onction du Saint » (2) dont parle saint Jean puisqu'il est le seul qui « pénètre les profondeurs de Dieu (3) ». Oh! priez pour que je ne contriste pas cet Esprit damour, mais que je lui permette d'opérer en mon âme toutes les créations de sa grâce, priez aussi pour ma chère communauté et surtout pour notre Révérende Mère et toutes ses intentions. Je vous demande de m'aider à m'acquitter de ma dette de reconnaissance envers elle, si vous saviez ce qu'elle est pour votre petite enfant. C'est à tout instant qu' u une vertu de (1) I Cor., II, 11. — (2) 1 Joan., ii, 20. — (;5) 1 Cor., ii, 10. LETTRES 319 Dieu » s'écoule de son âme en la mienne. Si le jour de sa fête vous pouviez lui offrir le beau bouquet empourpré du sang de l'Agneau qui lui a fait tant de plaisir l'an dernier, mon bonheur serait grand, je vous assure. Je vous dis merci d'avance, certaine que mon désir sera exaucé si la chose est possible. Comme j'agis simplement avec vous ! mais n'êtes-vous pas le Père de ma petite àme? )) A Dieu, cher Monsieur le Chanoine, bénissez-moi et donnez-moi à l'Esprit d'amour et de lumière. » •«r- Lettres à Madame *** Lettre 1^^. « Il n'est point de bois comme celui de la croix pour allumer dans l'àme le feu de l'amour; et Jésus a besoin d'être aimé, et de trouver dans le monde où II est tant offensé, des âmes données, c'est-à-dire toutes livrées à Lui et à son bon plaisir ! « Ma nourriture est de faire la volonté de Celai qui m'a envoyé (1). » Notre-Seigneur l'a dit le premier : communiant à Lui, l'âme entre dans le mouvement de son âme divine, et tout son idéal est de réaliser la volonté de ce Père, qui nous a aimés d'un éternel amour ! » Puisque vous me permettez de vous parler inti- mement et de lire un peu en votre cœur, laissez-moi (1) Joan., IV, 34. 320 SŒUll ÉLISAUliTH DE LA TKINITÉ VOUS dire, chère Madame, combien dans vos souf- frances je vois une volonté de Dieu. II vous ôte la possibilité d'agir, de vous distraire, de vous occuper, pour que votre unique occupation soit de l'aimer et de penser à Lui. Je vous le dis de sa part : Il a soif de votre àme? Vous lui êtes particulièrement consacrée, ce dont je suis bien heureuse ; vous voudriez être toute à Lui quoique dans le monde, et c'est si simple ! Il est toujours avec vous, soyez toujours avec Lui dans vos actions, vos souffrances ; quand votre corps est brisé, demeurez sous son regard ; voyez-le présent, vivant en vous. » Si je n'avais mon Carmel, je serais jalouse de votre solitude, vous êtes si bien perdue en vos belles mon- tagnes ! Il me semble que c'est une petite Thébaïde ; il fait bon s'en aller solitaire dans ces grands bois ; laisser livres, ouvrages, et dans un cœur à cœur tout intime, dans un regard plein d'amour, demeurer avec le bon Dieu ! Goûtez ce bonheur, il est divin. » Lettre 11^ « Vous me demandez comment je peux supporter le froid. Croyez bien que je ne suis pas plus généreuse que vous ; seulement vous êtes souffrante, tandis que j'ai une bonne santé. «le ne me doute pas (|u'il fait froid, ainsi vous voyez que j'ai peu de mérite. A la maison je soulTrais beaucoup plus de l'hiver qu'au Carmel où je n'ai point de feu ; le bon Dieu donne des grâces ; puis il est bon, lorsqu'on sent ces petites choses, de regarder le divin Maître qui, lui aussi, a enduré LETTRES 321 tout cela parce qu'il nous a « trop aimés » ; alors on a soif de lui rendre amour pour amour. Au Carmel on rencontre bien des sacrifices de ce genre ; mais ils sont doux lorsque le cœur est tout pris par l'amour. » Je vais vous dire ce que je fais lorsqu'il y a une petite fatigue : je regarde le divin crucifié ; et quand je vois comment Lui s'est livré pour moi, il me semble que je ne puis moins faire que de me dépenser, de m'user pour Lui rendre un peu de ce qu'il m'a donné. Chère Madame, le matin à la sainte Messe, commu- nions à son esprit de sacrifice ; nous sommes ses épouses, nous devons donc Lui être semblables. Dans la journée tenons-nous toujours en Lui; si nous sommes fidèles à vivre de sa vie, si nous nous iden- tifions à tous les mouvements de l'àme du divin Crucifié, nous n'aurons plus à craindre nos faiblesses. Lui sera notre force, et qui peut nous arracher à Lui ? Je crois qu'il est bien content, et que vos sacrifices doivent consoler son Cœur. Pendant ce Carême je vous donne rendez-vous en l'infini de Dieu, en sa charité. Voulez- vous que ce soit le désert où avec notre divin Epoux, nous allions vivre en une profonde solitude, puisque c'est dans cette solitude qu'il parle au cœur. » Lettre 111°. « Cela fait du bien de regarder l'àme des Saints et de les suivre par la foi jusque dans le ciel. Là ils sont tout lumineux de la lumière de Dieu, qu'ils contemplent face-à-face! Ce ciel des Saints, c'est notre patrie, c'est la maison du Père où nous sommes attendues, où nous 21 322 SŒUU ELISABETH DE LA TRINITÉ sommes aimées, où un jour nous pourrons nous envoler nous aussi, et nous reposer au sein de l'Amour infini ! Lorsqu'on regarde ce monde divin qui, déjà dès l'exil, nous enveloppe, en lequel nous pouvons nous mou- voir, comme les choses d'ici-bas disparaissent! Tout cela, c'est ce qui n'est pas; c'est moins que rien. Les Saints, eux, avaient bien compris la science vraie, celle qui nous fait sortir de tout, et surtout de nous-mêmes, pour nous élancer en Dieu et ne vivre que de Lui ! Chère Madame, Il est en nous pour nous sanctifier; demandons-Lui donc qu'il soit Lui-même notre sain- teté. Lorsque Notre-Seigneur était sur la terre, il est dit dans l'Evangile qu'une vertu secrète sortait de Lui ; à son contact, les malades recouvraient la santé, les morts étaient rendus à la vie. Eh bien ! Il est toujours vivant ! vivant au tabernacle dans son adorable Sacre- ment, vivant en nos âmes, c'est Lui-même qui l'a dit : « Si quelqu'un in aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera : nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure (1). » Puisqu'il est là, tenons-Lui compagnie comme l'ami à celui qu'il aime. Cette union divine et tout intime est pour ainsi dire l'essence de notre vie au Carmel ; c'est ce qui fait que notre solitude nous est si chère; car, dit notre Père saint Jean de la Croix, dont nous célébrons la fête aujour- d'hui, « deux cœurs qui s'aiment préfèrent la solitude à tout ». » Samedi, fête de la Présentation de la sainte Vierge, nous avions la belle cérémonie de la rénovation des vœux. O chère Madame, quel beau jour ! Quelle joie de (1) Joaii., XIV, 23. LETTRES 323 s'enchaîner au service d'un si bon Maître, de lui dire que c'est jusqu'à la mort qu'on, est sienne, « épouse du Christ ». Je suis tout heureuse de vous sentir, vous aussi, donnée à Lui ; il me semble que du haut du ciel, notre grande sainte Elisabeth doit bénir et sceller l'union de nos âmes. » ...Je n'irai plus jamais en vos belles montagnes; mais par l'àme et le cœur, je vous y suivrai, deman- dant à Celui qui est notre « Rendez-vous », de nous attirer sur ces autres montagnes, sur ces sommets divins qui sont si loin de la terre qu'ils touchent presque le ciel. C'est là que je vous demeure tout unie sous les rayons du soleil de l'Amour ! » Lettre IV^. Février 1903. « Avant d'entrer dans le grand silence du Carême, notre Révérende Mère me permet de venir vous dire combien je prie pour vous, ainsi que ma chère commu- nauté. Je comprends vos appréhensions devant la pers- pective d'une opération et demande au Seigneur de les adoucir, de les calmer Lui-même. L'apôtre saint Paul dit que « Dieu opère toutes choses selon le conseil de sa volonté (1) » ; par conséquent nous devons tout recevoir comme venant directement de la main divine de notre Père qui nous aime et qui, à travers toutes les épreuves, poursuit son but : nous unir plus intimement à Lui. Lancez votre âme sur les flots de la confiance et de l'abandon ; pensez que tout ce qui la trouble et la jette (1) Ephés., I, 11. IJ24 SŒUU ELISABETH DE LA THINITÉ dans la crainte ne vient pas du bon Dieu, car II est le « Prince de la paix (1) », et II l'a promise aux hommes de bonne volonté. Lorsque vous craignez d'avoir abusé de ses grâces, comme vous me le dites, c'est le moment de redoubler de confiance ; car, dit encore l'Apôtre : « Où le péché abonde, la grâce snrabonde (2). Il est riche en miséricorde notre Dieu à cause de son immense amour (3) ! » Ne craignez donc point cette heure par laquelle nous devons tous passer. La mort, chère Madame, c'est le sommeil de l'enfant s'endormant sur le cœur de sa mère ; enfin la nuit de l'exil aura lui pour toujours, et nous entrerons en possession de « r héritage des Saints dans la Lumière (A) ». Saint Jean de la Croix dit que nous serons jugés sur l'amour; cela répond bien à la pensée de Notre- Seigneur qui a dit de Madeleine : « Beaucoup de péchés lui sont remis parce quelle a beaucoup aimé (5). » Souvent je pense que j'aurai un bien long purgatoire, car il sera beaucoup demandé à qui a beaucoup reçu, et II a été si comblant envers sa petite épouse ! Mais je m'abandonne à son amour et chante dès ici-bas l'hymne de ses miséricordes. » Si chaque jour nous faisions croître Dieu en notre âme, quelle assurance cela nous donnerait pour paraître un jour devant sa sainteté inlinie. Je crois que vous avez trouvé le secret : c'est bien par le renoncement que l'on arrive à ce but divin ; par lui nous mourons à nous-mêmes pour laisser toute la place à Dieu. Vous souvenez- nous de cette belle page de l'évangile selon (1> Is., IX, G. — (2) Uoin., V, 20. — (3) Ephés., ii, 4. — (4) Goloss., I, 12. — (5) Luc, VII, 47. LETTRES 325 saint Jean, où Notre-Seigneur dit à Nicodème : « En vérité, je te le dis, si qiielqiiiin ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu (1). » Renouvelons-nous donc dans l'intérieur de notre âme ; « dépouillons- nous du vieil homme et revêtons-nous du nouveau, selon l'image de Celui qui Va créé (2). » Cela se fait douce- ment et simplement en se séparant de tout ce qui n'est pas Dieu. Alors l'àme n'a plus ni craintes, ni désirs ; sa volonté est entièrement perdue en celle de Dieu, et c'est ce qui opère l'union. » Prions bien l'une pour l'autre pendant ce saint temps du Carême ; retirons-nous au désert avec notre Maître, et demandons-lui de nous apprendre à vivre de sa vie. » Lettre V. Février 1904. « Ces jours-ci, en lisant la vie de sainte Elisabeth, votre Mère, et ma patronne dans le ciel, je vous étais tout particulièrement unie. J'aime tant ces paroles que lui adresse Notre-Seigneur : « Elisabeth, si tu veux être avec moi, je veux bien être avec toi, et rien ne pourra nous séparer. » Chère Madame, l'Epoux divin ne nous a-t-Il pas dit cela dans le silence de notre âme, lorsqu'il nous invita à le suivre de plus près, à n'être qu'un avec Lui en devenant ses épouses ! Pendant ces jours des Quarante-Heures, nous avons le Saint-Sacre- ment exposé. Aujourd'hui dimanche, j'ai passé à peu près toute ma journée près de Notre-Seigneur, et j'au- (1) Joan., III, 3. — (2) Coloss., m, 10. 326 SŒUR KLISAlîHTIl DK LA TRINITÉ rais voulu, à force d'amour, Lui faire oublier tout le mal qui se commet en ces jours de carnaval. » Nous allons entrer mercredi dans la sainte Qua- rantaine ; voulez-vous que nous fassions un Carême d'amour? « // m'a aimé, Il s'est livré pour moi (1). » C'est donc là le terme de l'amour : se donner, s'écouler tout entier en Celui que l'on aime. « L'amour fait sortir » de soi celui qui aime pour le transporter, par une » ineffable extase, dans le sein de l'Objet aimé. » N'est-ce pas que cette pensée est belle? Qu'elle soit comme une devise lumineuse pour nos âmes, afin qu'elles se laissent emporter par l'Esprit d'amour, et que sous la lumière de foi, elles aillent déjà chanter avec les bienheureux l'hymne d'amour qui se chante éternellement devant le trône de l'Agneau. Oui, chère Madame, commençons notre ciel sur la terre, notre ciel dans l'amour ! Lui-même est cet amour, c'est saint Jean qui nous le dit : « Dieu est charité (2). » Ce sera là notre rendez- vous, n'est-ce pas?» Lettre VI^ Janvier 1905. « Je lisais dans les épîtres de saint Pierre une parole qui sera l'expression des souhaits de votre petite amie carmélite. « Sanctifiez le Seigneur dans votre âme (3). » Pour cela, il est nécessaire de réaliser la pensée de saint Jean-Baptiste : « // faut qu'il croisse et que je diminue (4). » Chère Madame, en cette nouvelle année (1) Gai 20 — (2) I Joan., iv. 8. - (3) I Pctr.. m, 15. - (4) Joan.. m, 30. LETTRES 327 que Dieu nous donne pour nous sanctifier et nous unir davantage à Lui, faisons-le grandir en nos âmes ; gardons-le « seul et séparé » ; qu'il soit vraiment roi ; et nous, disparaissons, oublions-nous ; soyons seulement la louange de sa gloire, selon la belle expression de l'Apôtre. » Je vous souhaite aussi toutes les grâces de santé dont vous avez besoin, puisque vous êtes si éprouvée de ce côté ! Rappelez- vous ce que disait saint Paul : « Je me glorifie dans mes infirmités, car alors la force de Jésus-Christ habite en moi (1). » Tout est dans la volonté du bon Dieu : dans les souffrances physiques qui attei- gnent aussi votre àme, réjouissez-vous, chère Madame, et pensez qu'en cet état d'impuissance porté fidèlement, avec amour, vous pouvez le couvrir de gloire. Notre sainte Mère Térèse disait : « Lorsqu'on sait s'unir à » Dieu et à sa sainte volonté, acceptant tout ce qu'il » veut, on est bien, on a tout! » » Je vous souhaite donc cette paix profonde dans le bon plaisir divin ; je comprends tous les sacrifices que vous impose votre santé ; mais il est doux de se dire : « C'est Lui qui veut cela. » Un jour II disait à l'une de ses Saintes : « Bois, mange, dors, fais tout ce que tu voudras, pourvu que tu m'aimes. » L'amour, voilà ce qui rend son fardeau si léger et son joug si doux ! Demandons à l'Enfant-Dieu qu'il nous consume par cette divine flamme, par ce feu qu'il est venu apporter sur la terre... » (1) II Cor,, xii, 9. 328 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Lettre VII^ Janvier 1906. « Que 1906 soit pour votre àme une chaîne de fidélité dont chaque anneau, soudé par l'amour, vous unisse plus intimement au divin Maîlre et vous fasse en vérité sa captive, « son enchaînée », comme dit saint Paul. Il souhaitait aux siens, en son large et grand cœur, que « Jésus-Christ habite en eux par la foi, afin quils soient enracinés et fondés dans Vamour ». Je formule aussi ce souhait pour vous, chère Madame. Que le règne de l'Amour s'établisse aussi pleinement en votre royaume intérieur, et que son poids vous entraîne jusqu'à l'oubli total de vous-même, jusqu'à cette mort mystique dont parlait l'Apôtre lorsqu'il s'écriait : « Je vis, non plus moi, mais cest Jésus-Christ qui vit en moi (2). » Dans le discours après la Cène, dernier chant d'amour de l'àme du divin Maître, Il dit à son Père cette belle parole : « Je vous ai glorifié sur la terre, fai consommé l'œuvre que vous m'aviez donnée à faire (3). » Nous qui sommes ses épouses, chère Madame, et par conséquent qui devons nous identifier totalement à Lui, nous devrions au soir de chacune de nos journées, pouvoir redire ces mêmes paroles. Peut-être me deman- derez-vous : mais comment le glorifier? C'est bien simple : Noire-Seigneur nous en donne le secret lors- qu'il nous dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé (4). » Attachez-vous donc aux volontés de ce Maître adorable ; regardez chaque (1) Ephés., III, 17. — (2) r.al., ii. 20. (H) Joaii., .wii. 4. — (4) IbUi., IV, :J4. LETTRES 329 souffrance, chaque joie comme venant directement de Lui, et votre vie sera une communion continuelle, puisque chaque chose sera comme un sacrement qui vous donnera Dieu, et c'est très réel, car Dieu ne se divise pas : sa volonté, c'est tout son Etre ; Il est tout entier en toutes choses, et ces choses ne sont en quelque sorte qu'une émanation de son amour ! Voyez combien vous pouvez le glorifier en ces états de souffrance, de langueur si difficiles à porter ! Oubliez-vous tant que vous pourrez ; c'est le secret de la paix et du bonheur. Saint François-Xavier s'écriait : « Ce qui me touche, » ne me touche pas ; mais ce qui Le touche, me touche, )) puissamment. » Heureuse l'àme qui est arrivée à ce dégagement total ; elle aime en vérité !... » * Lettres à une aspirante au Carmel Lettre I'^ (( Une Carmélite, c'est une âme qui a regardé le divin Crucifié ; elle l'a vu s'offrant comme victime au Père ; et se recueillant sous cette grande vision de la charité du Christ, elle a compris sa passion d'amour et a voulu se donner avec Lui. Sur la montagne du Carmel, dans le silence, dans la solitude, dans une oraison qui ne finit jamais, elle vit comme au ciel, de Dieu seul ! Le même qui fera un jour sa béatitude et la rassasiera dans la gloire, se donne déjà à elle ; Il ne la 330 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ quitte pas ; Il deineure en son àme, plus que cela, tous deux ne font qu'un ; aussi est-elle afîamée de silence afin d'écouter toujours, de pénétrer toujours plus en l'Etre infini ; elle est identifiée avec Celui qu'elle aime et le trouve partout. N'est-ce pas le ciel sur la terre ! Ce ciel vous le portez en vous, car la Carmélite, c'est au dedans que Jésus la reconnaît, c'est-à-dire à son âme. Ne le quittez jamais, faites tout sous son regard divin, et demeurez toute joyeuse dans sa paix et son amour. » Lettre II^ « Vivons dans l'intimité avec notre Bien-Aimé, soyons toute à Lui comme II est tout à nous. Vous êtes privée de le recevoir aussi souvent que vous désireriez, je comprends votre sacrifice, mais pensez que son amour n'a pas besoin de sacrement pour venir à vous ; commu- niez à Lui tout le jour, puisqu'il est vivant en votre âme, écoutez ce que nous dit notre Père saint Jean de la Croix : « Oh ! la plus belle des créatures, âme qui désirez » si ardemment connaître le lieu où se trouve votre » Bien-Aimé, pour le trouver et vous unir à Lui, vous » êtes vous-même la retraite où II s'abrite, la deineure » où II se cache. Votre Bien-Aimé, votre trésor, votre » unique espérance est si près de vous qu'il habite en » vous-même, et, à vrai dire, vous ne pouvez pas être » sans Lui. » » Voilà toute la vie du Carmel, vivre en Lui ; alors les sacrifices, les immolations, tout devient divin. LETTRES 331 Aimez le silence, l'oraison, c'est l'essence de notre vie ; demandez à la Reine du Carmel, notre Mère, de vous apprendre à adorer Jésus dans des recueillements pro- fonds. Priez aussi notre séraphique Mère sainte Térèse, elle a tant aimé!... elle est morte d'amour! Demandez-lui sa passion pour Dieu, pour les âmes, car la Carmélite doit être apostolique; toutes ses prières, tous ses sacri- fices tendent à cela. » Connaissez-vous saint Jean de la Croix, qui a été si loin dans les profondeurs de la divinité ! Avant lui, j'aurais dû vous parler de saint Elie, notre premier père : vous voyez que notre Ordre est bien ancien puis- qu'il remonte jusqu'aux Prophètes. Ah ! je voudrais pouvoir chanter toutes ses gloires ! Aimons-le, il est incomparable ! Quant à la Règle, vous verrez un jour comme elle est belle : Vivez- en déjà l'esprit. » *•■ Fraoînents divers Bien chère Madame, (( Le cœur de votre petite amie a besoin de vous dire que sa prière pour votre cher malade est bien intense. » Comme Madeleine, aux pieds de mon Maître, je vais me faire toute suppliante et je lui dirai : Celui que vous aimez est malade. » Jésus donne sa croix à ses vrais amis afin de 332 SŒUR ELISABETH DE LA TRLMTÉ venir encore plus à eux. Dans son Cœur je vois un bien grand amour pour vous. » Je m'unis à l'ange que vous avez perdu et qui de là-haut veille sur vous, afin de toucher le cœur du bon Dieu. » « J'apprends à l'instant que Dieu vient à vous avec sa croix, en vous demandant le plus douloureux des sacrifices, et je le prie d'être Lui-même votre force, votre appui, votre divin Consolateur. » Je partage toute votre douleur ; vous devinerez entre ces lignes ce que mon cœur ne peut vous dire. En face de semblables épreuves. Dieu seul peut parler, car II est le consolateur suprême. Le divin Maître dont le cœur est si compatissant est près de vous ; c'est Lui qui a reçu là-haut cette chère âme, laquelle chaque jour aura part à nos prières et sacrifices. Vivez avec elle, en cet au-delà si près de nous ; par la foi soulevons le voile, et suivons celui qui a disparu en ces régions toutes de paix et de lumière, où la souffrance est trans- formée en amour. » Je demande à Dieu de vous être tout ce qu'il vous a ôté, et d'essuyer Lui-même de sa main divine toutes les larmes de vos veux. » « Je sais (|ue vous travaillez avec un dévouement inépuisable pour la plus grande gloire de Dieu. Sous une forme ou sous une autre, c'est à cela que notre vie doit être employée, c'est notre préilcstination. selon LETTRES 333 le langage de saint Paul. Que cette année qui com- mence soit une année d'amour, toute à la gloire de Dieu. Ce serait si bon, au dernier jour, de pouvoir dire avec notre Maître adoré : « Père, je vous ai glorifié sur la terre, j'ai consommé l'œuvre que vous m'aviez donnée à faire (1). » Quelle consolation de donner Dieu aux âmes et les âmes à Dieu ! La vie est tout autre lorsqu'on s'oriente de ce côté. Du fond de notre cellule, je vous suis partout et recommande au Père de famille « ces deux » qui travaillent si bien à sa moisson, tandis que je suis leur petit Moïse sur la montagne... » Bien chère Madame, « Votre bonne lettre m'a fait de la peine, car je sens la profonde tristesse de votre àme. J'ai beaucoup prié pour vous, j'ai communié au Verbe de Vie, à Celui qui est venu pour apporter la consolation à toutes les dou- leurs et qui, à la veille de sa passion, dans ce discours après la Cène où II livre toute son àme, disait en par- lant des siens : « Je veux qu'ils aient en eux la plénitude de ma joie (2). » L'abandon, chère Madame, voilà ce qui nous livre à Dieu. Je suis bien jeune, mais il me semble que parfois j'ai bien souffert. Oh ! alors, quand tout s'embrouillait, quand le présent était si douloureux et que l'avenir m'apparaissait encore plus sombre, je (1) Joan., XVII, 4. — (2) Ibid., 13. 334 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ fermais les yeux, je m'abandonnais comme un enfant dans les bras de ce Père qui est aux cieux. » Chère Madame, voulez-vous permettre à cette petite Carmélite qui vous aime tant, de vous dire quelque chose de la part du divin Maître. Ce sont les paroles qu'il adressait à sainte Catherine de Sienne : « Pense à moi, je penserai à toi. » Nous nous regardons trop, nous voudrions voir et comprendre, nous n'avons pas assez confiance en Celui qui nous enveloppe de sa charité. Il ne faut pas s'arrêter devant la croix pour la regarder en elle-même, mais se recueillant sous les clartés de la foi, il faut monter plus haut et penser qu'elle est l'instrument qui obéit à l'amour divin. « Une seule chose est nécessaire, Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point âtée (1). » Cette meilleure part, qui semble être mon privilège en ma bien-aimée solitude du Carmel, est offerte par Dieu à toute âme chrétienne. Il vous l'offre, chère Madame, parmi vos soucis et vos sollicitudes ; croyez que toute sa volonté est de vous emmener toujours plus loin en Lui, livrez-vous à Lui avec toutes vos préoccupations... J'ai trouvé mon ciel sur la terre puisque le ciel c'est Dieu et Dieu est en mon âme. Le jour où j'ai compris cela, tout s'est illuminé en moi, et je voudrais dire ce secret à ceux que j'aime, afin qu'eux aussi adhèrent toujours à Dieu à travers tout, et que se réalise cette prière du Christ : « Père, qu'ils soient consommés en l'unité (2). » (1) Luc, X, 42. — (2) Joan., xvn, 23. POÊSIKS de Sœur Elisabeth de la Trinité La Carmélite ^^^ Aiu : Reste avec moi Jésus-Eucharistie. La Carmélite est une âme donnée, Une immolée à la gloire de Dieu; Avec son Christ, elle est crucifiée, Mais son calvaire, ah! qu'il est lumineux! En regardant la divine Victime, Une lumière en son âme a jailli ; Et comprenant sa mission sublime Son cœur blessé s'écria: Me voici! (1) Sœur Elisabeth de la Trinité composa ces strophes la pre- mière année de son noviciat. Malgré leurs fautes de versification, nous les donnons comme exprimant l'idéal dés lors entrevu par la chère enfant, et qu'elle devait si fidèlement réaliser. D'ailleurs elle n'avait aucune prétention à l'art poétique. Sainte Térèse voulait qu'en certaines circonstances ses filles se récréassent par de pieux couplets sur le mystère ou l'objet de la fête qui les motivait. Sœur Elisabeth s'essaj'a donc à rimer, comme elle devait le faire plus tard pour répondre aux désirs de ses sœurs et leur témoigner son affection. «C'est surtout par l'intention, l'ardeur de vie, l'accent, que valent les compositions poétiques d'Elisabeth. » Elles la révèlent encore, redirons-nous ici, et c'est le motif de la publicité que nous leur donnons. 336 SŒUll KLISAHETII DE LA TRINITÉ La Carmélite est une âme envahie, Pleine du Christ pour le donner toujours; Comme la Vierge, un jour Dieu l'a choisie Pour demeurer à ses pieds nuit et jour. Regardez bien en cette captivée, Son oraison ne s'interrompt jamais ; Son âme est prise, elle est tout enchaînée. Et de son Christ plus rien ne la distrait. La Carmélite est une àme adorante. Toute livrée à l'action de Dieu; A travers tout grande communiante, Le cœur en haut, brûlant d'un divin feu. Elle a trouvé l'unique nécessaire, L'Etre divin, lumière et charité. Enveloppant le monde en sa prière. Voici qu'elle est apôtre en vérité. La Carmélite est une àme fermée A ce qui passe, aux choses d'ici-bas, Mais tout ouverte et tout illuminée Pour contempler ce que l'œil ne voit pas. L'Aigle divin l'emporte 6n sa lumière, Sur les sommets élevés, lumineux. Pour l'abriter en la maison du Père, La consommer toute en VUn avec Dieu. 29 juillet 1902. POÉSIES 337 Noël 1902 Air : La médaille miraculeuse. Emporte-moi... J'ai vu briller l'étoile lumineuse Qui m'indiquait le berceau de mon Roi, Et dans la nuit calme et m5'stérieuse, Elle semblait s'orienter vers moi. Puis j'entendis, pleine de charme, La voix de l'Ange qui me dit : « Recueille-toi, c'est en ton âme » Que le mystère s'accomplit, » Jésus, splendeur du Père, » En toi s'est incarné : » Avec la Vierge-Mère, » Etreins Dieu nouveau-né, » Il est à toi. » O messager de ce Dieu qui m'appelle. N'est-il pas vrai qu'il se nomme l'Epoux! Que lui offrir en cette aube nouvelle? Il m'apparaît si puissant et si doux. l'ange : « Ta mission sur cette terre, » C'est de ne plus savoir qu'aimer. » C'est pénétrer tout le mystère » Qu'il est venu te révéler. » Jésus, splendeur du Père, » En toi s'est incarné : » Avec la Vierge-Mère, » Etreins Dieu nouveau-né, » Il est à toi. » 28 338 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Il est l'Epoux, et sa voix me convie; Son premier mot pour moi fut un Veni (1), L'astre brillant de son Epiphanie A l'horizon soudain a resplendi. O mon Seigneur, donne à mon âme. Donne-lui l'amour et la foi, Esprit-Saint augmente ma tlamme Pour m'unir à mon divin Roi. Jésus, splendeur du Père, Jésus, regarde-moi; C'est en toi que j'espère, Et pour aller à toi, Prépare-moi. Le séraphin avait quitté la terre. Mais le rayon brillait toujours en moi. Me recueillant sous sa douce lumière, Je touchai Dieu par l'amour et la foi; Puis me faisant tout adorante Pour écouter la Vérité, J'entendis tout ce qui se chante Au sein de la Divinité. Jésus, splendeur du Père, Jésus, regarde-moi. C'est en toi que j'espère ; Ohl pour aller ù toi, Prépare-moi. (1) En ce jour de Noël 1902, Sœur Elisabeth était admise par le Chapitre à prononcer ses saints vœux en la fête de l'Epiphanie. POÉSIES 339 Noël 1904 Air: La médaille miraculeuse. Emporte-moi... Il en est un qui sait tout le mystère Et qui l'étreint de toute éternité, Et celui-là, c'est le Verbe du Père, C'est la splendeur de sa divinité. En la charité qui le presse, En un divin excès d'amour, Voici le Fils de sa tendresse. Que Dieu nous donne en ce grand jour. Que je passe ma vie, O Verbe, à t'écouter, Et sois cette envahie Qui ne sait plus qu'aimer. Amo Christiun. Maison de Dieu, j'ai toute la prière De Jésus-Christ, le divin adorant; Elle m'emporte aux âmes comme au Père, Puisque c'est là son double mouvement. Etre Sauveur avec mon Maître, C'est encore ma mission : Pour cela je dois disparaître, Me perdre en Lui par l'union. Jésus, Verbe de vie, Unie à toi toujours, Ta vierge et ton hostie Rayonnera l'amour. Amo Chrisliiin. 340 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Il est en moi, je suis son sanctuaire: Oh! n'est-ce pas la vision de paixl Dans le silence et le profond mystère, Il me captive et m'enchaîne à jamais. Oh! que je sois ton écoutante, Toujours apaisée en ma foi ; A travers tout, Ion adorante, Celle qui ne vit que de toi. Sous ta grande lumière, O Verbe, nuit et jour, Que je sois tout entière Une proie à l'amour. Amo Christiim. Mère de Dieu, dis-moi ton doux mystère Depuis l'instant de l'Incarnation; Dis-moi comment tu passas sur la terre, Ensevelie en l'adoration, En une paix tout ineffable. Un silence mystérieux. Tu pénétrais l'Etre insondable, En toi portant le don de Dieu. Sous la divine étreinte, Garde-moi sans retour; Que je porte l'empreinte De ce Dieu tout amour. Amo Christum. POÉSIES 341 Noël 1905 Air : Les anges dans nos campagnes. Dans une humble et pauvre étable Repose le Verbe de Dieu ; C'est le mystère adorable Que l'Ange révèle en tout lieu. Gloria in excelsis Deo ! Air : L'ange et l'âme. Le Tout-Puissant a besoin de descendre Pour épancher les flots de son amour; Il cherche un cœur qui le veuille comprendre, Et c'est en lui qu'il fixe son séjour. Dans son amour, oubliant la distance, Il a rêvé la divine union ; Du fond du ciel, le voici qui s'élance Pour consommer enfin la fusion. Olîl profondeur, insondable mystère! L'Etre incréé s'oriente sur moi! A tout instant, je puis, dès cette terre, Le contempler aux clartés de la foi. Comme autrefois à ma sainte Patronne, Jésus me dit : « Veux-tu vivre avec moi? » Elisabeth, ma grâce t'environne, » Et je voudrais n'être qu' « un » avec toi ; » Je viens t'apprendre à devenir épouse, » A t'immoler pour consoler mon cœur; » De mon honneur, ah! sois toujours jalouse, » Et désormais cherche en tout mon bonheur. » 342 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Ohl profondeur, insondable mystère! C'est l'Eternel qui s'incline vers moi : A travers tout, je puis, dès cette terre, M'unir à Lui, le toucher par la foi. « Regarde-moi, tu pourras mieux comprendre » Le don de toi, l'anéantissement; » Pour m'exalter, tu dois toujours descendre, » Que ton repos soit dans l'abaissement. » C'est là toujours que se fait la rencontre : » Pour me trouver, il faut s'anéantir; » Aux tout petits, se révèle et se montre » Le Dieu caché que ton cœur veut saisir. » Ohl profondeur, insondable mj^stèrel LEtre infini s'ensevelit en moi; A travers tout, je puis, dès cette terre, Me perdre en Lui, l'étreindre par la foL Maître adoré, vous cherchez une hostie. Et vous voulez en votre charité Perpétuer à jamais votre vie, Vous incarnant parmi l'humanité. Car vous rêvez que montent vers le Père Le sacrifice et l'adoration De votre sang, vous couvrirez la terre, Pour nous auver par cette elTusion. Oh! profondeur, insondable mystère! Mon cœur devient votre humble sacrement. Venez en lui glorifier le Père, Dans le silence et le recueillement. POÉSIES 343 Instaure omnia in Christo. Air : Dieu de paix et d'amour. Mère, t'en souvient-il, en sa belle Encyclique, Le Souverain Pontife exprimait un désir : Mon cœur l'a recueilli comme une fleur mystique, Et voici qu'aujourd'hui je voudrais te l'off^rir. Oui, je rêve vraiment qu'en moi se réalise Le souhait si divin de notre doux Pasteur, Et pour cela j'ai pris sa sublime devise : Tout restaurer en toi, mon Christ et mon Sauveur. Ce programme si beau, dicté par la Sagesse, Est celui de Dieu même en son éternité ; Saint Paul, dans ses écrits, le répète sans cesse : C'est « le trop grand amour », l'excès de charité. Ecoutons-lc parler, faisons un peu silence, O Mère, il nous dira le décret solennel. « Pour que nous soyons purs et saints en sa présence, » Dieu nous élut en Lui d'un vouloir éternel. » Mais nous avons péché: grande est notre misère; Qu'allons-nous devenir si Dieu ne vient à nous? ' Riche en miséricorde. Il reste notre Père : La prière du Christ apaise son courroux, Et pour faire éclater la gloire de sa grâce. Il nous justifia par la Rédemption ; Désormais nous pouvons voir l'éclat de sa Face, Car II nous a nommés « ses fils d'adoption ». 344 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Ohl oui, pour accomplir sa volonté suprême, Restaurons dans le Christ et la terre et les cieux : Le ciel, il est en nous, et l'Esprit Saint lui-même Veut le renouveler dans l'ardeur de ses feux. Puis restaurons aussi le royaume de France; Offrons le sang dn Juste ; il est notre rançon : Par lui nous obtiendrons la paix, la délivrance. Et Dieu prononcera le suprême pardon. « 0 Père, c'est pour eux que je me sanctifie » ; Tel est de Jésus-Christ le dernier chant damour. Recueillons sa prière, elle est source de vie. Et faisons-la monter jusqu'à Dieu nuit et jour. A l'heure décisive où tout doit disparaître Je voudrais répéter cet hymne de l'Epoux : « Je vous ai fait aimer, je vous ai fait connaître, » J'ai consommé votre œuvre... à Dieu, je viens à vousl » « // nous a transférés, dit encore l'Apôtre, » Des ombres de la mort au royaume éternel ; » L'héritage des Saints est devenu le nôtre, » Et nous sommes déjà de la cité du ciel. » Telle est notre grandeur, telle est notre noblesse. Car « nous sommes au Christ et le Christ est à Dieu ». Pour son immense amour, bénissons-le sans cesse : Que sa louange éclate en tout temps, en tout lieu! 1904. POÉSIES 345 Le Ciel de la gloire et le Ciel de la foi. Air : Reste avec moi, Jésus-Eucharistie. VOIX DU CIEL Au sein des «Trois», baignés dans la lumière, Sous les rayons de la face de Dieu, Nous pénétrons les secrets du mystère, Et chaque jour brille d'un nouveau feu. Etre infini, profondeur insondable! Ravis, perdus en ta divinité, O Trinité, Dieu trois fois immuable. Nous te vo5'ons toi-même en ta clarté. VOIX DE LA TERRE Les Saints du ciel, les âmes de la terre, Viennent se fondre en un unique amour : Dieu rassasie en l'ombre du mystère Comme aux clartés du céleste séjour. A travers tout, oui, déjà sur la terre. On te possède, ô vision de paix! Tous réunis sous la même lumière, Nous nous perdons en Dieu seul pour jamais. voix DU CIEL Communiant à la divine Essence, Vous possédez tout ce que nous avons ; Vous n'avez pas la même jouissance. Mais vous donnez plus que nous ne donnons. Et c'est si bon de donner quand on aime ! Vous le pouvez à toute heure, en tout lieu; Employez bien cette grâce suprême, Immolez-vous à la gloire de Dieu. Fragment d'une pieuse récréation. 1904. 346 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Les lois de l'amour. Air : Mignon sur la rive étrangère. Aimer! pour une Carmélite, C'est se livrer comme Jésus; Un amour vrai jamais n'hésite, Il veut se donner toujours plus. Soyons une image fidèle De notre Epoux sacrifié; Retraçons en nous le modèle De ce divin Crucifié. Aimer! c'est s'oublier soi-même, Comme fit VAnge de Lisieux, Pour se perdre en Celui qu'on aime Et se consumer en ses feux. Thérèse avait bien su comprendre En sa grande simplicité. Cet appel si fort et si tendre : {( Demeurez en ma charité. » Aimer! c'est comme Madeleine Ne jamais quitter le Seigneur, Mais se tenir en paix sereine Aux pieds de ce divin Sauveur... Elle écoutait en grand silence La parole (ju'il lui disait; Pour mieux savourer sa présence, Tout en son être se taisait. POÉSIES 347 Aimer! c'est être apostolique, Zéler riionneur du Dieu vivant; C'est vraiment l'iiéritage antique Que nous laissa le grand Voj'ant. Recueilli par sainte Thérèse Qui nous le transmit à son tour, Le Carmel devint la fournaise, Le foyer du divin amour. Aimer! c'est imiter Marie, De Dieu célébrant la grandeur. Alors que son àme ravie Chantait son cantique au Seigneur; Votre centre, ô Vierge fidèle, Etait l'anéantissement. Car Jésus, splendeur éternelle. Se cache dans l'abaissement. Aimer! c'est rendre témoignage A notre Christ, à notre Roi, Et donner notre vie en gage Pour mieux affirmer notre foi. Comme nos seize Bienheureuses, Puissions-nous verser notre sang. Chantant en nos âmes joyeuses, Un hymne tout reconnaissant. A la louange de sa gloire, Sachons nous immoler toujours. Car pour remporter la victoire. Dieu réclame notre concours. Imitons nos anciennes Mères Dans leur zèle et dans leur ferveur; Nous sortirons de nos misères. Et notre Roi sera vainqueur. 29 juillet 1905. 348 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Le rêve d'une louange de gloire. Je m'étais réjouie, ô ma douce Bergère, De te fêter au ciel dans le foyer d'amour; Mais Laudem Glorise chante encor sur la terre. N'ayant fait qu'entrevoir le radieux séjour... Tout bas je me disais qu'en la maison du Père, En son secret divin, au centre de son Cœur, Je pourrais, à mon tour, te combler, ô ma Mère, Et cela m'inondait d'un immense bonheur. Jamais je n'oublierai les heures ineffables Où tu me préparais au divin rendez-vous ; Je formais avec toi des projets adorables, Tandis que j'attendais le Veni de l'Epoux. Et Lui te consacrait pour que tu sois \e prêtre, Le sacrificateur m'offrant à son amour; C'est toi qui lui donnais, qui lui livrais mon être, Afin qu'il le consume et la nuit et le jour! Mère, te souviens-tu que le Fleuve de vie Passait toujours par toi pour s'écouler en moi... Sous ses flots débordants, j'étais ensevelie Quand je communiais en ton cœur par la foi. A chaque aube nouvelle, en un profond silence, Tu venais mapporter mon Maître et mon .Sauveur Qu'il t'exprime l'amour et la reconnaissance Que ta petite enfant j^arde au fond de son cœur ! POÉSIES 349 Si Dieu n'a pas voulu rompre encore la toile, Qui dérobe à mes yeux l'éclat de sa beauté, Ahl du moins par la foi, je soulève le voile. Et je vis avec Lui en son éternité. Là, mon Maître m'a dit, en un profond mystère, Qu'il réaliserait le rêve de mon cœur. Et je ne cesse plus de prier pour ma Mère, Afin de l'enrichir des grâces du Seigneur. Depuis mon premier jour, j'ai tout fait avec elle. Et c'est entre ses bras que je veux m'endormir Pour aller contempler la splendeur éternelle Et chanter le Sanctus qui ne doit plus finir! Si Laudem Glorise n'a jamais su lui dire Le merci de son cœur au terrestre séjour, En écoutant vibrer les cordes de sa lyre, Bien sûr elle entendra son doux refrain d'amour. 15 iuin 1906. 350 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Le Ciel dans Tâme. O Seigneur, je voudrais m'écouler en ton sein Comme une goutte d'eau dans une mer immense ; Daigne détruire en moi ce qui n'est pas divin, Pour que mon ànie libre, en ton Etre s'élance. Il faut que je pénètre en ce lieu spacieux. Cet abîme insondable et ce profond mystère, Pour t'aimer, ô Jésus, ainsi qu'on t'aime aux cieux, Sans que rien du dehors ne puisse me distraire. Je désire habiter en ton foyer d'amour. Sous le rayonnement des clartés de ta Face ; Et vivre de toi seul comme au divin séjour, En cette douce paix que nul bien ne surpasse. C'est là que se fera la transformation, Là que je deviendrai comme une autre toi-même; Mais je n'y parviendrai qu'à la condition De tout perdre ici-bas pour toi, Beauté suprême. On ne vit plus en soi lorsqu'on aime vraiment. Car on sent le besoin de s'oublier sans cesse; Le cœur n'a de repos et de délassement Que quand il a trouvé l'objet de sa tendresse. Voilà pourquoi, Jésus, en mon amour pour toi, Je ne désire plus que ta sainte présence; A tout instant du jour, je veux sortir de moi, Et, sous ton seul regard, mimmoler en silence. POÉSIES 351 Dans le calme profond de ton Etre éternel, Daigne m'ensevelir pour que, dès cette vie, Je puisse à travers tout demeurer comme au ciel. En ta dilection et ta paix infinie. Ce n'est pas au dehors que je dois te chercher Pour adhérer à toi de substance à substance; Au centre de mon cœur, je n'ai qu'à me cacher Pour me perdre à jamais en ta divine Essence. Août 1906. 352 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ Rendez-vous de Laudem gloriee à sa chère sœur Voici que je te donne un rendez-vous intime, Un rendez-vous secret, divin, mystérieux... O ma sœur, cactions-nous au fond du double abîme. C'est là que nous attend la douce paix des cieux. Sachons toujours descendre à la dernière place. Afin de ressembler à Jésus notre Epoux; Alors luira sur nous la clarté de sa Face, Car il est attiré vers les humbles, les douxl Pour pouvoir demeurer sans cesse en sa présence, Il faut s'anéantir, c'est la condition : Oh! que l'abaissement soit notre résidence, Notre palais royal, notre habitation. Septembre 1906. POÉSIES 353 Immensus Pater, immensus Filius, immensus Spiritus sanctus. A SA MÈRE Prieure pour un anniversaire Ma nacelle, à son gré, voguant en pleines eaux, O bonne Mère, a fait voyage des plus beaux; Par une nuit paisible, en un profond silence. Je glissais doucement sur l'océan immense. Tout était en repos sous la voûte du ciel Et semblait écouter la voix de l'Eternel. Mais survinrent soudain quelques lames profondes Et le léger esquif disparut sous leurs ondes. C'était la Trinité qui m'entr'ouvrait son sein, Et j'ai trouvé mon centre en l'abîme divin. On ne me verra plus sur le bord du rivage, Je plonge en l'inlini, c'est là mon héritage; Mon àme se repose en cette immensité. Et vit avec « ses Trois » comme en l'éternité. O Mère, écoute bien la fin de cette histoire Afin de réjouir ta Louange de gloire : C'est pour mieux te fêter qu'elle est entrée en Dieu, Qu'elle veut demeurer en cet auguste lieu. Et puisqu'en ce séjour, c'est sans fin l'immuable. Voici que son cœur forme un projet ineffable : Ta fête durera jusqu'au jour solennel Où Laiidem Gloriœ partira pour le ciel. Là, je te fêterai mieux encor que sur terre. Dans le secret divin de la face du Père. 24 septembre 19U(). 23 354 SŒUR ÉLISABETFI I)K I.A THIMTK Qui est comme Dieu!... A LNK Sœur, POI h I,'ANMVEUSAIUli Uli SA PRISE u'habit Je pense bien à toi sur le monl du Calvaire; Aujourd'hui loul mon cœur te tète en ce saint lieu: Il chante avec le tien, en cet anniversaire, Le défi de Michel : Qui donc est comme Dieu ? Qui dom- est comme Dieu.'... Magnifique devise Pour l'être tout épris d'anéantissement, Et distillant sa vie afin d'aider l'Eglise, Dans le i)rofond silence et le recueillement. Qui donc est comme Dieu '.'... Ma sœur, pour le comprendre, A l'ombre de la Croix, oh! fuyons sans retour; Celui qu'elle soutient daignera nous l'apprendre, II nous révélera les droits de son amour. Qui donc est comme Dieu'/... Quand nous voyons le Maître, Devant son Père saint, s'anéantir ainsi, Voici (ju'à notre tour, nous voulons disparaître, El pour Lui ressembler, nous abaisser aussi. Qui donc est connue Dieu:'... Pour pouvoir rendre honmiaije A son divin pouvoir comme à sa majesté. Pour être à clKupie instant vrai dans ce témoignage. Je crois qu'il faut chérir la belle humilité. POÉSIES 355 Cultivons avec soin la douce violette, Son suave parfum plaît tant à notre Epoux; Il sera si content d'en faire la cueillette, Lorsque viendra le soir du divin rendez-vous. Oh! précipitons-nous au fond du double abime : L'immensité de Uieu, notre propre néant; Notre louange alors montera plus sublime. Et pourra rendre gloire au Seigneur tout-puissant. Il se plaît à trouver l'àme en cette attitude D'anéantissement, de sainte humilité ; Il s'élance vers elle avec sa plénitude, - Et l'admet sans retard en son intimité. 29 septembre 19UG. 356 SŒUR ELISABETH DE LA TRINITÉ A l'une de ses sœurs. Chère petite sœur, sais-tu bien ta richesse, As-tu jamais sondé l'abîme de l'amour? Je viens te révéler l'immuable tendresse Qui plane sur ton àme et la nuit et le jour. Par un regard tout simple, oh! que ta foi contemple Le mystère caché qui s'opère en ton cœur: Voici que rKsjirit Saint te choisit pour son temple. Tu ne t'appartiens plus, et c'est là ta grandeur... Sous la touche divine, ohl demeure en silence Pour qu'il imprime en toi l'image du Sauveui"; Tu fus prédestinée à cette ressemblance Par un mystérieux décret du Créateur. Vraiment tu n'es ])lus toi, mais tu deviens Lui-même; .\ tout instant a lieu la transformation : Rends grâces au Seigneur pour ce vouloir suprême : Que ton être s'abîme en l'adoration. (^rois loiijoiirs à ianwitr malgré tout ce (jui passe; Si Dieu semble dormir au centre de ton canu-, Ne le réveille pas, car c'est une autre grâce Qu'il te ménage encore, ù ma petite sa'ur. Puisque je suis ton ange, il faut que je te chante Avant de m'envoler au lumineux séjour; .le saurai t'attirer une grâce conddantc Lorsque j'habiterai le foyer de l'amour. Oui, je te couvrirai sans cesse de mon aile, Kt guiderai tes pas tout le long du chemin, Pour que jamais ton pied ne tremble ni chancelle, VA qu'avec tout, ma sccur, lu fasses du divin. POÉSIES 357 N'est-ce pas là, dis-moi, la mission bien chère Qui me fut confiée en un jour solennel? Ah! j'y serai fidèle, et déjà sur la terre, Je voudrais te combler de tous les dons du ciel. C'est que de ta beauté je suis vraiment jalouse, Je rêve de le voir, chère petite sœur, Toujours à la hauteur de ton titre d'épouse, Mettant toute ta gloire en la croix du Sauveur. Sous la main qui t'immole, oh! sois calme et sereine Comme ton Christ aimé qui, dans toute douleur. Restait toujours le Fort, gardant paix souveraine Jusque dans l'agonie et l'angoisse du cœur. Contemple à travers tout ce divin Exemplaire, Pour être en vérité sa reproduction; Ainsi tu pourras rendre immense gloire au Père, Et Lui te gardera dans sa dilcction. Août 11)06 Lettre de M. l'abbé D... à M"^" Catez 24 mars 1901. Madame, (( Il est plus facile de discerner l'action divine dans une ànie, d'en constater la force et la suavité, que de formuler, dans noire pauvre langage humain, l'im- pression qu'elle laisse dans la mémoire. Et cependant, c'est peut-être un devoir de rendre témoignage à la sainteté quand on a eu le bonheur de la rencontrer, ne fût-ce qu'en passant, et de déclarer comme saint Jean : « Nos uidimiis et testamur. » Il est utile pour le monde, il est bon même, pour les chrétiens fidèles, non seule- ment de croire, mais encore de savoir par des exemples tangibles que la sainteté existe toujours comme une réalité vivante et actuelle, et que les Ames saintes, merveilleuses créations de la grâce, ne manquent jamais à l'F^glise. » La Mère Prieure qui a suivi jour par jour, pas à pas, l'enfant que vous lui avez conlîée, qui l'a guidée dans les ascensions de sa vie religieuse si courte, mais si pleine, a déjà tracé son portrait en quehpies pages adressées à ses sœurs. Il est à souhaitiT pour la joie LETTRE 359 et l'édification d'un plus grand nombre, qu'elle trans- mette à d'autres ce qu'elle a entendu de celle qui fut si bien dès ici-bas une louange de gloire, et qu'elle recueille pour eux tout le parfum de cette fleur du Carmel. » Pour moi qui ne l'ai rencontré qu'un instant pour lui donner l'Extrème-Onction, et deux ou trois fois plus tard pour lui porter la sainte Communion, je regarde cette rencontre providentielle comme une des grâces de ma vie sacerdotale. J'en conserve un précieux et inoubliable souvenir, une impression très profonde et très vive, encore que je ne puisse guère la traduire ni l'exprimer. » Ce que je puis dire seulement, c'est que si j'ai vu quelquefois dans le cours de mon ministère se sou- lever « les voiles qui cachent aux mourants les éter- nelles clartés » pour en laisser pénétrer jusqu'à eux quelque lueur, si j'ai vu parfois une sorte de transfi- guration et comme une auréole au front de ceux qui partent vers Dieu, jamais une splendeur qui n'est pas de la terre, ne m'apparut plus visible que le soir où j'entrai dans la cellule de votre chère Carmélite pour lui administrer les derniers Sacrements. Au milieu de ses grandes souffrances, les mains jointes pour la prière, elle était si calme et comme souriante, elle répondait avec une telle lucidité d'esprit aux paroles de la Mère Prieure, elle accueillait avec une reconnaissance si évidente la grâce qui lui était apportée, enfin les senti- ments de fermeté, de courage, d'abandon à Dieu, d'union à Jésus Crucifié étaient si bien empreints sur sa physionomie, que je jugeai inutile de lui l'aire 8()0 SŒUR ELISABETH DK LA TRINITÉ rexliortation que le prélre doit à ses malades en pareil moment. » Avec quelle profondeur de loi elle s'unissait aux prières liturgiques ! Et pendant qu'elle recevait les onctions saintes, il me semblait qu'elle réalisait en pleine conscience, avec toute sa volonté, cette con- sécration, cette oblation de son corps « en victime vivante, sainte et agréable à Dieu », dont parle saint Paul. » Dur et laborieux sacrifice qui ne devait s'achever qu'après de longues semaines, pendant lesquelles j'ai eu la consolation, célébrant la Messe au couvent, de porter deux ou trois fois à celle que l'on appelait déjà la petite sainte, le Pain vivant qui renouvelait ses énergies surnaturelles. J'ai remarqué et je me rappelle encore le mouvement vif, décidé, avec lequel elle se soulevait pour s'approcher de la grille de communion. On eût dit que toutes ses forces physiques se retrou- vaient pour la porter au-devant de Notre-Seigneur qui venait à elle. » Chère Madame, j'ose vous adresser ces lignes qui vous ramènent vers un passé qui vous enchante et vous désole tour à tour, vers un calvaire que vous avez gravi avec tant de foi chrétienne. Mais tous ces souve- nirs doivent aboutir à une louange à Dieu. 11 y a une parole faite pour fortifier et consoler à jamais les âmes, un mot sublime mais écrasant jiour notre infirmité, et que la religion seule a pu i)rononcer : a Réjouisse: -vous toujours dans le Seigneur. » C'est par cette joie toute spirituelle, mêlée de résignation et d'espérance, que vous honorerez le mieux la mémoire bénie, et que LETTRE 361 VOUS réjouirez les regards de votre sainte enfant. Pour moi, j'aime à compter sur son aide, sur son interces- sion qu'elle m'a promise au nom de l'obéissance, et plus d'une fois déjà j'en ai éprouvé la bienfaisante efficacité. En priant pour les prêtres, elle continue près de Dieu d'accomplir sa vocation de Carmélite. » TABLE DES MATIÈRES Approbation de Sa Grandeur Ms' Monestès, Evêque DE Dijon vu Approbation de Sa Grandeur Mê'' Dadolle .... xiii Lettres d'approbation xv Introduction 1 Lettre pour la cinquième édition 9 LES PREVENANCES DIVINES Chapitre premier. — Premières années t.") Famille d'Elisabeth. — Naissance et éducation de l'en- fant. — Défaut naturel corrigé par le cœur. — Mort de son père. — Conversion. — Talent musical. — Pre- mière communion. — Maison de Dieu. — Séjours à Carcassonne. Chapitre II. — L'appel divin 29 Résolution d'être toute à Dieu. — Vœu de virginité. — Au foyer de la famille. — Vocation mise à l'épreuve. — Plaidoyer fraternel. — .lournal d'Elisabeth. Chapitre III. — La mission de 1889 45 Flamme apostolique. — Correspondance à la grâce. — Douleur de ses fautes. — Confession générale. — Elans de reconnaissance. — Clôture de la mission. 364 TABLE DES MATIÈRES (Chapitre IV. — Vcrlus siirnaliurlles 59 Esprit de prière. — Grâces d'oriiisoii. — Influence d'Elisabeth. — O viiix. (ii>c, spes tinica. — Rapports avec le Carmel. — Dernière retraite dans le monde. Chapitre V. — Adieux an monde 73 Tarbcs et Lourdes. — Le Carmel de Dijon. — Heure de grâce. — Etat de foi et d'abandon. — Lettres et souvenirs. — Le 2 août 190L II. - AU CARMEL Chapitre VI. — Le postulat 89 Le Carmel dans ses grandes lignes. — Joyeux élan. — Voie de recueillement. — Premiers échos de la soli- tude. — Fervente préparation. — La vèture. Chapitre VII. — Le noviciat . 103 « La nuit obscure. » — Les fruits de l'épreuve. — Le secret du bonheur. — Retraite de profession. — Epouse du Christ. — Programme de sainteté. — Le ciel dans l'âme. Chapitre VIII. Louange de gloire 119 \'ie de foi. — A l'école de saint Paul. - Laudem (jloriœ. — L'esprit de louange perfectionne les vertus. — Secontle portière. — Oftice d'itnije. — Esprit de pénitence. — Sanir Elisabeth di- la Tiinité dans la vie de Communauté. Chapitre IX. — Xie intime 137 Assiduité à la prière. — Retraite île liU)4. — Oraison. — Dévotion à l'auguste Trinité et à la Sainte \'ierge. — Le 'il novembre U)04. — « Mon seul exercice est (le rentrer au iledans. » TABLE DES MATIÈRES 365 Chapitre X. — Relations de famille 149 Premier anniversaire. — La fête des morts en 1902. — Le culte d'une mère. — Comment Dieu répond à la confiance. — « Mes deux beaux lis. » — Le mystère de l'adoption divine. Chapitre XI. — « Seule avec le Seul. » 165 Lettres consolantes. — Qu'il est simple de mourir. — Soif d'immolation. - Retraite de 1905. — Impressions de la dernière heure. — Pressentiment. III. — AU SEUIL DE L'ETERNITE Chapitre XII. — Dieu rappelle à Lui sa Louange de gloire 177 Saint Joseph patron de la bonne mort. — Retraite lortifiante. - Le Carême et saint Paul. — La vénérable Marguerite du Saint-Sacrement. — Le dimanche des Rameaux. — Saint abandon. — Soudaine amélio- ration. — Lettres à sa famille. Chapitre XIII. — La transformation en Jésus crucifié. 193 L'autel du sacrifice. — Coup d'œil général. — Emouvante entrevue. — Correspondance. — Les gloires du Carmel. — Lin palais royal. Chapitre XIV. — Tout près du sanctuaire 207 L'Ange de fJsieu.v. — Nuit de gnlce. — Reine des Vierges et des Martyrs. — Janua cœli. — La petite tribune. — Le 2 août 1906. — Dernière retraite. Chapitre XV. — Joie dtms Vimmolation 221 Les Laudes nocturnes. — Ecole des Saints. — Billets intimes. — Conseils virils. — Soif d'abjection. Lettre écho de sa vie. 36(i TABLE DES MATIÈRES Chapitre XVI. — Dernières consolations 233 Débordante de charité. — I.,c 4 octobre. — Les fêtes du Triduum. — En société avec l'Amour. — Les prépa- ratifs d'une prise d'iiabit. — Pendant la cérémonie. — Feu consunumt. Chapitre XVII. — Du calvaire au ciel 249 Dernier parloir. — La gloire et l'amour. — L'Extrême- Onction. — Impressions de grâce près de l'angélique mourante. — Rêve symbolique. — L'Anyelus. — Le ciel. — Les Dédicaces. APPENDICE Dernière retraite de « Lavdem Glorle » 269 Pieuse élévation 305 Lettres 307 Poésies 335 Lettre de M. l'abbé D... a M'nc Catez 358 IMI'. JOBAKIi, DIJON Réseau de bibliothèques Université d'Ottawa Échéance Library Network University of Ottawa Date Due U D' / OF OTTAWA COLL ROW MODULE SHELF BOX POS C 333 02 04 02 21 14 6